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On vous explique pourquoi les concerts du rappeur Médine au Bataclan sont critiqués par la droite et l'extrême droite

De nombreux élus reprochent au rappeur une supposée complaisance à l'égard de l'islamisme radical, ainsi que des paroles controversées au sujet de la laïcité.

Article rédigé par franceinfo
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Publié Mis à jour
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Le rappeur Médine, lors d'un concert organisé le 26 mai 2017 à la Cigale, à Paris. (SADAKA EDMOND / SIPA)

"Une insulte insupportable à la mémoire des victimes", "aucun Français ne peut accepter que ce type aille déverser ses saloperies sur le lieu même du carnage"… De nombreux élus de droite et d'extrême droite ont réclamé, durant le week-end des 9 et 10 juin, l'annulation des concerts du rappeur Médine, prévus les 19 et 20 octobre au Bataclan. Dans la foulée, une dizaine de familles de victimes de l'attentat du 13 novembre 2015 ont annoncé lancer un recours par la voix de deux avocats pour déprogrammer l'artiste, rapporte Le Parisien lundi 11 juin.

Tous reprochent à Médine une supposée complaisance à l'égard de l'islamisme radical, ainsi que des paroles controversées au sujet de la laïcité. Lundi, ce dernier a réagi pour la première fois, accusant l'extrême droite de vouloir "limiter notre liberté d'expression". Franceinfo récapitule l'affaire en cinq questions.

Que reproche-t-on à Médine ?

Deux éléments sont essentiellement mis en avant par les détracteurs du rappeur havrais. D'abord, un extrait de sa chanson Don't Laïk, sortie une semaine avant la tuerie de Charlie Hebdo en 2015. Dans ce texte, on peut l'entendre chanter : "Crucifions les laïcards comme à Golgotha [le lieu où Jésus aurait été crucifié] / Le polygame vaut bien mieux que l'ami Strauss-Kahn."

Comme d'autres, la député LREM Aurore Bergé a également qualifié d'"insulte à ceux qui sont morts au Bataclan" ce qu'elle présente comme étant l'affiche annonçant les deux concerts de Médine. On y voit le rappeur porter un tee-shirt sur lequel est inscrit le mot "jihad". Il s'agit en réalité d'un montage : la partie gauche, qui fait polémique, est une photo datant de 2005 sur laquelle Médine faisait la promotion de son album Jihad, le plus grand combat est contre soi-même

Comment s'est propagée la polémique ?

Partie de l'extrême droite, la polémique a fini par atteindre la gauche. La première trace retrouvée par franceinfo remonte au samedi 9 juin au matin : il s'agit d'une pétition réclamant l'annulation des concerts lancée par Grégory Roose, un militant d'extrême droite membre du micro-parti de Renaud Camus, théoricien du "grand remplacement".

De nombreux responsables du Rassemblement national (ex-FN) ont relayé cet appel, à l'image du député Bruno Bilde ou de David Rachline, puis de Marine Le Pen elle-même. 

L'affaire a ensuite atteint la droite. Dimanche, le président des Républicains, Laurent Wauquiez, a qualifié sur Twitter les concerts de "sacrilège pour les victimes" et de "déshonneur pour la France", tandis que le député LR des Alpes-Maritimes Eric Ciotti a estimé qu'il y avait "des symboles qui ne peuvent être profanés".

Invité à réagir sur franceinfo aux paroles polémiques de Don't Laïk, lundi, le patron du PS, Olivier Faure, a, de son côté, jugé le texte "plus que provoquant, insupportable pour la République laïque", tout en précisant qu'il ne se plaçait pas du "côté de ceux qui sont dans [une démarche d']interdiction".

Qu'en pensent les familles et les victimes de l'attentat ?

Cités par Le Parisien, les avocats Bernard Benaïem et Caroline Wassermann, qui représentent une dizaine de familles de victimes de la tuerie du Bataclan, ont annoncé lancer un recours lundi pour faire annuler les concerts, en vertu d'un risque de "trouble à l’ordre public" et invoquant la nécessité d'un "ordre public moral".

Contactées par franceinfo, les associations de victimes 13onze15 Fraternité et vérité et Life for Paris disent, elle, "combattre toute forme de récupération politique". La première voit tout de même dans le choix de cette salle une "forme de provocation" du rappeur, et demande "le respect des victimes et de la mémoire", alors que Life for Paris dit soutenir "la liberté de programmation" du Bataclan.

L'ancien vice-président de 13onze15, Emmanuel Domenach, a de son côté vertement critiqué Marine Le Pen après que celle-ci a réagi à la polémique.

Un autre rescapé de la tuerie a estimé que Médine avait "parfaitement le droit de jouer au Bataclan", tout en estimant que certains "positionnements" du rappeur pouvaient être problématiques.

Médine a-t-il réagi ?

Le rappeur a publié sur les réseaux sociaux, lundi, un texte dans lequel il répond à la polémique"Allons-nous laisser l'extrême droite dicter la programmation de nos salles de concert voire plus généralement limiter notre liberté d'expression ?" s'interroge Médine.

Sur le fond du débat, il accuse ses détracteurs de "détourner le sens de [ses] chansons", et assure qu'il "combat toutes formes de radicalisme dans [ses] albums", et ce depuis le début de sa carrière. "Afin de lever toutes ambiguïtés", il réitère également "[ses] condamnations passées à l'égard des abjects attentats du 13 novembre et de toutes les attaques terroristes".

Cité par Le Monde, l'organisateur des concerts du rappeur, Eric Bellamy, de la société Yuma Productions, avait assuré dimanche soir que les concerts prévus en octobre auraient bien lieu.  

Franchement, je ne comprends pas. Médine s’est expliqué plusieurs fois sur le morceau 'Don't Laïk'. Il n’y a aucune ambiguïté dans ce qu’il dit.

Eric Bellamy, organisateur des concerts de Médine

au "Monde"

Le tourneur relève que le rappeur havrais "a même écrit un texte magnifique sur le Bataclan, auquel tout le monde a adhéré". Médine a en effet publié en mars le clip d'un morceau portant le nom de la salle de concert, où l'on aperçoit les rappeurs Orelsan et Youssoupha, et dans lequel il évoque son rapport à la scène et son rêve d'enfant de "faire le Bataclan". Il a été vu depuis sa mise en ligne à plus de 2,7 millions de reprises.

Pourquoi Médine est-il si critiqué ?

Actif dans le milieu du rap depuis 2004, Médine a toujours joué avec les clichés et les représentations qui entourent l'islam et le monde du hip-hop. Il expliquait cette démarche en février 2017 dans une vidéo de "Clique". "Tout cela, c'est dans le but de tendre un piège : ceux qui s'arrêtent à une représentation, une image, à un style de musique dans un album de rap sont certainement aussi ceux qui vont s'arrêter, dans la vie, à une origine ou une confession. (...) J'ai calculé les risques. Je fais peur aux fainéants, à ceux qui ne veulent pas aller plus loin que la première image qu'ils ont d'une représentation."

Cet affichage provocateur dans la forme et qui cache un fond plus consensuel se retrouve dans de nombreux titres du chanteur. Les paroles du morceau Jihad, paru en 2005 et dont l'affiche a été détournée par l'extrême droite, lui permettent d'aborder "ce terme si épineux à travers sa signification de 'lutte' et d''effort'", peut-on ainsi lire sur le site de son label. "Comme le sous-titre de l’album l’indiquait si bien, l’objectif du jihad est alors de combattre son soi-même, de s’élever intellectuellement, socialement, et d’aspirer au bien, non au mal." 

Médine s'était également expliqué sur le sens des paroles de son titre Don't Laïk, y compris sur le fameux "Crucifions les laïcards comme à Golgotha", qui avaient déjà fait polémique lors de la sortie du morceau en 2015. Sur le plateau d'"Arrêt sur images", le rappeur déclarait qu'il s'agissait d'une critique de la manière dont certains responsables politiques se réappropriaient la notion de laïcité pour exclure certaines personnes.

'Crucifier les laïcards comme à Golgotha', c'est un oxymore ! C'est un déroulé d'absurdités jusqu'à la fin du morceau, qui amène à la dernière partie, sur l'exorcisme de la laïcité : à la fin, je rappelle que son corps est possédé par certaines gargouilles de la République.

Médine

à Arrêt sur images

Dans un portrait dressé par Libération début 2015, Médine regrettait toutefois deux erreurs : avoir effectué le fameux geste de le quenelle de Dieudonné en 2014 (ce qui lui a laissé un "goût amer") et sa présence à une conférence du suprémaciste noir Kémi Séba, qu'il qualifiait de "démarche étudiante".

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