Vingt ans sans Claude Nougaro : dix merveilles qu'il emprunta au jazz et au Brésil pour en faire des classiques de la chanson française

Disparu le 4 mars 2004, Claude Nougaro incarne une fusion rêvée entre la poésie, la chanson et un jazz parfois mâtiné de gospel, parfois de rythmes sud-américains. Pour ce 20e anniversaire, revisitons sa discographie. Première partie de notre hommage : ses adaptations les plus célèbres.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 8 min
Le chanteur Claude Nougaro sur scène, le 30 octobre 1973 à Paris, au Théâtre de la Ville. (AFP)

Vingt ans déjà. Claude Nougaro, chanteur, jazzman et poète, s'est éteint le 4 mars 2004 à Paris à l'âge de 74 ans. En un demi-siècle de carrière, il a bâti un répertoire riche de plus de 300 chansons. Un répertoire forgé lors de collaborations de légende parmi lesquelles Michel Legrand – nous reviendrons lundi sur cette partie de son héritage musical. Mais aussi, un répertoire bâti dans la magie d'adaptations de chansons américaines et brésiliennes. Des chansons que le chanteur et poète toulousain a su revêtir de ses mots personnels. Des chansons portées par la voix rauque, la démarche chaloupée et les pas félins de celui qui, enfant, se rêvait danseur.

Voici dix adaptations légendaires de morceaux anglo-saxons et brésiliens, eux-mêmes légendaires, qui illustrent l'attachement et le respect profond que Claude Nougaro vouait à ces musiques.

"Armstrong" (chant traditionnel immortalisé par Louis Armstrong)



Grand classique du répertoire de Claude Nougaro, Armstrong est sorti en super 45T (quatre titres) en 1965 avant d'être inclus dans son premier album Bidonville en 1966. À l’origine, il s'agit d'un negro spiritual, chant sacré des esclaves afro-américains du XIXe siècle, Go Down Moses. Certaines versions ont marqué les esprits, comme celle du Golden Gate Quartet en 1957, et bien sûr celle, sublime, de Louis Armstrong en 1958, dont Claude Nougaro s'est inspiré. Le chanteur toulousain confiait avoir écrit les paroles de son adaptation lors d'un séjour sur l'île de Ré, dans la maison de son père. Le texte, au message antiraciste, a été écrit alors qu'au même moment les États-Unis déconstruisaient loi après loi la ségrégation raciale, sur le papier, mais pas dans les esprits. Maurice Vander signe les arrangements et le jazzman Roger Guérin assure les solos à la trompette sur le disque. Mais c'est le trompettiste Tony Russo qui joue dans le live ci-dessus.

"Tu verras" (musique de Chico Buarque)



En avril 1978, Claude Nougaro lance l'album Tu verras, dont la chanson éponyme sera l'un de ses plus grands succès. Il a écrit les paroles, un message à la fois pénitent et lucide d'un homme à la femme aimée, sur une musique de Chico Buarque. Deux ans plus tôt, le poète, compositeur et chanteur brésilien avait cosigné avec Francis Hime la bande originale de Dona Flor et ses deux maris, film de Bruno Barreto adapté du roman de Jorge Amado. O que será constitue le thème phare du film. La chanteuse Simone a prêté sa voix à la bande originale, et notamment aux deux versions chantées (avec variations de tempo et texte) du thème. Chico Buarque enregistrera lui-même, avec Milton Nascimento, ces versions sous-titrées A Flor da terra et A Flor da pele. Claude Nougaro, alors marié à une Brésilienne, Marcia, découvre cette musique dans un disque qu'elle a rapporté de son pays. Tu verras, grand succès critique et public, sera distingué par l'académie Charles-Cros.

"Le Jazz et la java" (musiques de Dave Brubeck et Jacques Datin)



En 1962, après un premier disque 33T 25 cm qui n'a pas marché trois ans plus tôt, Claude Nougaro entame une collaboration décisive avec Michel Legrand. Le pianiste, compositeur et jazzman, déjà auréolé d'une renommée internationale, produit le nouvel enregistrement du Toulousain, Le Jazz et la java. Pour ce faire, il sollicite d'excellents musiciens comme le compositeur Jacques Datin et l'organiste Eddy Louis. La chanson combine un célèbre thème de Dave Brubeck, Three to Get Ready, pour le refrain, et une musique de Datin pour les couplets. Résultat : une merveille de légèreté où cohabitent avec malice deux passions de Nougaro, le jazz bien sûr, et la chanson française d'antan. Marcel Amont sera le premier à enregistrer le titre, suivi d’Yves Montand, et enfin de Claude Nougaro, dans un arrangement de Michel Legrand pétillant comme du champagne.

"Bidonville" (musique de Baden Powell)



Dans les années 1960, avec la bossa nova en figure de proue, le Brésil envoûte le monde. Claude Nougaro y puise la mélodie de Bidonville, chanson sur la misère et titre éponyme de son premier album 30 centimètres sorti en 1966. La musique est celle de Berimbau, du nom d'un instrument à une corde d'origine africaine très célèbre au Brésil. Il s'agit d'une composition de 1963 du guitariste Baden Powell, sur laquelle le poète Vinícius de Moraes a posé des mots mystiques et philosophiques, évoquant la capoeira, art martial afro-brésilien.

"À bout de souffle" (musique de Dave Brubeck)



Sortie en super 45T en 1965, puis intégrée à l'album Bidonville, la chanson À bout de souffle porte bien son titre. Elle est haletante et sombre comme un thriller sans espoir. Mais elle n'est pas liée au film À bout de souffle (1960), à l'issue également tragique, de Jean-Luc Godard. Claude Nougaro a écrit son texte sur Blue Rondo à la Turk, thème enivrant, sur un rythme impair, du pianiste de jazz américain Dave Brubeck qu'il cite dans la chanson comme un élément du contexte de l'action. Claude Nougaro, qui conserve le tempo effréné du morceau, réalise une superbe performance vocale.

"Dansez sur moi" (musique de Neal Hefti)



En 1973, Claude Nougaro sort l'album Locomotive d'or qui comporte l'adaptation du standard de jazz Girl Talk de Neal Hefti, trompettiste, compositeur et arrangeur américain. Ce morceau instrumental à la fois glamour et aérien figure dans la bande originale du film Harlow (1965) d'Alex Segal, un biopic romancé sur l'icône hollywoodienne Jean Harlow. Avec ses mots et ses rimes, Claude Nougaro en fait une sublime ballade poétique sur l'art et le cycle de l'amour et de la vie.

"Paris mai" (traditionnel africain)



En 1968, frappé par les manifestations de mai qui secouent la capitale, Claude Nougaro est la première vedette de la chanson à réagir à chaud, en musique, à ces événements. Il écrit un texte qu'il scande, habité, sur un morceau de six minutes, ponctuant sa narration par un refrain chanté où il répète avec ardeur les mots "mai" et "Paris". La mélodie de ce refrain et le rythme du morceau sont ceux d'un chant africain traditionnel, Flo Me La, que Nina Simone a sublimé sur scène quelques années plus tôt. On le trouve dans son album live Nina Simone at Newport (1960). C'est l'organiste Eddy Louiss, devenu un proche compagnon de route de Nougaro, qui réalise l'adaptation et l'arrangement de cette œuvre puissante, d'une grande modernité aujourd’hui encore, du répertoire du chanteur. La chanson connaît pourtant un départ difficile. Les autorités françaises, échaudées par les événements tout récents, sont frileuses et censurent la chanson à la radio et la télévision. Des années plus tard, en 1996, Eddy Louiss réarrangera le morceau pour un album qui en prendra le titre contracté en un seul mot : Flomela.

"Brésilien" (musique de Gilberto Gil)



En 1975, Claude Nougaro s'inspire à nouveau du répertoire brésilien pour l'une des chansons de son album Femmes et Famines. Il reprend le thème d'un joyau du répertoire de Gilberto Gil, Viramundo, un titre sorti en 1967 dans son premier album Louvação. Dans son adaptation, Nougaro s'adresse à un "Brésilien", son "frère d'armes, sur le parcours du cœur battant"... Le Toulousain a invité des artistes originaires de ce pays de musique à rejoindre son groupe pour cette chanson, à commencer par le virtuose Baden Powell à la guitare, dont il avait repris le thème de Berimbau presque dix ans plus tôt.

"Sing Sing Song" (musique de Nat Adderley)



En 1965, Claude Nougaro lance le titre Sing Sing Song en super 45T avant de l'inclure dans l'album Bidonville l'année suivante. Pour cette chanson, il a repris un standard du trompettiste et cornettiste Nat Adderley (frère cadet du saxophoniste Cannonball Aderley), Work Song, titre éponyme d'un album de 1960 du jazzman américain. Ce morceau jazz a vu sa notoriété décuplée en 1963 par le chanteur Oscar Brown Jr qui l'a adapté avec succès en l'enrichissant de paroles. De son côté, Claude Nougaro écrit un texte évoquant l'univers carcéral à la prison américaine de Sing Sing.

"Comme une Piaf" (musique de Wayne Shorter)



En 1977, Claude Nougaro reprend le thème Beauty and the Beast du saxophoniste Wayne Shorter, un morceau sorti deux ans plus tôt dans l'album Native Dancer du géant du jazz américain. Il écrit sur cette musique un texte décrivant ses rêves fous de chanteur, saluant à cette occasion une artiste qui l'aura inspiré, jusqu'à la citation finale de la chanson. "Comme une Piaf au masculin / J'voudrais pouvoir chanter le bottin / Et vous r'muer les intestins..." , chante-t-il avec malice au tout début de sa chanson. Comme s'il n'avait pas déjà réalisé ce rêve.

Mais aussi...

On aurait pu mentionner d'autres adaptations de grands thèmes... Il y a bien sûr Autour de minuit, clin d'œil au 'Round Midnight de Thelonious Monk. Il y a la chanson Hymne portée par la mélodie de Con Alma de Dizzy Gillespie. Ou Mon disque d'été, avec le thème de For Lena and Lennie de Quincy Jones... Il y a À tes seins, sur le thème St. Thomas de Sonny Rollins, ou encore Les Mains d'une femme dans la farine, sur celui de Gravy Waltz de Steve Allen...  Il y a Sœur Âme, à l'esprit gospel, sur le thème Sister Salvation de Slide Hampton. Et la superbe Harlem, adaptée de Fables of Faubus de Charles Mingus. La liste n'est pas exhaustive en matière de jazz... On se souvient aussi de Un été, réécriture du fameux Estate de l'Italien Bruno Martino devenu un standard de bossa nova... Côté Brésil, on pourrait aussi ajouter ces Noces de sang où Nougaro avait mis un texte sur l'instrumental Bôdas de sangue du Brésilien Marcos Valle.

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