Il y a bientôt cent ans, le 19 octobre 1913 à Rio de Janeiro, naissait Marcus Vinícius da Cruz de Melo Moraes. Diplomate, dramaturge, poète, auteur, compositeur, partenaire artistique de Tom Jobim ou Baden Powell, insatiable romantique (il se maria neuf fois), le "poetinha" (petit poète) a laissé une contribution déterminante au rayonnement des lettres et de la musique du Brésil au XXe siècle.
Qui était Vinícius de Moraes ? Tentative de réponse par un rappel de ses talents et vies multiples, vies qu'il a consummées à grande vitesse (il est mort à 66 ans), suivie d'une évocation des fructueux partenariats artistiques grâce auxquels il a signé les plus belles pages de la musique brésilienne du XXe siècle.
- Un diplomate : Souvent surnommé le « poète-diplomate », Vinícius de Moraes a longtemps mené différentes activités en parallèle. Il entame sa carrière diplomatique en 1946 comme vice-consul à Los Angeles. Il rentre au Brésil en 1950 à la suite de la mort de son père. Il occupe par la suite des postes à Paris et Rome. En 1968, il se trouve au Portugal pour des concerts avec Chico Buarque et Nara Leão quand il apprend son éviction du corps diplomatique par la junte militaire au pouvoir dans son pays depuis 1964. Motif invoqué : son comportement jugé trop bohème n’est pas compatible avec ses fonctions. À titre posthume, il bénéficiera d’une amnistie en 1998, d’une réintégration au corps diplomatique en 2006 et d’une promotion au titre d’ambassadeur en 2010.
- Un dramaturge : Vinícius de Moraes commence à monter des petites pièces de théâtre au collège Santo Inácio, tenu par des pères jésuites, à Botafogo, un quartier de Rio de Janeiro, où il est entré en 1924. En 1956, sa pièce « Orfeu da Conceição », transposition du mythe d’Orphée dans les favelas, lui assure la renommée. L’œuvre écrite en 1954 est créée le 25 septembre 1956 au Théâtre municipal de Rio. C’est la première fois que des acteurs noirs montent sur cette scène. L’architecte Oscar Niemeyer a signé les décors. Un compositeur de 29 ans, Antônio Carlos Jobim, a mis le spectacle en musique. C’est la première collaboration entre les deux hommes, début d’une très prolifique amitié. Adaptée au cinéma en 1959 sous le titre « Orfeu Negro », réalisée par Marcel Camus, l’œuvre obtiendra la Palme d’or à Cannes (1959) et l’Oscar du meilleur film étranger (1960). Vinícius de Moraes écrira quelques autres pièces, mais son « Orfeu » demeure la plus célèbre.
- Un poète et un écrivain : dès l’école primaire, le jeune Vinícius écrit des poèmes. À la faculté de droit, il se lit d’amitié avec l’écrivain Otávio de Faria qui encourage sa vocation. De fait, la carrière littéraire de Vinícius de Moraes démarre au début des années 1930. En 1933, il est encore étudiant quand sort son premier recueil de poèmes, « O Caminho para a Distância ». Une douzaine d’autres publications sortiront jusqu’en 1970, année de la parution d’un recueil de poésies enfantines, selon le site consacré à Vinícius de Moraes.
- Un compositeur : Vinícius commence à écrire ses premières compositions à partir de 1927, après sa rencontre avec le musicien Paulo Tapajós et le frère de ce dernier, Haroldo. À partir de 1956, avec son travail pour les musiques de sa pièce « Orfeu da Conceição », le poète-diplomate s’implique de plus en plus dans la musique. S’il a écrit en solo quelques joyaux comme le sublime « Medo de amar », il a surtout ponctué sa carrière d’auteur de partenariats artistiques dont certains ont marqué l’histoire de la musique brésilienne, et bien au-delà.
- Un parolier : Antônio Carlos Jobim, Baden Powell de Aquino, Toquinho, Edu Lobo, Carlos Lyra... Vinícius de Moraes s’est associé aux meilleurs compositeurs brésiliens de son temps pour co-signer des centaines de chansons, dont certaines sont gravées dans la mémoire collective. Avec Tom Jobim et le chanteur-guitariste João Gilberto, il a lancé la bossa nova. Avec Baden Powell, il a fait connaître les musiques d’influence africaine de son pays. Avec Toquinho ou Edu Lobo, il a offert de sublimes pages à la MPB (musique populaire brésilienne). Et il a participé, en tant qu’auteur, et souvent lui-même chanteur, à de nombreux disques. Il a insufflé sa poésie, d’une grande musicalité, à la musique populaire brésilienne qui en est sortie transcendée.
- Un éternel amoureux : Vinícius de Moraes se marie à neuf reprises, dont une première fois par procuration, en 1939, alors qu’il séjourne à Oxford grâce à une bourse d’études. Ses épouses successives : Beatriz « Tati » Azevedo de Mello, Regina Pederneiras, Lila Bôscoli, Maria Lúcia Proença, Nelita Abreu Rocha, Gesse Gessy, Cristina Gurjão, Marta Rodrigues Santamaria et Gilda de Queirós Mattoso, qui sera auprès de lui à la fin. Adolescent dans l’âme, incurable romantique, il aime par-dessus tout l’état amoureux. Il aura noyé nombre de chagrins dans l'alcool, lui qui aimait à dire que "le whisky est le meilleur ami de l'homme". La passion, mais aussi la désillusion inspireront bien des poèmes et textes de chansons : « Eu sei que vou te amar », « Amor em paz », « Soneto da separação »...
Ses grands partenariats artistiques
- Antônio Carlos Jobim (1927-1994) : c’est le compositeur et le partenaire majeur, le plus célèbre, de Vinícius de Moraes. En 1956, il est présenté au poète qui cherche un musicien pour sa pièce « Orfeu da Conceição ». En 1958, ils cosignent l’album « Canção do amor demais », interprété par la chanteuse Elizeth Cardoso, avec des arrangements à la guitare d’un inconnu venu de Bahia, João Gilberto, 27 ans. L’album, qui renferme la première version discographique du standard « Chega de Saudade », marque l’acte de naissance de la bossa nova.
En 1960, invités à Brasilia par le président Kubitschek, Vinícius et Tom co-écrivent la « Sinfonia da Alvorada » qui célèbre la nouvelle capitale du Brésil. La complicité entre Tom et Vinícius sera ponctuée de nombreuses chansons, souvent devenues des classiques traduits dans plusieurs langues, de « Agua de beber » à « Garota de Ipanema », en passant par « Insensatez » ou « Só danço samba ».
- Baden Powell de Aquino (1937-2000) : Vinícius de Moraes se passionne pour le camdomblé, religion afro-brésilienne héritée du temps de l’esclavage au Brésil (1549-1888), et ses croyances, musiques, rythmes et danses qui ont tellement enrichi la culture brésilienne. Dans la chanson « Samba da Bênção », il se décrit lui-même comme « le Blanc le plus Noir du Brésil ». De fait, en 1966, il enregistre avec le guitariste Baden Powell l’album « Os Afro-Sambas », imprégné de cette influence et de celles de l’umbanda (autre religion afro-brésilienne) et de la capoiera (un art martial). « Canto de Ossanha » demeurera le morceau le plus célèbre du disque.
Le tandem cosigne - paroles de Vinícius, musiques de Baden - d’autres trésors de la MPB (musique populaire brésilienne), dont « Berimbau » (1963 - Claude Nougarou en adaptera la mélodie pour sa chanson "Bidonville"), « Samba da Bênção » (dont l’adaptation française par Pierre Barouh figure dans le film de Claude Lelouch « Un homme et une femme », sorti en 1966) ou « Samba em Prelúdio ».
- Edu Lobo (né en 1943) : Vinícius commence à travailler en 1963 avec ce chanteur et compositeur surdoué, alors âgé de 20 ans. En 1965, leur chanson « Arrastão » s’impose au premier festival de Musique populaire brésilienne de TV Excelsior, à São Paulo. C’est Elis Regina qui interprète le titre. Parmi les chansons qu’ils écriront ensemble, figurent des perles comme « Canto triste » et « Canção de amanhecer ».
- Toquinho : le guitariste et chanteur sera l’ami fidèle des dix dernières années de la vie de Vinícius de Moraes. Leur collaboration artistique démarre en 1970 avec la chanson « Tarde em Itapuã », dont le titre évoque un quartier de Salvador de Bahia. Ils travailleront ensemble sur une bonne vingtaine de disques, cosignant des chansons comme le très beau « Carta ao Tom 74 » (une lettre à Jobim écrite par le poète à Paris en 1964, jamais postée, et transformée en chanson dix ans plus tard), « Cotidiano N°2 », « Onde anda você »… Toquinho sera présent lors de la mort du poète, à son domicile de Rio, le 9 juillet 1980.
- Carlos Lyra, Pixinguinha, Francis Hime…
Vinícius de Moraes a toujours collaboré avec des musiciens, et ce, dès sa jeunesse : les frères Tapajós, Moacir Santos, Cláudio Santoro, Marilia Medalha, Antônio Maria, et, parallèlement à Jobim ou Baden Powell, Francis Hime, Carlos Lyra, Chico Buarque… Il a également posé des textes sur des classiques de la musique brésilienne comme « Lamento » (1928) de Pixinguinha ou « Odeon » (1910) d’Ernesto Nazareth.
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