Le photographe des sixties Roger Kasparian expose ses clichés inédits de jazzmen, de John Coltrane à Duke Ellington
On a découvert ces dernières années ses photos de la joyeuse troupe des yéyés, de Françoise Hardy à Johnny Hallyday. Puis on s'est enthousiasmés devant ses clichés des juvéniles Beatles ou Kinks des sixties. Roger Kasparian expose aujourd'hui ses images inédites de figures du jazz américain, saisies à Paris il y a soixante ans.
Sorti de l’ombre il y a sept ans, le photographe français méconnu Roger Kasparian a depuis dévoilé un impressionnant trésor : des centaines de photos de chanteuses, chanteurs et musiciens prises dans les années soixante qui dormaient dans ses archives personnelles depuis quarante ans en attendant de voir la lumière.
Pigiste pour la presse à partir de 1962 et durant une décennie, Roger Kasparian, fils de photographe, a fixé sur pellicule des dizaines d’artistes et en particulier toute la tribu des yéyés français, son sujet de prédilection, de Françoise Hardy à Johnny Hallyday. Il a aussi suivi tous les musiciens anglo-saxons de passage à Paris, de leur descente d’avion jusqu’à leur concert en soirée.
On a déjà pu admirer ses photos réjouissantes des juvéniles Beatles, Who, Kinks et autres Animals. Mais il en gardait encore sous la semelle : ceux de la grande famille du jazz américain ayant fait halte à Paris, destination prisée des jazzmen dans les années soixante.
Kasparian se faisait tout petit pour saisir ses sujets dans l'intimité
Il expose ces jours-ci et jusqu’au 30 octobre au Studio Boissière (Montreuil) une grosse vingtaine de tirages argentiques de grands noms du jazz, souvent en noir et blanc mais aussi en couleur, des clichés pour la plupart inédits montrant Ella Fitzgerald à l’Olympia, Art Blakey sur scène mais aussi dans sa chambre en peignoir orange, John Coltrane et Ray Charles à l’aéroport, Duke Ellington attablé à son hôtel, Thelonious Monk et son épouse à Orly…
"Les photographes établis prenaient les jazzmen surtout sur scène, alors je faisais l’inverse", nous raconte Roger Kasparian, qui cherchait à se distinguer pour vendre ses clichés aux magazines.
"Je les cueillais dès leur arrivée à l’aéroport et je les suivais ensuite dans les hôtels, les restaurants et jusqu’au concert en club. Je me faisais extrêmement discret pour aller le plus loin possible dans leur intimité, pour les saisir au naturel, sans apprêts ni mise en scène". Et comme toujours, cherchant à faire la meilleure photo du monde et la plus originale, ce technicien né dans un studio photo trouvait souvent le bon angle de vue et la meilleure lumière.
Thelonious et son épouse Nelly, "ça faisait un drôle de couple"
Selon lui, ses clichés "retracent l’époque. Les fans étaient de vrais mordus de jazz, des connaisseurs. C’était un milieu assez fermé, intellectuel, élitiste. Ils connaissaient les moindres dates, les concerts, les instruments. C’était une faune plutôt snob, pas du tout le même entourage que celui de Johnny Hallyday. Je n’étais pas introduit, alors j’essayais surtout de ne pas me faire remarquer et de ramener de bonnes images."
Il se faisait si petit que certains, pense-t-il, n’ont même pas remarqué sa présence. "On m’avait mis en garde contre Thelonious Monk : attention il n’est pas commode ! Je l’ai pourtant suivi durant tout son périple et ça ne s’est pas mal passé. En fait, je ne sais même pas s’il m’a vu. Il était venu avec sa femme Nelly qui avait un look particulier. Elle était maigre et grande, toujours avec un fume cigarette, alors que lui était massif et fort, ça faisait un drôle de couple."
Sa photo saisie à l’aéroport d’Orly de Thelonious et de Nelly Monk, dont on connaît peu le visage, est d’ailleurs une des pépites de cette exposition. A côté de Thelonious en train d'enfiler une paire de gants blancs, Nelly Monk est immortalisée de profil avec son fume cigarette noir à la bouche, et de loin, la cigarette et ses volutes de fumée semblent flotter en suspension à 10 cm de son visage. Magique.
Sonny Rollins ? "Il faisait ses courses, alors je l’ai accompagné. Je ne parlais pas anglais ni lui le français, la communication était donc limitée. Mais il souriait tout le temps", se souvient Roger Kasparian.
"Nina Simone, personne ne m’avait rien dit à son sujet, mais en voyant le personnage au piano sur un plateau de télévision, je me suis dit que c’était une femme de caractère et que mieux valait ne pas être dans son collimateur. Mais je me suis quand même approché jusqu'à faire des gros plans."
Roger Kasparian l’avoue sans embarras : s’il a suivi tous ces artistes de jazz, ce n’était pas par amour immodéré pour leur musique mais parce que ce fan d'Aznavour cherchait, via Jazz Magazine, à être remarqué par Daniel Filipacchi, patron de Salut les Copains, où il rêvait d'être engagé. "Ça ne s’est jamais fait, mais au moins j’ai essayé".
L'exposition-vente Roger Kasparian "Pour ceux qui aiment le jazz" est prolongée jusqu’au 30 octobre
Studio Boissière, 268 Boulevard Aristide Briand 93100 Montreuil
A noter pour le samedi 25 octobre une Open Jam Jazz ouverte à tous les musiciens, avec le batteur Emmanuel Calixte, de 14h à 20h.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.