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Sur la tournée Gods of Rap (Wu-Tang Clan, Public Enemy, De La Soul), les dieux du rap ne font plus de miracles

On Ă©tait vendredi soir au concert des lĂ©gendes du rap Ă  Paris. De l'euphorie aux dĂ©ceptions, on vous raconte. 

Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Chuck D de Public Enemy sur scĂšne le 10 mai 2019 Ă  Wembley (Londres, G-B) dans le cadre du Gods of Rap Tour. (JAMES SHAW/REX/SIPA / SHUTTERSTOCK)

Pour quiconque a aimĂ© passionnĂ©ment le hip-hop dans les annĂ©es 90, l'affiche est irrĂ©sistible. Le Gods of Rap Tour, qui a dĂ©butĂ© le 10 mai Ă  Londres, rĂ©unit en effet Public Enemy, le Wu-Tang Clan, De La Soul et DJ Premier, soit peu ou prou le meilleur du rap new-yorkais d'un certain Ăąge d'or. Sauf qu'Ă  l'AccorHotel Arena (Paris), oĂč la caravane faisait halte vendredi 17 mai, certains dieux autoproclamĂ©s du rap ont surtout prouvĂ© que la magie n'est pas loin d'ĂȘtre envolĂ©e. Restent heureusement leurs albums, bien partis pour chauffer nos platines tout le week-end.

De La Soul Ă  minima


On arrive Ă  20h passĂ©es alors que De La Soul, qui fĂȘte cette annĂ©e les trente ans de son formidable premier album 3 Feet High & Rising, termine son bref set devant un public encore clairsemĂ©. Il aurait fallu prĂ©venir ! Tant pis, cela nous Ă©vitera le crĂšve-coeur d'avoir Ă  Ă©crire que le trio de Long Island, qui n'a jamais quittĂ© les scĂšnes - on les a vus ces derniĂšres annĂ©es sur toutes les tournĂ©es des Gorillaz mais aussi accompagnĂ©s d'un groupe de dix musiciens - est dĂ©sormais rincĂ©, selon les tĂ©moins que nous avons interrogĂ©s (honnĂȘtement, on peine Ă  les croire). Il faut dire pour leur dĂ©fense que Posdnuos, Dave et Maseo de De La Soul, comme c'est l'usage pour les groupes de premiĂšre partie, ne bĂ©nĂ©ficiaient ce soir que d'un son mal rĂ©glĂ© et de zĂ©ro scĂ©nographie.

Posdnuos et Maseo de De La Soul le 10 mai 2019 sur scĂšne Ă  Wembley (Londres, G-B) dans le cadre du Gods of Rap Tour. (JAMES SHAW/REX/SIPA / SHUTTERSTOCK)


Une médaille pour DJ Premier


C'est au légendaire sorcier du son DJ Premier que revient la tache d'animer les changements de plateaux. Seul aux platines, le producteur qui a quasiment façonné à lui seul ce que l'on appelle "le son new-yorkais" old school (Nas, Biggie, Mobb Deep, Mos Def, Jay-Z, il les a tous produits) s'y entend pour faire bouger la foule. D'une main il honore les grands disparus du rap, notamment Big L, Phife Dawg de A Tribe Called Quest et Prodigy de Mobb Deep. De l'autre il réactive nos souvenirs avec un feu d'artifice d'extraits de classiques, de Cypress Hill à Black Sheep et de Naughty By Nature à Das EFX, qui nous tirent non seulement des hurlements de joie mais font se déhancher l'assistance comme jamais. Si l'on devait décerner une médaille d'or ce soir, ce serait au revers de sa casquette qu'on l'accrocherait.

Chuck D de Public Enemy,  rebelle sans pause


Sur cette tournée, Public Enemy a rajouté un mot à son nom - Public Enemy Radio - pour justifier l'absence de son second mc, l'excentrique et funky Flavor Flav. DJ Terminator X, le DJ historique des débuts, a quitté le navire depuis longtemps pour aller élever des autruches en Caroline du Nord. Il est remplacé par DJ Lord. Seul Chuck D est resté au coeur de la formation la plus explosive que le rap ait jamais produit. Visiblement, la rage conserve : à 58 ans, cet inlassable militant de la cause afro-américaine n'a rien perdu de sa furia indignée et malgré un léger embonpoint, il a toujours la patate. Lui qui a sillonné le monde ces deux derniÚres années avec son projet parallÚle Prophets of Rage (en compagnie de B-Real, Tom Morello et DJ Lord), harangue le public comme aux premiers jours et sautille sur place comme un boxeur (du verbe) quand il ne cavale pas de long en large de la scÚne.


Le hĂ©ros enchaĂźne les brĂ»lots, de My Uzi Weighs A Ton Ă  Fight The Power ou Don't Believe the Hype. Si ces hymnes restent irrĂ©sistibles, l'absence sur d'autres hits comme Can't Truss It du jovial Flavor Flav, incarnation du fun chez ce groupe au discours radical, se fait sentir malgrĂ© la prĂ©sence d'un certain Jahi en renfort au micro. DJ Lord est invitĂ© quelques minutes Ă  dĂ©montrer sa technique Ă©bouriffante de turntablist aux platines, talent dont il se sert d'ailleurs assez peu durant le concert. Les peu engageants "danseurs" du SW1 (Security of the Fist World) en treillis sont quant Ă  eux rĂ©duits Ă  deux. Leurs poses dĂ©fiantes et leurs mouvements militaro-robotiques paraissent un peu anachroniques en 2019 mĂȘme si hĂ©las rien n'a changĂ© aux Etats-Unis en ce qui concerne la sĂ©curitĂ© des afro-amĂ©ricains dont ils Ă©taient le symbole dĂ©fensif.

A plusieurs reprises ce soir, Chuck D fait vibrer la corde sensible des vĂ©tĂ©rans du hip-hop en rappelant l'importance des quatre Ă©lĂ©ments fondateurs du mouvement que sont le DJ, le graffiti artist, le breakdanceur et le mc. Il rend aussi rĂ©guliĂšrement hommage Ă  l'Afrique - "L'Afrique, berceau de l'humanitĂ©, est Ă  Paris ce soir", lance-t-il - et, Ă  l'issue de He Got Game, il demande si le Cameroun, le SĂ©nĂ©gal, le Congo et le Maroc sont "in da house" puis vilipende d'un trait le rĂŽle de la France dans le gĂ©nocide au Rwanda "il y a 25 ans". Surprise : pour Welcome to the Terrordome, Chuck D bondit soudain sur scĂšne vĂȘtu d'un gilet fluo jaune. Un signe de solidarité avec les Gilets Jaunes, ces "travailleurs de France traitĂ©s de plus en plus mal". Toujours affĂ»tĂ©, toujours pertinent, Chuck D restera sans doute jusqu'au bout le dernier des rappeurs subversifs.

Le Wu-Tang Clan presque au complet mais peu inspiré


Du Wu-Tang Clan, qu'on n'a jamais vu donner un concert carrĂ© et digne de ce nom, on n'attendait pas des miracles. De ce point de vue, ils ont plutĂŽt honorĂ© leur contrat vendredi devant un public tout acquis qui les attendait en faisant le signe de reconnaissance avec les mains (une chauve-souris qui pourrait ĂȘtre aussi une colombe, mains croisĂ©es et pouces enlacĂ©s). PremiĂšre dĂ©convenue : Method Man a fait faux bond sur cette tournĂ©e pour de sombres histoires pĂ©cuniaires. Ce n'est pas la premiĂšre fois que l'enfant chĂ©ri du crew de Staten Island (New York) se fait porter pĂąle, on s'en accomodera.

Young Dirty Bastard, le fils de Ol'Dirty Bastard, rappeur du Wu-Tang Clan, le 10 mai 2019 sur scĂšne Ă  Wembley (Londres) dans le cadre du Gods of Rap Tour. (JAMES SHAW/REX/SIPA / SHUTTERSTOCK)

On compte donc soigneusement l'arrivĂ©e sur scĂšne des mc, un par un, pour voir si les titulaires du reste du Clan ont bien fait le dĂ©placement. L'Ă©minence grise RZA, en tenue rouge et noire pas loin de son incarnation de Bobby Digital, joue le chef d'orchestre. Le formidable Ghostface Killah, le froc en bas des fesses, et son complice Raekwon en short, arrivent les premiers. On repĂšrera ensuite au fil du show Inspectah Deck, le gĂ©nial et trop discret GZA, U-God puis Cappadonna et peut-ĂȘtre Masta Killah (lui ou un autre?). Enfin, le siphonnĂ© Ol'Dirty Bastard, disparu prĂ©maturĂ©ment en 2004 Ă  l'Ăąge de 35 ans, est remplacĂ© par son fils Young Dirty Bastard, qui en fait une imitation aussi malaisante (jusqu'Ă  la coupe de cheveux et les mimiques, est-ce bien raisonnable?) que convaincante (au micro). 

RassurĂ©s de constater que l'Ă©quipe, dont une partie a profitĂ© d'ĂȘtre Ă  Paris pour rencontrer Assa Traoré qui exige toujours justice pour son frĂšre Adama TraorĂ©, a bien honorĂ© le contrat, on dĂ©chante nĂ©anmoins. Etant jusqu'Ă  neuf ensemble sur scĂšne au mĂȘme moment, les rappeurs se marchent sur les pieds rĂ©guliĂšrement au micro, offrant trop souvent une bouillie sonore inintelligible oĂč seuls surnagent RZA et Ghostface Killah, avec quelques coups d'Ă©clat de Cappadonna et Young Dirty Bastard. Globalement le coeur n'y est pas, on cherche la flamme, l'engagement du corps, l'inspiration.
RZA, rappeur, producteur et Ă©minence grise du Wu-Tang Clan, sur scĂšne le 11 mai Ă  la Manchester Arena dans le cadre du Gods of Rap Tour. (SH5/SAKURA/WENN.COM/SIPA / WENN.COM)

Autre fausse bonne nouvelle : le Wu-Tang Clan, qui cĂ©lĂšbre les 25 ans de son premier album, le sombre et rĂ©volutionnaire Enter the Wu-Tang Clan, 36 Chambers, propose une setliste longue comme le bras, avec pas loin d'une trentaine de chansons issues de tout son rĂ©pertoire et pas seulement les inusables de ce disque que sont C.R.E.A.M., Protect Your Neck ou Can It Be All So Simple. De quoi rugir de bonheur en choeur. Sauf que les titres sont ce soir bien trop souvent Ă©courtĂ©s, terminant avant mĂȘme d'avoir commencĂ©, abandonnĂ©s on ne sait trop pourquoi en cours de route. En particulier le hit Gravel Pit qui ne dĂ©passe pas le refrain, ou Shimmy Shimmy Ye rĂ©duit Ă  son premier couplet, alors que le groupe se fend par ailleurs de l'inattendue reprise des Beatles Come Together. "La musique c'est ce qui nous rassemble", souligne RZA, rappelant aussi comme Chuck D l'importance des quatre piliers de la culture hip-hop. La culture a bon dos : Ă  l'issue de ce concert dĂ©cevant, nos terreurs du micro concluaient le show sans aucun rappel, en s'Ă©vaporant soudain comme des voleurs sur Triumph.

Bilan : la nostalgie se porte bien et remplit toujours les caisses ("Cash Rules Everything Around Me", comme le rĂ©sumait le Wu-Tang Clan sur C.R.E.A.M). Au mĂȘme endroit, le Bercy AccorHotel Arena, nous avons vu ces derniĂšres annĂ©es trois groupes de rap français mettre le feu : le SuprĂȘme NTM, OrelSan et PNL. Tous avec une implication remarquable et des scĂ©nographies superbes dont notre rĂ©tine reste encore imprĂ©gnĂ©e. Alors on peut vous l'assurer : le rap français vaut bien le rap amĂ©ricain. Et, en tout cas sur scĂšne, le rap ce n'Ă©tait vraiment pas mieux avant. 

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