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Le Suprême NTM à Bercy, 30 ans et "toujours là pour foutre la foire"
Huit ans après le Parc des Princes, 10 ans après avoir rempli cinq Bercy d’affilée, Joey Starr et Kool Shen se remettent à la colle pour fêter les 30 ans du Suprême NTM. En prélude à une tournée, la légende inflammable du rap français fait halte ces jours-ci pour trois concerts à L’AccorHotel Arena. Nous avons assisté à celui de vendredi, et vaillamment tenté de résister à toute nostalgie.
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"Réouverture de la maison NTM"
"Je trouve qu’on a encore une certaine légitimité à rouvrir la maison NTM dans que ça pue le revival pourri", estimait Joey Starr dans son second livre de souvenirs paru en novembre dernier. "On le fait pour s’amuser. (…) Kool Shen est motivé. La paye est bonne, on a très envie tous les deux. NTM, c’est notre bébé."Au second soir de leurs trois concerts parisiens, Bercy est plein comme un œuf de quadras et de quinquas aux visages marqués qui n’ont pas vu le temps passer, accompagnés ici et là de leurs rejetons. Ça embaume déjà la sueur et la fumée. Le show démarre à l’heure, peu après 21h, sur un puissant effet pyrotechnique apocalyptique organisé autour des lettres NTM et une déclaration de Joey Starr surgie du passé : "On en a rien à foutre de parler de ce qu’on est, c’est ce qu’on fait qui est important".
Encadrés de Dj Pone et Dj R-Hash juchés sur un 9 et un 3, Kool Shen et Joey Starr entament avec "On est encore là" sous les acclamations d’un public chauffé à blanc qui se prend en retour les flammes de "Qu’est ce qu’on attend ?". Si Kool Shen est vêtu d’un sobre Jean’s/T-shirt, le Jaguar, tout en biscotos et tatouages, fait sa coquette avec une tenue noire de Jedi à capuche et jupette à laquelle il ne nous avait pas habitués.
Complices comme au premier jour
"C’est clair" : la complicité entre les deux légendes est au summum, leur proximité virilement affectueuse comme au premier jour tandis qu’ils se donnent la réplique en pros du ring, Kool Shen tenant la baraque de son phrasé sans accroc tandis que le Jaguar fait le show à base de rugissements et de Pow pow pow pow. Surtout, ils mouillent vraiment le maillot durant leurs 2 heures de show – aux mauvaises langues qui ne voient dans cette tournée qu’un moyen de se faire de la maille, on dira qu’ils ont mérité leur cachet.Les albums "Paris sous les bombes" (1995) et "Suprême NTM" (1998) sont à l’honneur et les hymnes se suivent, de "Pass le Oinj", et sa scénographie de ganja en technicolor, à "Paris sous les bombes" et ses projections saisissantes de graffeurs rossant les couloirs du métro, ou "Ma Benz" et son défilé de danseuses en shorts argentés.
La machine à nostalgie est bien huilée et balisée par une setlist réfléchie: ainsi les titres les plus susceptibles de faire chavirer les cœurs – "Tout n’est pas si facile" ou "Laisse pas traîner ton fils" par exemple - sont habilement suivis de changements d’atmosphère plus souriants ou trépidants. "Laissez tomber les mouchoirs", NTM "est toujours là pour foutre la foire".
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Défilé d'invités
"A nous deux, on a un siècle, ça fait une heure qu'on est là et vous êtes déjà fatigués ?" demande Kool Shen. "Ici c'est pas Brooklyn, c'est pas Bercy, c'est Saint-Denis", rugit l'ogre Joey Starr pour l'hymne impérissable "Seine-Saint-Denis Style" qui fait tanguer la foule.Les réglages sonores sont loin d'être parfaits, on ne distingue pas toujours ce qui se dit sur scène mais on n'a pas le temps de s'ennuyer : les invités défilent, de Raggasonic pour le tricotage toujours vert de "Aiguisé comme une lame", Lord Kossity monté sur ressorts pour "Ma Benz", ou Oxmo Puccino et le Rat Luciano accueillis par une ovation au rappel pour "That’s My People".
Les clins d’œil à leurs carrières solos respectives sont aussi l’occasion de faire monter sur scène Busta Flex ("Fallait K’sa Bug" notamment) avec Kool Shen, puis le dynamique Nathy de Carribean Dandy (avec Joey Starr) capable de faire improviser un pogo dans la fosse à un public courageux qui a souvent passé l'âge. Invités aussi le formidable human Beatbox Eklipse pour un petit freestyle et surtout le trio de choc Lord Kossity, Zoxea et Busta Flex sur le puissant final "IV My People".
Avec ses démonstrations de turntablism des deux dj et son interlude de danseurs comme à la grande époque, ce concert de Suprême NTM est le lieu où palpite encore toute la culture hip-hop, ce terme désuet en passe d'être balayé par le rap game.
https://www.instagram.com/p/BgI8sgNgLze/?hl=fr&taken-by=lord_kossity
Une révolte en sourdine
Bien que leurs textes résonnent toujours (hélas) avec le présent, nos deux bêtes de scène ne sont plus ces "hauts parleurs des banlieues" où "le désarroi est roi". On le constate lorsque résonne la sirène de "Police" et son woop woop hérité de KRS One. En dépit des projections d’affrontements avec les CRS et de brutalités policières, on sent une forme d’émoussement de la révolte aussi bien de la part de nos anciens "reporteurs sociaux" autoproclamés que de leur public.Elle est loin l’époque où le Suprême se faisait un devoir d’appuyer là où ça fait mal en commentant sur scène les moindres sujets d’actualité. Quelques doigts d’honneur se lèvent et les gosiers s’échauffent encore sur les rimes féroces de "Police", mais on sent bien que le cœur n’y est plus. La génération NTM a depuis trouvé sa place tant bien que mal, ravalé ses colères et plus ou moins tiré un trait sur ses espoirs. Ce pourrait être le climax incendiaire du concert, c’est finalement pour nous et de ce fait l’un des plus émouvants.
D’autant qu’il est enchaîné sur "Le Monde de Demain", le seul titre joué ce soir extrait de leur premier album "Authentik" sorti en 1991. Là, ce sont les projections du clip, avec les fantômes en noir et blanc de DJ S et de Lady V, qui nous flanquent un petit coup de blues. "Putain c’est loin tout ça, c’est loin"…
Suprême NTM est à nouveau en concert samedi soir à l’AccorHotel Arena puis en tournée
https://www.instagram.com/p/BgJI3hjh-9h/?taken-by=flexbusta
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