Centenaire de Charles Aznavour : un grand parolier, mais aussi un compositeur au service de nombreux artistes
Charles Aznavour, légende de la chanson dont on célèbre actuellement le centenaire de la naissance, s'est illustré durant sa longue carrière artistique en tant qu'auteur, compositeur et interprète, mais aussi acteur pour le cinéma et la télévision... Côté musique, on connaît les succès d'Aznavour chantés par Aznavour. Mais connaît-on les succès d'Aznavour immortalisés par d'autres vedettes ? À ses débuts dans la chanson, l'artiste dont le timbre feutré suscitait d'incessantes critiques écrivait pour les autres, avant de se faire enfin un nom. Il a continué par la suite à offrir ses services. Parmi les quelque 1 400 chansons que compte son répertoire, il en a écrit beaucoup pour Édith Piaf, Gilbert Bécaud, mais aussi Johnny Hallyday, Marcel Amont, Eddie Constantine... Certaines ont connu un énorme succès et se sont inscrites dans la mémoire collective. En voici une sélection.
Pour Johnny Hallyday : "Retiens la nuit" (1961)
Charles Aznavour et Johnny Hallyday, de 19 ans son cadet, nouèrent une solide amitié au début des années 1960. Le premier, qui accueillait régulièrement "l'idole des jeunes" dans sa maison, lui a écrit cinq chansons. La plus célèbre est Retiens la nuit, un texte d'Aznavour dont Georges Garvarentz, son beau-frère et collaborateur le plus proche, fit une ballade tendre et voluptueuse. Sortie en décembre 1961, la chanson est reprise l'année suivante (dans une version plus courte) dans le film à sketches Les Parisiennes mis en scène par quatre réalisateurs. Marc Allégret signe la réalisation du sketch Sophie, avec Catherine Deneuve et Johnny Hallyday. Toujours en 1962, le jeune chanteur enregistre une version anglaise, Hold Back The Sun, restée inédite jusqu'en 1993.
Pour Sylvie Vartan : "La plus belle pour aller danser" (1964)
Autre tube du tandem Charles Aznavour (pour les paroles) et Georges Garvarentz (pour la musique). La plus belle pour aller danser fait partie initialement de la bande originale d'un film sorti en 1964. Le film en question, Cherchez l'idole, réalisé par Michel Boisrond, permet à plusieurs personnalités du music-hall d'y apparaître dans leur propre rôle. Aznavour et Garvarentz y cosignent des chansons - entre autres - pour Eddy Mitchell et son groupe de l'époque les Chaussettes noires, Johnny Hallyday, Jean-Jacques Debout, Frank Alamo, Nancy Holloway... Mais la chanson confiée à Sylvie Vartan connaîtra un succès dépassant les frontières françaises et triomphera notamment au Japon. En 2018, Sylvie Vartan confiait à Télé-Loisirs avec amusement que Johnny Hallyday, qui partageait sa vie à l'époque, n'appréciait guère la chanson, jugeant les paroles "très osées". C'est la phrase "Si tu veux ce soir cueillir le printemps de mes jours" qui "le choquait énormément", a-t-elle précisé en riant avant de commenter : "Les temps ont changé, n'est-ce pas !" (voir vidéo bonus de l'article de Télé-Loisirs )
Pour Juliette Gréco : "Je hais les dimanches" (1951)
Écrite par Charles Aznavour, composée par Florence Véran, la chanson Je hais les dimanches est refusée dans un premier temps par Édith Piaf. Alors, Juliette Gréco s'en empare et l'enregistre en 1951, ce qui contribue à sa renommée. Le 23 août de la même année, Gréco remporte le Prix Édith Piaf d'interprétation à Deauville. Entre-temps, Piaf finit par l'enregistrer. Par la suite, Aznavour enregistrera lui-même sa chanson, à trois reprises : en 1958, en 1964, puis en 1970 en anglais sous le titre Sunday's Not My Day.
Pour Gilbert Bécaud : "Mé qué mé qué" (1953)
Quand Charles Aznavour découvre en 1953 le thème composé par Gilbert Bécaud, il n'écrit pas de texte sophistiqué, juste des mots pour en définir "le canevas", relatait le chanteur franco-arménien en novembre 2014 dans Le Nouvel Obs. Cette première esquisse est appelée monstre. Il se souvenait : "Une fois ce monstre terminé, avec Gilbert nous nous sommes regardés : qu’allions-nous en faire ? [Bécaud] a alors proposé la chanson en l’état à un chanteur des îles, Gilles Sala. Pensant qu’on voulait se payer sa tête, il l’a refusée. C’est finalement Dario Moreno qui l’a créée [en 1954]. Gilbert l’a enregistrée aussi, puis ce fut à moi de m’y coller. Il y a trois versions de cette chanson qui, à notre grande surprise, a remporté un succès. Joe Dassin la reprendra aussi bien plus tard. Pensant qu’elle appartenait au folklore, les Américains nous l’ont piquée : ils ont perdu le procès, ils ont payé." Parmi les autres fruits du partenariat entre Aznavour et Bécaud, on citera aussi Je t'attends.
Pour Édith Piaf : "Plus bleu que tes yeux" (1951)
C'est en 1946, par l'intermédiaire de Francis Blanche, que Charles Aznavour, qui forme alors un duo avec le pianiste et compositeur Pierre Roche, rencontre Édith Piaf. Elle le prend sous son aile, l'emmène en tournée puis l'embauche comme homme à tout faire (secrétaire, régisseur, chauffeur, chanteur en première partie quand il se lance en solo...). Surtout, à partir de 1948, "la Môme" va chanter plusieurs de ses textes, sur des musiques de Pierre Roche, Robert Chauvigny, Wayne Shanklin... Enregistrée en 1951, Plus bleu que tes yeux est une chanson pour laquelle Aznavour signe à la fois les paroles et la musique. Le jeune artiste enregistre sa propre version en 1952. En 1997, Aznavour réenregistre la chanson en associant sa voix à celle de Piaf, qu'il accompagne avec une seconde voix. Un bel hommage.
Pour Édith Piaf : "Jezebel" (1951)
Jezebel, autre chanson célèbre de Piaf dont Aznavour signe les paroles, est à l'origine un succès américain du répertoire du chanteur Frankie Laine, datant d'avril 1951. La chanson est signée Wayne Shanklin, auteur, compositeur et interprète américain. Le nom "Jezebel" évoque un personnage biblique, Jézabel, une princesse phénicienne malfaisante et perverse. Dans la chanson de Wayne Shanklin, le narrateur s'adresse à une femme qui lui a infligé tous les tourments. Il subit le sentiment amoureux comme une "obsession" quasi "démoniaque" : "Si jamais le diable est né sans paire de cornes/ C'était toi, Jezebel, c'était toi." Quelques mois plus tard, Aznavour offre à Édith Piaf une adaptation française qui s'inspire en partie du texte original en anglais : "Ce démon qui brûlait mon cœur/ Cet ange qui séchait mes pleurs/ C'était toi, Jezebel, c'était toi/ Ces larmes transpercées de joie/ Jezebel, c'était toi." Dans la version française, l'amour pour Jezebel relève aussi d'une "obsession", mais elle est due cette fois à la douleur lancinante du départ - ou de la disparition - de l'être aimé.
Pour Marcel Amont : "Le Mexicain" (1962)
Disparu le 8 mars 2023, le très attachant Marcel Amont doit à Charles Aznavour le plus grand tube de sa carrière, l'inénarrable Mexicain, sorti en 1962. Aznavour a composé cette chanson avec le parolier Jacques Plante, l'un de ses grands partenaires d'écriture. Charles Aznavour offrira d'autres titres à Marcel Amont, dont Moi le clown (cosigné avec Jacques Mareuil).
Bonus : Aznavour derrière deux samples archi connus
Qui n'a jamais entendu la musique percutante qui lance les magazines de Laurent Delahousse le week-end sur France 2 ? C'est l'artiste lillois Roger Molls, alias Julien Amez de son vrai nom, qui l'a signée. En janvier 2022, le musicien expliquait dans La Voix du Nord qu'il avait réalisé ce morceau, intitulé Hipology, à partir de l'introduction instrumentale d'une chanson de Charles Aznavour, Comme l'eau, le feu, le vent (1969).
Il avait découvert ce titre sur un vinyle emprunté à la médiathèque de Roubaix. "J’ai repris les quatre secondes de l’intro que j’ai bouclées, découpées. Un mois et demi de boulot. Il ne faut pas croire, une fois que tu as le sample, il faut assurer derrière", soulignait-il dans le média nordiste.
Enfin, qui n'a jamais entendu la fameuse partie instrumentale du titre rap What's the Difference (1999) de Dr. Dre auquel participent Eminem et Xzibit ? Elle reprend la section cuivre de Parce que tu crois d'Aznavour, une chanson sortie en 1966.
Le monde du hip-hop, de part et d'autre de l'Atlantique, ne boude pas son plaisir de sampler le chanteur, comme le résumait Le Monde dans une vidéo d'octobre 2018. C'est l'occasion de saluer de très grands arrangeurs et orchestrateurs des disques de Charles Aznavour de cette époque : Paul Mauriat et Christian Gaubert.
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