Pour le centenaire de sa naissance, Charles Aznavour sur grand écran dans "Aznavour, un destin de cinéma"

"Je me voyais déjà en haut de l'affiche", les paroles de la chanson sonnent juste pour qualifier la carrière d'acteur d'Aznavour. Au générique de plus de cinquante films de 1936 à 2006, de Duvivier à Mocky, de Chabrol à Truffaut, à travers l'ouvrage de Philippe Rège, "Aznavour, un destin de cinéma", découvrons le comédien qui se cachait derrière l'immense chanteur.
Article rédigé par Christophe Airaud
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Charles Aznavour discute avec le comédien Michel Serrault et le réalisateur Claude Chabrol, le 20 janvier 1982, à Concarneau, lors du tournage du film "Les Fantômes du chapelier", dans lequel il interprétait le rôle d'un tailleur arménien. (JEAN-PIERRE PREVEL / AFP)

Pour le centenaire de sa naissance en octobre 2024, devant la caméra de Mehdi Idir et de Grand Corps Malade, Tahar Rahim sera Charles Aznavour. Un biopic pour l'instant au contenu secret, mais nous pouvons imaginer que le récit de la vie du chanteur fasse une embardée vers ses rôles au cinéma.

Car le 7e art, pour Aznavour, ne fut pas une passade. Les plus grands réalisateurs de la deuxième partie du XXe siècle ont fait tourner le chanteur. Qui l'a vu sur scène comprend bien que, chanteur ou acteur, Charles Aznavour avait en lui ce sens du jeu fait de fragilité, mais aussi de magnétisme. Recueil d'histoires de ce générique de film que fut sa vie de comédien dans Aznavour, un destin de cinéma de Philippe Rège aux éditions Hugo Doc.

La scène, de l'exil à l'enfance

L'ouvrage de Philippe Rège regorge d'anecdotes sur le parcours de Charles Aznavourian. Il embarque dans quatre-vingts ans de cinéma. Nourri en cinéphilie au Cinéac du faubourg Montmartre, enfant issu d'une famille arménienne, Charles suit les cours de l'École des enfants du spectacle. Contrairement à de nombreux parents tentant coûte que coûte d'écarter leur progéniture de ces métiers de saltimbanques, son père baryton et sa mère comédienne encouragent leur fils et leur fille sur la voie du spectacle. Charles est un enfant de la balle, dont les parents immigrés ont vu leur carrière fracassée par l'exil forcé. Les parents fondent une troupe amateur et le petit Charles les admire. Philippe Rège cite Aznavour à ce sujet : "J'ai toujours gardé dans mon cœur une infinie tendresse pour ces comédiens et ces chanteurs frustrés (...) c'est sans doute en découvrant tout ce qu'ils avaient enduré (...) que l'enfant que j'étais a compris que leur destin, sur scène, serait aussi le mien."

En novembre 1935, Pierre Fresnay met en scène Margot d'Édouard Bourdet à Marigny. Il engage Charles. Il a 11 ans. Une figuration, mais une photo dans le programme, nous apprend Philippe Rège. Sur la scène, Yvonne Printemps et Jacques Dumesnil. On peut trouver pire comme premiers camarades de scène. Dix francs par répétition et quatorze francs par représentation. "Je prélevais quelques francs sur les sommes gagnées et donnais le reste à ma mère qui gérait nos finances."

La gloire en chanson, mais le cinéma sur la pointe des pieds

"Je vins au cinéma comme acteur sur la pointe des pieds", disait Aznavour, mais c'est avec La Tête contre les murs de Georges Franju en 1957 qu'il fait son entrée dans la cour des grands. France Roche déclarait à l'époque : "Charles Aznavour, en petit clown mélancolique, évoque Chaplin, en plus sincèrement tendre." Vient ensuite la Nouvelle Vague. Godard hésite puis renonce à engager le chanteur pour À bout de souffle. Ce sera Belmondo finalement qui emportera ce rôle et dont l'interprétation rentrera dans l'histoire du cinéma.

L'autre réalisateur de la Nouvelle Vague est François Truffaut. C'est la fragilité que trimballe l'acteur Aznavour qui séduit le réalisateur : "La vulnérabilité de Charles a été celle de Jean Gabin, autrefois, quand il n'avait pas forcément le beau rôle, le Gabin de La Bête humaine." Il sera donc Charlie Kohler dans Tirez sur le pianiste, un scenario adapté du roman de David Goodis. Un pianiste veuf réfugié dans un cabaret qui sera bientôt confronté à des gangsters robustes. Un film noir, hommage au cinéma noir hollywoodien.

Aznavour interprète un personnage timide, effacé et effondré par le suicide de sa femme. Truffaut savait que tout le talent du comédien résiderait dans ces attitudes discrètes, loin des fiers-à-bras. Il faut tout le talent et la retenue de l'acteur pour rendre ce rôle profond et émouvant. François Truffaut a trouvé en Aznavour son alter ego adulte comme il a trouvé en Jean-Pierre Léaud son alter ego enfant, nous dit Philippe Rège.

Aznavour acteur, c'est l'éloge de cette fragilité. Les critiques acerbes sur son physique et sa voix ont bien failli l'écarter de la gloire en tant que chanteur. Au cinéma, les mêmes mesquines remarques ne l'empêcheront pas d'être en haut de l'affiche. La gloire et l'emploi du temps de la star mondiale qu'est devenue Aznavour empêcheront, hélas, de nouvelles collaborations.

Des films cultes, mais aussi des navets

Aznavour navigue entre cinéma d'auteur – il est une icône de la Nouvelle Vague – et le cinéma commercial avec lequel il flirte. Au fil des films, il cultive son jeu d'acteur. Sur un plateau, Aznavour a le don de changer de registre. "On connaît l'aptitude de l'acteur Aznavour à alterner les registres, parfois au cours d'une même scène. Passant de la mélancolie à la gaieté, de la timidité à l'extraversion", écrit Philippe Rège. Et il cite dans France-Soir en 1966, Robert Chazal qui écrivait : Il joue avec une extraordinaire simplicité de moyens son rôle de Pierrot émerveillé. Il a tant de talent qu'il réussit à nous faire oublier qu'il est Charles Aznavour."

Charles Aznavour vient de recevoir des mains de Michel Serrault, avec un plat de spaghettis sur la tête, un César d'honneur en hommage à son œuvre, le 8 février 1997 au théâtre des Champs-Élysées. (MICHEL GANGNE / AFP)

Aznavour n'aura peut-être pas eu la carrière qu'il aurait pu espérer. Lui-même se qualifiait "d'acteur par intérim". Il n'hésitait pas à déclarer : "Je ne suis pas fier de tout ce que j'ai fait. Je me suis égaré dans de sacrés navets ! Dans ma filmographie chaotique, je ne sauve guère que Duvivier, Franju, Mocky, Réné Clair, Claude Chabrol et François Truffaut. C'est peu en cinquante films."

Fausse modestie sûrement, car combien d'acteurs auraient rêvé d'inscrire leur nom sur des affiches de films réalisés par de si grands réalisateurs.

Au côté de films tels qu'Un taxi pour Tobrouk avec Lino Ventura ou Le Tambour de Volker Schlöndorff qui resteront dans les mémoires des cinéphiles, il est savoureux de parcourir les quelques nanars qui s'incrustent dans sa carrière. L'histoire du cinéma ne serait rien sans ces navets. Pour n'en citer qu'un, et pas des moindres, Folies bourgeoises du pourtant impeccable Claude Chabrol. "Un vaudeville consternant", dit Philippe Rège. Chabrol renchérit : "Un film délibérément con." Mais grâce à ce film, six ans plus tard, Chabrol et Aznavour se retrouvent dans Le Fantôme du chapelier, avec Michel Serrault comme partenaire. Et c'est bien Chabrol qui parlera le mieux de l'Aznavour comédien : "Charles a une force formidable qui est très rare, c'est qu'il a les yeux les plus émouvants du cinéma international."

"Aznavour, un destin de cinéma" de Philippe Rège aux Éditions Hugo Doc 220 pages, 18,50 euros.

Couverture du livre, "Aznavour, un destin de cinéma" de Philippe Rège. (HUGO DOC)

Extrait : 

La première pièce représentée, Arlequin magicien de Jacques Copeau mise en scène par Jean Dasté, offre à Charles Aznavour le rôle-titre. Son entrée en scène, accroché à une corde, ne passe pas inaperçue. "J'agrémentais le rôle de tas de trucs personnels. Avec l'expérience acquise comme Cigalon, je connaissais les surprises des tournées : les décors mal plantés qui vous tombent dessus, le rideau qui se coince. Arlequin pouvait, par ses dons particuliers, pallier tous les inconvénients, toutes catastrophes (…). Je pouvais faire des acrobaties, jouer un peu de guitare, je pouvais danser, chanter, tout ça faisait le personnage. Si je parlais juste, je ne pense pas que je jouais bien, mais le tout faisait un bon Arlequin."

D'autres pièces suivront : L'Amour africain de Prosper Mérimée, Les Fâcheux de Molière, dans lequel il joue un spadassin, et Arlequin poli par l'amour de Marivaux. Au terme de chaque représentation, Charles interprète quelques chansons puisées dans le patrimoine français. "Charles était extrêmement doué comme acteur, confirme José Quaglio, mais il avait déjà la passion de la musique et, dès que l'occasion se présentait, il se mettait au piano pour jouer et chanter. Pourtant, aucun d'entre nous, à l'époque, n'imaginerait qu'il se dédierait entièrement à la chanson. Pour nous, c'était avant tout un comédien. Cela se sent dans sa manière de chanter ; il travaille ses textes en profondeur, comme un acteur travaille une pièce. Il n'y a pas besoin de le voir sur scène pour s'en rendre compte. Cela n'est pas une question de gestes, mais de simple mise en scène des paroles. Rien qu'à l'écoute, il est évident qu'Aznavour a mis à profit toute cette rigueur et ce contrôle qu'il a appris au théâtre. Ce qui explique également les choses étonnantes qu'il a pu réaliser au cinéma." (page 23)

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