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A Marly-Gomont, le culte éternel de Kamini

Le village picard a connu son heure de gloire, il y a dix ans, lorsque le rappeur Kamini lui a consacré une chanson. Il refait parler de lui, à travers un film racontant l'arrivée de sa famille, entre racisme et méfiance.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
L'entrée du village de Marly-Gomont (Aisne), le 8 juin 2016. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

A l'entrée du village, il manque encore l'un des panneaux de signalisation indiquant le nom de la commune. Il a été volé il y a quelques mois. Emporté comme souvenir, une fois de plus. Bienvenue à Marly-Gomont, petit village rural de Picardie de 470 âmes, à une demi-heure de route de la frontière belge. Le bourg doit sa célébrité au rappeur Kamini. En 2006, l'enfant du pays a composé une chanson, devenu un tube, dans laquelle il raconte avec humour son adolescence entre ennui et racisme ordinaire.

Dix ans plus tard, le chanteur consacre un film, Bienvenue à Marly-Gomont, sorti mercredi 8 juin, à son ancienne bourgade, une comédie qu'il a coscénarisée. Il raconte l'arrivée, au milieu des années 1970, de sa famille originaire de Kinshasa, et les difficultés surmontées par son père pour se faire accepter comme médecin de campagne par des habitants qui voyaient pour la première fois des immigrés africains s'installer. Quatre décennies ont passé. Le docteur Seyolo Zantoko est mort. Sa femme, son fils Kamini, ses frères et ses sœurs ont déménagé. Mais le souvenir de cette laborieuse intégration est encore vivace. Les mentalités ont-elles vraiment changé dans un village, qui plébiscite le Front national à chaque élection ?

"La couleur de peau, à l'époque, ça n'a pas facilité les choses"

Daniel, 78 ans, ancien garagiste dont les deux pompes à essence désaffectées sont restées plantées dans le trottoir de la rue principale, est l'un des habitants de Marly-Gomont immortalisés par Kamini dans son clip. Il est allé avec le maire et une vingtaine d'habitants assister à l'avant-première du film. "Le docteur Zantoko a eu du mal à s'implanter, reconnaît-il. Il faut dire que la couleur de peau, à l'époque, ça n'a pas facilité les choses. Il y avait certaines personnes qui tiquaient parce que c'était un NoirMais on n'arrivait pas à avoir de médecin, alors on ne s'est pas arrêté à ça." Le docteur Zantoko a fini par être adopté et les habitants, unanimes, chantent les louanges de leur médecin de campagne disparu. 

"Tous ces petits Noirs qui couraient dans les rues du village, c'était drôle"

"On n'arrivait pas à les reconnaître. A nos yeux, ils se ressemblaient tous", sourit, un peu gênée, Maryse, l'épouse du maire et coiffeuse du village, dont le salon sert d'annexe à la mairie lorsque celle-ci est fermée. La quinquagénaire a pavoisé la devanture de sa boutique d'une affiche du film, encadrée d'or. Les jeunes du village s'arrêtent pour la prendre en photo. Maryse et son mari se sont installés au début des années 1980 à Marly-Gomont, quelques années seulement après Kamini et sa famille.

L'histoire de leur intégration est bien différente. "Pour les gens d'ici, nous étions nous aussi des étrangers. Mais les jeunes du village sont venus nous chercher et nous nous sommes tout de suite impliqués dans la vie locale. Tout s'est fait naturellement et on a été vite acceptés. Eux, ils sont arrivés avec un handicap de plus : ils étaient Noirs, lâche la coiffeuse. On n'avait pas du tout ressenti ça comme eux, on s'en est rendu compte avec le recul."

Maryse Delache devant son salon de coiffure à côté de l'affiche du film "Bienvenue à Marly-Gomont", le 8 juin 2016 à Marly-Gomont (Aisne). (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

"On voyait tous ces petits Noirs qui couraient dans les rues du village, c'était drôle", se remémore Annabelle, la masseuse-kinésithérapeute, qui n'a pas oublié ces regards insistants. Lorsqu'elle était enfant, elle allait au cours de danse avec les sœurs de Kamini. "Là aussi, elles étaient les deux seules Noires", pointe-t-elle. 

"Il y a eu cette surprise de voir arriver des étrangers dans un petit village de campagne, mais les gens se sont habitués, estime la kiné. Il y a peut-être encore quelques rustres qui ne sont jamais sortis de leur campagne." "On est à la campagne, on reste un peu chacun chez soi, c'est dans notre mentalité", excuse Claudine, une cliente du salon de coiffure et dont le docteur Zantoko était le médecin.

"Maintenant, on est habitué à voir des étrangers"

"Ça ne serait plus pareil aujourd'hui. Les mentalités ont évolué", veut croire Daniel, le retraité. Gaston et Marie-Claude tenaient la boucherie-charcuterie. Leurs enfants sont allés à l'école avec les frères et sœurs de Kamini. "Maintenant, on est habitué à voir des étrangers", renchérit l'épouse. "On a eu un prêtre africain, il y a quelques années", relève le mari. Mais depuis qu'il est parti, il n'y a plus aucun habitant issu de l'immigration au village.

"J'étais le seul black" dans ce "village paumé" avec ses "95% de vaches, 5% d'habitants", "j'ai croisé pas mal d'ordures", "je voulais me révolter", chantait Kamini en 2006, égrainant les surnoms racistes lancés par les enfants à l'école, "Bamboula, Pepito, le noiraud", et ajoutant que "dans la bouche des enfants réside bien souvent la vérité des parents." 

"On est passés pour des arriérés"

"Quand la chanson est sortie, ça nous a interpellés. C'était une critique, même si c'était fait avec humour. On est passés pour des arriérés", déplore Annabelle. La kiné se souvient de l'étonnement général, du succès fulgurant, des millions de vues sur internet, des centaines de milliers de disques vendus. "Les gens s'arrêtaient en voiture pour se prendre en photo à l'entrée du village." Gauthier, le fils d'Annabelle, avait 4 ans à l'époque. "Tout le monde la chantait, même à la maternelle." Lui avait fait un portrait géant de Kamini avec du polystyrène.

Soudain, le village s'est mis à éprouver une certaine reconnaissance à l'égard de son fils prodigue. "Avant, quand on disait qu'on venait de Marly-Gomont, les gens ne savaient pas où c'était. Maintenant, où qu'on aille, dans le Sud, en Savoie ou même en Suisse, tout le monde a entendu parler de notre village grâce à Kamini", se réjouit Annabelle, qui, comme beaucoup d'autres habitants, soutient son héros local : "On est allés le voir en concert, il est venu jouer son one-man-show et on est partis en famille voir son film. Et quand il passe dans le village, c'est toujours l'effervescence."

Une inscription Kamini City à la sortie de Marly-Gomont (Aisne) peinte en hommage au rappeur picard, le 8 juin 2016. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

"S'il a fait tout ça, c'est aussi parce qu'il aime son village, qu'il y est attaché et qu'il a de bons souvenirs", veut-elle croire.  Et comme il y a dix ans, le village attire les journalistes. Un défilé qui commence à en lasser certains. "C'est bon, on a donné", lance dans un sourire, mais avec fermeté une commerçante, occupée à garnir les rayonnages de sa supérette.

Le disque d'or de Kamini exposé à la mairie

Dans le bureau de la mairie, le disque d'or que Kamini a offert à la commune trône sur le manteau de la cheminée. L'affiche de son film est venue le rejoindre. Le maire, Dominique Delache, sans étiquette, savait que Kamini voulait faire un film de cette tranche de vie, mais il n'a appris l'existence du long-métrage qu'une fois celui-ci terminé. Il regrette, au passage, qu'il ait été tourné en Belgique et pas à Marly-Gomont. Beaucoup d'habitants se seraient bien vus figurants. "J'avais des craintes, je redoutais les caricatures", avoue l'édile, qui a été rassuré en voyant le résultat.

"Le film est juste. Il traduit bien l'esprit du monde rural. Le Picard met du temps à accepter celui qui lui est étranger. Et ce n'est pas juste à cause de sa couleur de peau, souligne l'élue. Il faut donner de sa personne, s'impliquer dans la vie locale. Mais une fois que vous êtes acceptés, c'est fait. C'est encore plus vrai pour les professions médicales où la confiance entre le médecin et ses patients est cruciale."

"Aucun parallèle entre l'histoire de Kamini et la montée du FN dans notre région"

Le maire note tout de même une évolution : "Aujourd'hui, il y a un plus grand brassage de population et les jeunes sont moins attachés à leur clocher que les anciens. Cette méfiance à l'égard de l'étranger, ce n'est pas du racisme. Je n'aime pas le mot raciste. Les enfants ne sont pas racistes, sauf quand les parents s'en mêlent. Il y a une culture de la différence qu'on a ou pas." 

Le maire de Marly-Gomont (Aisne), Dominique Delache, dans le bureau de la mairie, le 8 juin 2016. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)

A Marly-Gomont, Marine Le Pen est arrivée en tête au premier tour de la présidentielle de 2012 avec 29% des voix et elle a obtenu près d'une voix sur deux aux régionales de 2015. Le village a même élu un conseiller FN aux départementales de 2015. "Je ne me l'explique toujours pas, commente le maire. La montée du FN, c'est le résultat de beaucoup de déceptions, d'un ras-le-bol face à la situation économique et à un monde politique parfois indécent. Ce n'est pas par racisme primaire : ils n'ont jamais vu un Arabe de près."

"Il n'y a aucun parallèle entre l'histoire de Kamini et la montée du FN dans notre région, assure le maire. Kamini nous a toujours renvoyé l'ascenseur, c'est bien la preuve qu'il a dû apprécier les moments passés chez nous." Appuyé sur sa canne dans la rue principale, Yvon, 69 ans, qui tenait l'épicerie du village, confirme cette affection réciproque : "Bien sûr que j'irai voir son film. Il est quand même du pays, le gamin." La dernière fois qu'il est allé au cinéma, c'était il y a huit ans, pour Bienvenue chez les Ch'tis, de Dany Boon. 

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