Les étudiants de l'Institut Français de la Mode lancent la Paris Fashion Week avec un défilé mêlant monde réel et virtuel
Les étudiants en master à l'Institut Français de la Mode (IFM) vont lancer avec leur défilé, mêlant monde réel et virtuel, la semaine du prêt-à-porter féminin automne-hiver 2022-23 à Paris, qui se déroule du 28 février au 8 mars 2022. Retour sur la genèse du projet.
Ce n’est pas une première mais c’est, cependant, un événement pour une non marque. Le défilé des étudiants de l'Institut Français de la Mode lance le 28 février la Fashion Week féminine pour la saison automne-hiver 2022-23 à Paris. 59 étudiants de 16 nationalités, issus de quatre masters - 24 en fashion design, 8 en maille, 13 en accessoires et 14 en image - ont participé à ce show.
Signe de l’entrée de la virtualisation dans les enseignements, une partie des images de ce défilé sont transposées dans un univers virtuel avec des accessoires qui deviendront des NFTs. Ces derniers sont issus d'une co-création avec l’équipe de design de Stage11 (société française de Métavers) : les étudiants récupéreront les fichiers 3D et pourront les monter en NFTs.
Installé à la Cité de la Mode et du Design à Paris, l’IFM - qui a fusionné en 2019 avec l’École de la Chambre Syndicale de la Couture Parisienne - offre un enseignement du CAP au Doctorat qui s'articule autour de trois piliers : savoir-faire, création et management. Les étudiants y disposent d'ateliers maille et maroquinerie, studios de création, Fab Lab, studio photo, laboratoire de CAO…
Rencontre avec Xavier Romatet, Directeur Général de l'IFM, et Leyla Néri, directrice du master fashion design, qui reviennent sur la genèse de ce défilé.
Franceinfo culture : vous aviez lancé, en mars 2021, la Paris Fashion Week automne-hiver 2021-22 avec un défilé. En quoi se distingue cette seconde édition - qui est un événement pour une "non marque" - d'ouvrir la semaine de la mode ?
Xavier Romatet, Directeur Général de l'IFM : En mars 2021, on avait fait un défilé filmé pour la semaine du prêt-à-porter féminin automne-hiver 2021-22. Cette année, c'est un film qui valorise le travail créatif des étudiants de masters. On a voulu une espèce de fil rouge pour raconter une histoire, même si chaque étudiant a son propre territoire, sa propre identité créative. On a essayé d’unifier cela et j'espère que cela donnera une autre vision de la qualité du travail des étudiants avec une écriture qui ne ressemble pas à celle de mars 2021. On doit chaque année se réinventer pour capter l’attention des publics auxquels on s’adresse.
Pourquoi ce défilé est important pour les étudiants en master ?
Xavier Romatet : C’est dans le processus pédagogique : ceux qui défilent sont des étudiants de master. Ils ont 18 mois de scolarité : la première année, ce sont essentiellement des travaux créatifs qui leur permettent d’optimiser et d’explorer des territoires créatifs qui ne leur sont pas forcément coutumiers. Ils travaillent beaucoup avec des marques car nous avons la chance à Paris d’avoir des marques avec lesquelles nous avons des collaborations fortes.
A partir du mois de mai et avant fin juin, ils doivent travailler sur le concept de leur collection personnelle et en avoir une idée assez précise. Entre septembre et mi-février, 80% de leur temps est consacré à la réalisation de ce projet personnel. Ils sont aidés, tant sur le plan technique que sur le plan stylistique, par les professeurs et l’encadrement, qui vont corriger et réorienter leur travail, les pousser un peu plus loin et donner une cohérence à l’ensemble. Dès octobre, nous avons alors une idée assez précise de ce à quoi vont ressembler leurs travaux. On commence alors à penser à comment on orchestre tout cela pour la Paris Fashion Week : on réfléchit à la forme, à l’histoire que l’on va raconter. En janvier, on rentre dans l’exécution.
Ci-dessous Hugo Castejon-Blanchard, étudiant en fashion design à l'IFM, qui a participé à ce défilé, explique la génèse de sa collection pensée sur le narcissisme.
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Pourquoi ce choix de la virtualisation et des NFT ?
Xavier Romatet : On est partis d’idées assez simples. La première, c’est que pour les jeunes designers d’aujourd’hui, il n’y a plus de frontières de territoire, même si leur appartenance à un pays est quelque chose d’important. Mais ce n’est pas un repli nationaliste sur soi-même, c’est une identité forte qu’ils veulent faire partager au plus grand nombre. Il n’y a plus de territoire dans les genres : non pas qu’il n'y ait pas des différences entre les hommes et les femmes, mais c’est eux qui fixent ces nouvelles frontières, ce qui leur donne une opportunité créative. Il n’y a plus de frontière entre le physique et le digital : pour un étudiant de 25 ans qui est dans la création, l’univers de la 3D, des métavers, c’est la prolongation de la création physique. Cela leur offre des possibilités d’aller plus loin. Alors, on s’est dit on va faire quelque chose qui abolit les frontières.
La deuxième, comme nous ne sommes pas une marque, nous avons autant de propos créatifs que d’étudiants. Donc, il fallait mettre en majesté le vêtement lui-même : c’est pour cela que dans le défilé la majorité des mannequins (qui ont participé au tournage) sont masqués. Le masque n’est pas un masque lié à la pandémie mais un accessoire qui va prolonger le travail créatif pour ne pas établir de frontière entre la tête et le corps. C’est pour donner une identité d’ensemble du vêtement, masque compris. Dans ce film - où il y a du réel, des performances, du virtuel, de la 3D - tous les univers se mélangent et servent de support pour mettre en valeur le travail des étudiants.
Leyla Néri, directrice du master Fashion design : Les créations des étudiants sont extrêmement diversifiées dans les quatre spécialités. Ils ont été totalement libres : après les croquis en septembre, ils ont travaillé sur les toiles en octobre et dans les vraies matières, fin novembre. Nous avons sélectionné les sept meilleurs looks de chacun. En partenariat avec Stage11, chacun des 13 étudiants en master accessoires a créé un objet virtuel en complément de sa collection réelle (cinq accessoires obligatoires) en choisissant un objet extrêmement créatif, impossible à réaliser dans la vraie vie. Cet accessoire, pas fonctionnel, pas réaliste, complètement imaginaire - comme une espèce de sculpture dans l’espace qui raconte l’histoire de sa collection de manière exagérée - fera l'objet d'un NFT. Le monde virtuel donne de la liberté : pas de contrainte de poids, de portabilité, de fonctionnalité. Les étudiants ont adoré cette expérience : ils ont appris à travailler avec le monde du virtuel et ont découvert ce que cela pouvait leur ouvrir en tant que processus créatif d’objets qu’ils n’auraient jamais pu concevoir dans le monde réel à cause des contraintes.
Ci-dessous, Claire Barreau, étudiante en master womenswear à l'IFM, explique la genèse de sa collection inspirée par la photographe américaine Nadia Lee Cohen.
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Comment s'est passé le tournage ?
Xavier Romatet : La réalisation de ce tournage sur deux jours (les 12 et 13 janvier) a été confiée à Antoine Assaraf, professeur et réalisateur qui a fait beaucoup de films sur la mode. Les étudiants de la direction artistique image sont complètement acteurs du défilé : ils ont été très impliqués, collaborant avant et pendant le défilé, même si la production a été faite par des professionnels - cabine, maquilleurs, coiffeurs, stylistes, réalisateurs. Nos étudiants sont les seuls au monde à avoir la chance de défiler en ouverture d’une Fashion Week, beaucoup d’écoles défilent mais jamais dans ce cadre ! Il faut absolument que cette chance soit transformée en opportunité pédagogique… c'est un élément d’attractivité.
Ci-dessous, Joshua Cannone, étudiant en master accessoires à l'IFM, explique la genèse de sa collection virtuelle.
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Comment les étudiants peuvent-ils se servir de cette opportunité ?
Xavier Romatet : Cela leur donne une formidable visibilité puisqu’il y a un film capsule de cinq à sept minutes présenté pendant la Paris Fashion Week et nous avons également un film par masters et un par étudiant. Lors du tournage, il y avait trois photographes. Les photos des look books sont une aide extraordinaire à leur visibilité pour postuler dans les maisons et dans les prix. Cette saison, nous avons quatre étudiants (Alix Habran Jensen, Antonia Schreiter, Axel Auréjac et Joshua Cannone) qui sont finalistes au Festival international de Hyères et l'année dernière, nous avons eu, pour la première promotion de l’IFM, Adam Kost qui a obtenu le LVMH Fashion Prize.
Que sont devenus les étudiants de l'édition 2021 ?
Xavier Romatet : Tous les étudiants de masters de l’année dernière ont trouvé un stage, et, à la suite de ce premier stage, la majorité d'entre eux soit ont fait un second stage, soit sont intégrés dans l'entreprise où ils avaient postulé comme stagiaire. Nous sommes une école professionnalisante : nous avons des promotions courtes pour suivre chacun des étudiants, c’est très individualisé. On prend les meilleurs afin que demain, soit ils trouvent un job, dans une maison, petite ou grande, soit ils lancent leur marque. C’est important pour nous de maintenir des effectifs très restreints qui sont calibrés en fonction des demandes du marché. Aujourd’hui, dans les maisons, on cherche des designers maille : la maille est en train de se développer de façon formidable. On note aussi que l'on a trois fois moins de candidats aux accessoires, pourtant 70% du chiffre d’affaires des maisons est réalisé avec les sacs et les chaussures. Ces designers sont demandés immédiatement. En direction artistique, il y a aussi des possibilités énormes non seulement dans la mode mais dans tout l’univers de la communication autour de la mode.
Avez-vous des étudiants qui créent leur marque lors de leurs études à l'IFM ?
Xavier Romatet : Il y a beaucoup d’étudiants qui pensent à lancer leur propre marque sous des formes très multiples : aujourd’hui, lancer sa propre marque, cela ne veut pas dire se lancer tout seul. Être embauché dans une entreprise sous la forme du salariat n’est pas leur quête ultime. Les étudiants, qui ont du talent, veulent apporter ce talent soit pour eux-même, soit à l’intérieur de collectifs, soit de façon momentanée lors de collaborations éphémères avec des entreprises. Aujourd’hui, il y a une espèce de mobilité dans la façon de collaborer qui est plus forte qu’avant. Par contre, nous leur conseillons quand ils sortent d’ici de faire au moins six mois de stage. Cela va les structurer, il faut qu'ils aient l’expérience d’un studio - au moins 6 mois si ce n’est un an - pour voir comment cela se passe, pour voir le rythme des collections, pour avoir les contraintes réelles. Cela ne s’enseigne pas !
Comment accompagnez-vous ces jeunes marques qui se lancent ?
Xavier Romatet : Nous avons mis en place des certificats ouverts à tous les étudiants qui ont une idée de création d’entreprises. Ces 30 étudiants ont 50 heures dédiées à la création de leur projet entrepreneurial. Leur projet de création d’entreprise fera l’objet d’une remise de prix : la marque Ami et huit jurys les coacheront et aideront le gagnant pour que son projet se réalise.
Le Covid a-t-il induit des changements dans vos enseignements ?
Xavier Romatet : Cela a accéléré et rendu possible des choses que l’on n’imaginait pas. Aujourd’hui indépendamment du Covid, les nouveaux outils de type Teams et Zoom permettent de faciliter les enseignements à distance. Et nous maintenons - alors que nous n’y sommes plus contraints - ces enseignements de façon à alterner présentiel et distanciel.
Nous sommes en train de créer des bibliothèques d’enseignement : c’est-à-dire que les professeurs de sciences humaines et sociales qui font un cours sur l’histoire de la mode, sur la culture de mode… plutôt que de répéter ce cours tous les ans à des publics différents, font un cours ou une émission que les étudiants peuvent choisir de suivre. Le temps de présence avec les étudiants est, quant à lui, destiné à approfondir, répondre aux questions du professeur et faire les évaluations.
Par ailleurs, dans la création, on a mis en place une méthode, c’est-à-dire que sur la partie technique, on a filmé comment faire un ourlet, un revers, des gestes simples : cela permet aux étudiants d’avoir un support visuel qui n’existait pas avant et qui vient en complément ou en substitut du travail des professeurs. En cours, on approfondit la méthode et on répond aux questions. On a ainsi une multitude d’objets digitaux et audiovisuels qui viennent compléter les enseignements traditionnels. A l’intérieur de l’école, cela a changé nos moyens de communication qui passent désormais par Teams. Les jeunes d'aujourd’hui ne regardent plus les mails ! Cela nous a permis de créer des plateformes à l’intérieur de Teams, de découvrir des univers que l’on ne connaissait pas et de franchir des caps. De ce point de vue de là, cela a été vertueux.
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