Interview Boutique historique rouverte, collection pour licenciés, futur musée : rencontre avec Rodrigo Basilicati Cardin, qui multiple les projets pour la maison Cardin

Depuis le décès du couturier Pierre Cardin, fin 2020, son neveu Rodrigo Basilicati Cardin, président du groupe, a rouvert la boutique historique. À la veille de son défilé automne-hiver 2024-25, il évoque les travaux du musée et annonce des projets.
Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 8 min
Rodrigo Basilicati-Cardin, le président de la société Pierre Cardin. (PIERRE CARDIN)

Depuis le décès du pionnier du prêt-à-porter, Rodrigo Basilicati-Cardin, qui avait déjà évoqué ses ambitions pour la maison, enchaîne les événements : la maison est revenue en mars 2023 dans le calendrier de la Paris Fashion Week et la boutique historique parisienne a été réouverte fin 2023.

Le président de la société Pierre Cardin, ingénieur de formation et designer, explique ses réalisations et lève le voile sur les futurs projets dont le très attendu musée parisien. Rencontre.

Franceinfo Culture : En février 2023, pour son retour à la Paris Fashion Week, la maison a défilé dans la boutique historique du 59 rue du faubourg Saint-Honoré, en travaux. Cette adresse où Pierre Cardin s'est installé avec ses ateliers en 1966 – 16 ans après avoir fondé sa maison de couture , tout en courbes et géométrie, est réouverte depuis décembre 2023. En quoi a consisté cette rénovation ?

Rodrigo Basilicati Cardin : Initialement, j'aurais voulu faire quelque chose de très géométrique, très innovant, avec un design qui rappelle les dernières collections et, en même temps, le futur. Pour la façade extérieure, j'ai conservé la couleur verte : j'ai utilisé un enduit à chaud glissant à la vénitienne, un peu irrégulier. J'ai aussi repris le ruban initial, mais je l'ai mis en évidence en volume pour donner l'impression d'une cage illuminée de l'intérieur.

En regardant la dernière restauration opérée par mon oncle, il y a plus de 45 ans, je me suis rendu compte de l'effort qu'il avait fait en dessinant des portes arrondies à l'entrée. Il y avait un choix pensé, je sentais sa patte. Je me suis dit qu'il était intéressant de reprendre ces formes à l'identique et j'ai refait des moules pour avoir ces arrondis. C'est un peu l'image de ce cocon qu'il aimait, que je reprends aussi dans les cinq vitrines avec niches, dans lesquelles sont projetées sur un écran incurvé des silhouettes de la dernière collection. Je parlais toujours avec mon oncle du fait que la mode, c'est la dynamique du vêtement et pas seulement la photo d'un instant. Pour le montrer, j'ai choisi 24 tenues et j’ai fait marcher les filles sur un tapis roulant avec un fond fantaisie. Cela permet de révéler les vêtements dans leur complexité et de mieux rendre compte de leur effet porté.

À l’intérieur de la boutique, j'ai exposé des lunettes, accessoires phares de la maison. Elles sont intemporelles, les gens les portent même le soir ! Après le défilé de mars 2023, Beyoncé nous a demandé une tenue pour son concert à Londres pour sa tournée Renaissance. Puis lors d'un autre concert, elle a porté nos lunettes asymétriques Evolution 9. Après le défilé de septembre 2023, c'est Madonna qui nous a demandé le modèle Evolution 7 avec une forme de vague, qu'elle a utilisé lors d'un de ses concerts du Celebration Tour. Je les ai exposées – sans spécifier par qui elles avaient été portées – ainsi que les derniers modèles. Chaque année, j'en fais un nouveau : le prochain modèle sort pour le défilé du 4 mars où il y aura d'autres surprises comme la présence du groupe musical L'Impératrice, que l'on habille pour leur tournée mondiale.

J'ai repris une chose qui existait il y a 40 ans, l'entrée du magasin avenue Marigny pour permettre un accès direct aux étages : l'idée étant de mettre les showrooms officiels de certains licenciés européens dans les étages. Le deuxième étage, lui, accueillera la partie administrative : il faut réunir l'atelier et le studio qui travaillent tous les jours ensemble.

Il fallait remettre aux normes d'aujourd'hui avec, par exemple, des vitres de sécurité et aussi résoudre des choses techniques comme la climatisation. Je voulais que l'on conserve la chaleur tout en faisant un échange d'air, toutes les 20 minutes, sans ouvrir les fenêtres. L'air qui sort chauffe l'air qui rentre : les machines récupèrent 94% de la chaleur qui sort et la pompe à chaleur fait la différence. J'ai également mis des leds à la place des ampoules normales. Je pense qu'en mars 2025 tout sera terminé.

On retrouve l'esprit futuriste et moderne avec la nouvelle collection de meubles servant de portants d’exposition...
La géométrie structure l'intérieur de la boutique. J'ai repris un meuble iconique des années 1977, le Pyramide dessiné par Pierre Cardin. Je trouvais vraiment sympa de lui rendre hommage : j'ai réalisé ce modèle dans mon laboratoire à côté de Venise avec des leds qui habillent la pièce tout en créant des effets lumineux à l'extérieur. C'est le même design, mais trois fois plus grand que le modèle initial. Il existe en plusieurs formats avec un tiroir, un portant, une tringle, des étagères. Je vais faire une ligne de mobilier (dont des bureaux) un peu plus petite pour la maison, sans laque de couleur, mais revêtue d'une couche mate. Pierre [Cardin] aurait aimé, mais malheureusement, je n'ai pas eu l'idée avant !

J'aime dessiner dans l'absolu, sans contraintes d'angles, de couloirs, de pièces ou de murs. Faire des manches de robes ou des pieds à une table, c'est la même chose.

Pierre Cardin

Ce point de vente va s’agrandir de 120 m2 pour exposer la ligne de meubles et de design...
Je dois agrandir, oui, pour faire une deuxième salle d'essayage. Cette dernière partie doit devenir le prolongement de la boutique, qui existait initialement. Là, j'installerai quelques vêtements, mais aussi des meubles et des créations de design. C'est par là aussi que les gens sortiront du musée : je reprends l'escalier transparent fait à l'époque par Pierre. Je vais le reproduire : c’est sympathique de partir de ce qu’il avait fait il y a 50 ans. On entre par la rue du Cirque et on ressort par le 27 rue Marigny.

L’étage supérieur – relié à l’adjacente boutique dédiée aux collections masculines du 20 rue du Cirque – va accueillir le musée ?
En effet, les gens entreront par la rue du Cirque. Au premier étage, le parcours sinueux est déjà dessiné. Je pense que cela va être très beau. Le musée, c'est 120 mètres de linéaire pour une surface de 500 m2. Nous avons 30 000 pièces d’archives de 1950 à nos jours. L’idée, c'est que ce musée puisse évoluer en changeant tous les six mois les modèles présentés. J'aimerais mettre chaque mois une centaine de pièces "revival" restaurées de toutes les époques. Il y aura des vidéos, des mappings, des projections et des explications pour faire comprendre, par exemple, comment une forme utilisée pour un vêtement peut l'être aussi pour un meuble et comment la marque a évolué en 70 ans.

Que devient la troisième boutique (82 rue du faubourg Saint-Honoré) qui a pris le relais pendant les travaux avec une offre de prêt-à-porter et d'accessoires ?
On la conserve et elle va poursuivre sous ce nouveau format.

Votre marque est distribuée à travers un millier de points de vente mono-marque dans le monde, géré par ses 150 licenciés qui exploitent 350 licences. Pour eux, vous lancez la ligne Pierre Cardin Evolution ?
Après avoir été à l'étranger – notamment au Mexique, aux États-Unis, en Chine, en Corée du Sud et au Brésil – je veux faire le tour des licenciés européens. Je fais déjà des événementiels avec les étudiants designers, en lice pour le concours Pierre Cardin Jeunes Créateurs, lors de workshops dans des centres commerciaux de grandes capitales, en rappel du fameux défilé que Pierre avait fait au grand magasin Le Printemps en 1959 ! C'était un risque énorme, il avait été exclu de la chambre syndicale de la couture pendant dix ans. Pour l'anecdote, lors de son premier défilé masculin, en 1958, mon oncle était allé au rectorat de la Sorbonne embaucher des élèves, car il n'y avait pas de mannequins hommes à l'époque.

Les dessins sont réalisés par notre studio parisien, mais je souhaite renforcer l’organisation avec des designers recrutés localement afin de récupérer le style Pierre Cardin. Jusqu'à hier, on envoyait des milliers de dessins, les licenciés s'inspiraient et on approuvait ou pas. Maintenant, on envoie les nouvelles collections deux fois par an, ils s'inspirent et font leur proposition et on travaille avec eux.

C'est l'ADN de la maison d'avoir largement diffusé la marque : on n'a jamais été seulement luxe, au contraire, l'idée a été la diffusion. Alors pourquoi pas créer deux lignes qui voyagent parallèlement ? La ligne Evolution est déjà utilisée dans certains pays comme le Mexique. Cette nouvelle ligne est donc développée pour ce réseau de licenciés : Pierre Cardin Evolution est plus jeune et sportive, plus sportwear, avec un positionnement plus commercial et des prix de 100 à 1 000 euros. La ligne principale Pierre Cardin, plus classique, commercialise ses pièces entre 2 000 et jusqu’à 12 000 euros.

Vous chapeautez le studio parisien. Vous allez embaucher ?
Nous sommes six designers à l'atelier depuis l'arrivée de Jero Rosas, le garçon qui a gagné le concours Pierre Cardin Jeunes Créateurs à Mexico et que j'ai embauché. Quant à la Coréenne Hye Rin Lee, venue trois mois à Paris en 2023, qui a, elle aussi, gagné, elle attend son visa. Oui, il faut embaucher pour tout ce travail de réception des 150 licenciés avec les modèles de chaque collection, 3 à 4 fois par an. Je pense que c'est sympathique pour les jeunes de travailler avec nous, mais aussi de donner des idées. Pour la femme, je voudrais faire une ligne parallèle dérivée du défilé : un vrai prêt-à-porter plus abordable sous forme d'une collection capsule. En plus de l'atelier officiel où travaille une quinzaine de personnes, je souhaiterais un deuxième atelier parallèle de six personnes. Leur fonction : copier les modèles pour en avoir au moins deux, et en conserver un, le deuxième serait vendu. Le deuxième atelier pourra aider aussi avant chaque défilé.

Le restaurant Chez Maxim's a été rénové puis rouvert.
Oui, le restaurant Chez Maxim’s, propriété de Pierre Cardin depuis 1981, a repris vie. Il a été rouvert après avoir été rénové et sécurisé avec notamment l'installation d'un brouillard d'eau en cas d'incendie. La gestion jusqu'au 2e étage a été confiée au groupe Paris Society, mais je conserve celles des 3, 4 et 5e étages.

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