: Vidéo Benoît Berthelot, auteur de l'enquête "Le monde selon Amazon" : "Jeff Bezos a des ambitions de maître du monde, et même de l'univers"
Invité de Jean-Paul Chapel dans ":L'éco", Benoît Berthelot est journaliste au magazine Capital, spécialiste des nouvelles technologies. Egalement l'auteur de "Le monde selon Amazon", une enquête dans les coulisses de la "machine à vendre" sur laquelle il revient sur Franceinfo.
Benoît Berthelot est journaliste au magazine Capital, spécialiste des nouvelles technologies. En août 2019, il publie aux éditions du Cherche-Midi "Le monde selon Amazon", trois ans d'enquête remarquable dans les coulisses de la "machine à vendre".
Trois années durant lesquelles il a enquêté à travers le monde et qui lui ont permis de percer à jour les rouages les plus secrets de l'empire tentaculaire qu'est Amazon.
Pour découvrir les méthodes qui ont permis à l'entreprise de devenir un géant économique et d'accroître sa domination, Benoît Berthelot a interrogé des centaines de personnes, y compris de proches collaborateurs de Jeff Bezos, le patron d'Amazon. Des personnes qui, habituellement, respectent des clauses de confidentialité, et qui lui ont confié certains secrets...
"Dans cette entreprises, comme beaucoup de géants technologiques américains, il y a des accords de confidentialité qui, en principe, selon le contrat, les empêchent de parler sur leur travail, y compris après avoir quitté l'entreprise. Et, effectivement, il m'a fallu aller de nombreuses fois à Seattle et dans beaucoup d'endroits où Amazon est implantée pour parler avec ses employés et certains de ses ex-employés, qui ont accepté de me raconter comment fonctionnait cette entreprise de l'intérieur", raconte Benoît Berthelot. "On connaît Amazon en surface mais il est intéressant de voir comment fonctionnent ses algorithmes, comment ses inventions ont été créées, quelles sont aussi ses projets futurs, assez délirants pour certains. C'est tout ça qui m'a intéressé avec ce livre", poursuit-il.
Tout le monde connaît Amazon pour ses ventes de livres, sa spécialité initiale, mais le géant du Web s'est depuis diversifié dans la vente de produits en tout genre. Aujourd'hui, même les produits alimentaires et vestimentaires peuvent être commandés sur la plateforme, mais pas seulement...
"C'est ce que j'explique dans le livre, il a énormément d'activités dans beaucoup de secteurs. Je citerai peut-être en premier le cloud, qui est un secteur qui n'est pas très connu, c'est l'hébergement et le stockage de fichiers à distance sur les serveurs d'Amazon. Ils se sont rendu compte qu'ils avaient besoin de serveurs très costauds pour supporter les pics de connexions au site, par exemple pendant les commandes de Noël. Et donc, ils ont créé ces serveurs, et maintenant, ils les louent à énormément d'entreprises. En France, ça peut être Renault, la SNCF, Netflix, la Société générale, Airbus... Donc, ils ont énormément de clients dans ce secteur-là, et c'est ça qui leur rapporte le plus d'argent aujourd'hui, et qui, en quelque sorte, subventionne leurs investissements colossaux dans le e-commerce, puisqu'il faut construire des entrepôts, bâtir un système logistique. Ils ont été les plus rapides pour faire ça, ça demande des moyens énormes, et personne ne peut les suivre pour l'instant.", explique le journaliste spécialiste des nouvelles technologies.
Jean-Paul Chapel précise qu'en exergue de son ouvrage, Benoît Berthelot cite un proche de Jeff Bezos, le PDG d'Amazon, qui lui a confié : "Quand Jeff m'a embauché, je n'ai pas réalisé l'étendue de son ambition. Je pense qu'aujourd'hui encore, personne ne l'a vraiment mesuré". Mais quelle est son ambition réelle ?
L'auteur de cette vaste enquête sur ce géant du numérique affirme que "son ambition pour Amazon, c'est qu'elle devienne la super entreprise qui fournit absolument tous nos besoins, que ce soit en consommation, bien sûr, en alimentaire demain, mais aussi en banque, en assurance, en médicament. Une entreprise qui nous connaît parfaitement comme consommateurs, qui connaît toutes nos données, tous nos achats, qui peut satisfaire tous nos besoins". Mais ce n'est pas tout : "Plus largement, il (Jeff Bezos, NDLR) a des ambitions de maître du monde, et même de l'univers, puisqu'il a une filiale spatiale qui envoie des fusées réutilisables, qui demain veut envoyer des satellites pour fournir Internet à la terre entière, enverra des satellites pour l'armée, et puis, il veut aller sur la Lune, et dans 100 ou 150 ans, son projet, c'est de créer des énormes cylindres dans l'espace dans lesquels les gens vivront, un million de personnes par capsule, avec des parcs naturels, avec des villes européennes reconstituées, comme Florence. Et mettre l'industrie, aussi, dans l'espace, puisqu'on ne peut plus vivre sur Terre, on est trop nombreux."
"Quand on vous écoute, ça a l'air un peu délirant, on se dit que c'est le gourou d'une secte", souligne Jean-Paul Chapel.
"Il a un côté comme ça, assez charismatique, visionnaire et un peu mégalomane", confirme Benoît Berthelot. "Et effectivement, le terme de 'secte' et de 'religion' m'a été cité par de nombreux employés d'Amazon, parce que l'entreprise a ceci de particulier qu'elle a quartoze règles, que j'appelle les quartoze commandements, que tout le monde doit respecter dans l'entreprise, qui ont été décidées par Jeff Bezos, et qui décident à la fois des embauches et des évaluations"
Une, en particulier, explique beaucoup de dérives de l'entreprise aux yeux du journaliste au magazine Capital, celle qui affirme qu'il faut "placer la barre toujours plus haut", "atteindre des standards qui paraissent irréalisables", "être le meilleur"... "Ça explique la productivité très intensive dans l'entreprise", selon lui.
Avec une fortune estimée à 131 milliards de dollars, Jeff Bezos, le patron d’Amazon, est l'homme le plus riche de la planète, d'après le classement 2019 des milliardaires mondiaux de Forbes. Ce qui ne l'empêche pas de pratiquer l'optimisation fiscale, soit le fait de localiser artificiellement les bénéfices d'Amazon dans des pays où la fiscalité lui est la plus favorable, en l'occurrence le Luxembourg, plutôt que dans les pays où il crée de la valeur.
Selon une étude publiée dans Le Parisien, mercredi 25 septembre, et réalisée par Mounir Mahjoubi, l'ex-secrétaire d'État en charge du numérique, les géants américains du numérique (les GAFAM - Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) devraient payer au fisc français neuf fois plus d’impôt qu'ils ne le font aujourd’hui.
"On peut dire que beaucoup de GAFA font effectivement cette optimisation fiscale, beaucoup d'entreprises du CAC 40 sont également concernées. Dans le cas d'Amazon, ça a été une stratégie forcenée de son fondateur", assure Benoît Berthelot. "Il a vraiment pensé toute l'entreprise suivant cette optimisation". Le journaliste et auteur de l'enquête "Le monde selon Amazon" explique que cette optimisation fiscale a permis à Amazon d'avoir un avantage "indéniable" sur les autres commerçants traditionnels, qui eux payent notamment un impôt sur les sociétés.
L'interview s'est conclue sur "This Life" de Vampire Weekend.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.