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"Une joie féroce", un gang de femmes contre le cancer, par Sorj Chalandon

L'écrivain journaliste se met dans la peau d'une femme pour raconter l'histoire d'un gynécée en guerre contre le cancer, et en lutte pour la liberté.

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 3 min
Le romancier et journaliste Sorj Chalandon (JF Paga)

Quand Sorj Chalandon, auteur multi primé, prend la plume, c'est souvent pour rendre compte du monde, de ses guerres (Le Quatrième Mur, 2013), de ses misères (celles des mineurs du Nord dans Le jour d'avant, 2017), ou parfois aussi, de l'intime, comme avec le récit d'une enfance meurtrie par la folie d'un père dans Profession du père (2015). Avec Une joie féroce (Grasset), qui paraît ce 14 août, le journaliste et romancier se fait femme pour raconter une guerre cette fois un peu spéciale, celle que livrent quotidiennement des milliers de malades contre le cancer.

L'histoire : Jeanne Hervineau est libraire, mariée, sans enfant. Le seul qu'elle a eu est mort. Elle survit entre sa librairie et son mari distant jusqu'au jour où on lui diagnostique un cancer du sein. Très vite après l'annonce, un moment de sidération qui la laisse "sans force et sans pensée", Jeanne décide de se battre.

J'ai observé mes jambes ballantes, mes pieds nus, le sol carrelé. Je me suis dit que j'étais en guerre. Une vraie. Une bataille où il y aurait des morts. Et que l'ennemi n'était pas à ma porte mais déjà entré. J'étais envahie. Ce salaud bivouaquait dans mon sein.

"Une joie féroce"

page 19

Journal de bord d'une cancéreuse en quête d'aventures

Son mari, avec qui la vie s'était déjà desséchée après la mort de leur enfant, la laisse tomber, salement. Et pourtant, cette guerre, Jeanne ne la mènera pas seule. Au cours de ses premières séances de chimiothérapie, elle rencontre Brigitte, une femme solaire et puissante, son amie Assia, et la jeune et énigmatique Melody. Jeanne se laisse conquérir et s'installe très vite dans le gynécée avec le trio, où elle trouve tendresse et réconfort tout en découvrant les vertus de la liberté, jusqu'à se laisser embarquer dans un improbable casse de filles...

Sorj Chalandon se met pour la première fois dans la peau d'une femme, faisant partager au lecteur les différentes épreuves qu'elle traverse. De l'annonce du diagnostic à l'opération chirurgicale du sein, en passant par la douloureuse perte des cheveux, les nausées, les séances de radiothérapie, mais aussi le regard et les remarques plus ou moins délicates des proches, ou des inconnus, les appréhensions et les angoisses, les portes qui se ferment (prêts bancaires impossibles à obtenir).

Sur deux fronts

Le romancier donne voix à une femme que la maladie transforme radicalement. Une mutation ouvrant un chemin vers la liberté et l'émancipation, qui passent par la solidarité féminine, une "sororité", source de "joie féroce", dans laquelle se glisse discrètement l'écrivain.

Sorj Chalandon s'attaque au sujet comme il raconterait une guerre, dessinant comme dans un journal de bord les aventures de ce quarteron de femmes héroïques, menant de front un double combat : le premier contre la maladie, le second pour leur liberté, toujours à gagner.

Une joie féroce est un hommage au courage des femmes, un roman imprégné de colère, dans lequel on retrouve l'écriture du romancier journaliste, engagée, faite d'un mélange de chair et de lyrisme, mais avec un peu moins de souffle que ce à quoi il nous avait habitués. Une forme de pudeur, peut-être ?  

Couverture de "Une joie féroce", de Sorj Chalandon (Grasset, 2019) (GRASSET)

Une joie féroce, Sorj Chalandon (Grasset – août 2019 - 320 pages – 20,00 euros)  

Extrait :

"Ce matin, il avait plu. Une sale pluie d'hiver giflée de grésil. Mais c'est le soleil qui m'a accueillie dans la rue. J'avais appelé Matt, trois fois. Trois fois tombée sur son répondeur. Il devait sortir de table. J'avais besoin de lui, pas de sa voix. Et puis lui dire quoi ?
- Mauvaise nouvelle, j'ai peut-être un cancer. Rappelle-moi s'il te plaît.
Je n'ai pas pris le métro. J'ai marché. Ce matin, j'étais une fille rieuse de 39 ans. Cet après-midi, une femme gravement malade. Six heures pour passer de l'insouviance à la terreur. Je n'arrivais pas à regarder les autres. J'avais peur qu'ils comprennent que je n'étais plus des leurs. Le temps avait basculé. Tout empestait Noël. Les vitrines, les rues, les visages. Je suis entrée dans une papeterie. Il me fallait un cahier, un épais à spirale pour noter ce qui me serait dit. Comprendre ce que j'allais devenir. Je l'ai choisi avec une couverture bleue. Le bleu du ciel, lumineux et gai. Mon premier acte de résistance."

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