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"La main sur le cœur", une enquête romanesque dans la peinture du Greco signée Yves Harté

Parmi les 490 ouvrages de la rentrée littéraire, un récit nous emporte vers l'Espagne du 16e siècle. "La main sur le cœur" d'Yves Harté est une enquête digne d'un polar historique, sur les traces du chevalier peint sur le tableau du Greco : Le chevalier à la main sur la poitrine.  

Article rédigé par Christophe Airaud
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
couverture du livre " La Main sur le coeur" d'Yves Harté (Le Greco)

"La main sur le coeur" fait partie de ces récits où au fil des pages, la peinture et la littérature forment un duo amoureux.

Après Julian Barnes et son "Homme en rouge" ou "L'affaire Arnolfini" de Jean-Philippe Postel sur les secrets du tableau de Van Eyck", Yves Harté, ancien journaliste à Sud-Ouest et prix Albert-Londres, lui nous emporte vers l'Espagne du Greco. 

En 146 pages, le lecteur passe des ruelles de Tolede en 1580 au musée du Prado d'aujourd'hui, en passant par le Madrid des années 80 avec une obsession, résoudre cette énigme : qui est le modèle du tableau iconique du Greco, "Le chevalier à la main sur la poitrine"? 

Enquête sur un tableau iconique en Espagne

"Le chevalier à la main sur la poitrine" peint en 1580 par Le Greco à Toléde est au musée du Prado un masterpiece, un chef d'oeuvre. Le public du monde entier mais aussi et surtout le peuple espagnol l'admire et le vénère.

A peine 85 centimètres sur 60, un portrait qui symbolise l'Age d'Or de la péninsule ibérique pour les espagnols et il est  devenu une icone, décorant mugs et magnets vendus à la sortie du musée, Calle de Ruiz de Alarcón. 

Parfois la lecture d'un cartel au coté d'une peinture dans une exposition peut changer la vie d'un visiteur. C'est le propos du livre. En 2014, Harté, passionné d'Espagne et de peinture se rend à une exposition à Toléde pour le 400e anniversaire de la mort du peintre. Et il découvre que le modèle ne serait pas ce gentilhomme que l'histoire de l'art a reconnu mais que le tableau serait le portrait d'un autre homme bien plus attractif, à la vie bien plus passionnante.  

L'affaire devient alors le propos d'une enquête minutieuse et historique, car ce nouveau personnage possède une destinée romanesque. Juan de Silva y Silveira, oublié de la grande histoire est à la fois un raté, un aventurier et un courtisan de Philippe II. 

Couverture de "La main sur le coeur" Edition: Les passe-muraille (Alamy Images)

Qui est donc le comte de Portalegre ? 

Commence alors pour l'auteur une traversée dans l'Espagne et le temps. Le lecteur l'accompagne vers ses sources, dans son enquête, tel le grand reporter qu'il fût. Controverse entre les hommes et les femmes de l'art, recherche dans les archives, arrêt dans les bistrots encore hors d'age d'une Espagne en voie de disparition, comme au café Gijon, paséo de Recoletos et ses souvenirs de la fin du franquisme. Le récit prend alors les chemins de traverse vers les souvenirs de l'auteur, comme si ce fameux comte, improbable modèle d'un peintre génial n'était qu'un prétexte à revisiter son propre passé ou à le romancer.

Yves Harté (DR)

Le destin et la réussite

Rechercher la reconnaissance, être courtisan quelque soit l'époque, échouer et rater son destin sont les questions que croisent Yves Harté au travers de cette enquête historique. Comme l'on croise le fer lors d'un duel, l'auteur croise les existences et leurs espoirs déçus. Galerie de portraits d'échecs et de renoncements.

Le Greco ne sera pas le peintre reconnu par le Roi, il ne sera pas le grand maître de la Cour d'Espagne. La déception est terrible, offensé Le Greco se réfugie dans ses ateliers de Toléde. Mais l'aigreur ne l'empêchera pas de peindre des chefs-d'oeuvres. 

Philippe II, lui même aura un destin tragique, enfermé dans son palais sanctuaire de l'Escorial.Et le personnage principal, Juan de Silva jamais n'occupera pas à Madrid le rôle qu'il rêve auprès du Roi. Le rôle de courtisan est ingrat. Et c'est la que le récit prend la route des souvenirs et nous emporte vers l'Espagne des années 80, quand Harte parcourait le pays avec son ami, Pierre Veilletet. 

Journaliste bien connu et reconnu pour sa plume des lecteurs du journal Sud-Ouest, Veilletet est son ami et ensemble, dans d'improbables voitures, ils sillonnaient une Espagne encore inconnue. Ensemble ils parcouraient la Castille et l'Extramadure et Veilletet rêvait d'un destin d'écrivain. Ses romans ne trouveront jamais l'estime qu'il espérait. Récit d'une amité. 

Le tour de force du roman est ainsi de rendre universelles, l'ambition artistique et les déceptions dans un climat crépusculaire. Ces vies, reconstituées au travers d'escapades dans les paysages brûlés du soleil de Castille ou les impasses sombres de Toléde, nous emplient de mélancolie et de beaucoup de kilomètres parcourus.

Un road trip dans l'Histoire de l'Espagne et dans le passé de l'auteur.   


Extrait:

Le Caballero est un homme d'âge mur. Son buste se découpe sur une sombre flaque, épaisse comme du mercure. Son manteau noir se détache de ce gris teinté de rose. Une lueur comme une auréole court tout autour de sa silhouette. La fraise étroite qui lui entoure le cou monte haut. Sa barbe et sa moustache sont assez fournies, ses cheveux coupés court. On devine le début d'une calvitie qui dégarnira peu à peu son front. Il a un visage long, d'une beauté régulière. Son regard las, peut être à cause de cette paupière gauche un peu plus basse que l'autre, conséquence d'une vieillie blessure dont il ne reste aucune trace.

"La main sur le coeur" , d'Yves Harté (Les passes-murailles) 151 pages 18,90 Euros

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