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"La décision" : dans son dernier roman, Karine Tuil se glisse dans la peau d'une juge d'instruction antiterroriste

Très documenté, "La décision", dernier roman de Karine Tuil, plonge le lecteur dans le quotidien d'une juge antiterroriste confrontée à un double choix, l'un dans sa vie professionnelle, l'autre dans sa vie intime.

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
La romancière Karine Tuil, 2022 (Francesca Mantovani pour les Editions Gallimard)

Prix Goncourt des Lycéens et prix Interallié en 2019 pour Les choses humaines, Karine Tuil revient dans la rentrée d'hiver 2022 avec La décision, un nouveau roman publié le 6 janvier aux éditions Gallimard, dans lequel la romancière explore la difficile condition du métier de juge d'instruction antiterroriste, et celle plus répandue, de femme lassée par une vie conjugale en fin de course. 

L'histoire : Alma Revel, presque cinquante ans, est juge antiterroriste au parquet de Paris. On est en 2016, un an après les attentats du Bataclan. La juge doit se prononcer sur la remise en liberté de Kacem Abdeljalil, un jeune homme suspecté d’avoir rejoint les forces armées de l’État islamique en Syrie.

En plus de cette difficile décision à prendre dans le cadre professionnel, Alma traverse une crise conjugale. Mère de trois enfants et mariée depuis vingt avec un écrivain aigri qui végète depuis qu'il a reçu au tout début de sa carrière le Goncourt, Alma entretient depuis peu une liaison avec un avocat, qui se trouve être le défenseur de Kacem Abdeljalil…

Dans un récit à la première personne, l'héroïne, coordinatrice du pôle d'instruction antiterroriste, nous prend par la main pour nous éclairer sur les réalités de ce très rude métier, qui met constamment ceux qui l'exercent en présence d'actes d'une barbarie insoutenables. Des agents de l'état qui doivent, sous la pression des uns et des autres, prendre des décisions qui engagent la sécurité des citoyens d'un côté, et la vie des mis en accusation de l'autre. 

"Le pôle antiterroriste est l'un des postes d'observation et d'action les plus exposés : il faut être solide, déterminé, un peu aventureux, capable d'encaisser les coups, de supporter la violence (interne, externe, politique, armée, religieuse, sociale), la violence partout, tout le temps – rien ne nous y prépare vraiment."

"La décision"

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Ce métier, en plus d'être éprouvant et risqué – la juge reçoit en permanence des messages de menaces- colonise sa vie entière, avec des horaires à rallonge, du travail qui déborde le soir, le week-end, mais aussi des déplacements, sans compter les nuits blanches provoquées par les angoisses que génèrent ses lourdes responsabilités.

La "bonne décision"

Karine Tuil décrit avec une minutie presque technique le fonctionnement et le déroulement de l'instruction, en intégrant dans le fil du récit des éléments du dossier, des retranscriptions d'interrogatoires, des extraits d'écoutes téléphoniques. La romancière dessine chaque étape de ce long processus de recherche de la vérité, avec les doutes qui l'accompagnent, et les enjeux politiques qu'il sous-tend.

En parallèle, on suit, et c'est plus attendu, le chemin intime d'une femme dont la vie de couple s'est peu à peu étiolée avec le temps, qui, happée par une passion amoureuse, irait jusqu'à compromettre sa carrière. Alma saura-t-elle prendre les bonnes décisions ? Les deux récits, celui de l'instruction et celui de la passion, finissent, on s'y attend, par se rejoindre dans une conjonction tragique.  

Technique et distancié

Avec ce roman, Karine Tuil creuse des sujets qui lui sont chers, comme la vérité, la justice, la décomposition d'un couple, ou encore le rapport à la judéité, qu'elle évoque ici sous les traits du mari, écrivain raté après un démarrage fulgurant dans sa jeunesse, soudain pris de religion quand il a l'impression que tout, autour de lui -sa carrière d'écrivain, son couple- se délite, jusqu'à s'opposer au mariage de sa fille avec un musulman.

La décision nous fait bien saisir ce qui se passe dans la tête de la narratrice et les affres dans lesquels la plongent les décisions cornéliennes qui s'imposent à elle, dans sa vie professionnelle, comme dans sa vie intime. On comprend moins bien, en revanche, ce qui motive les jeunes à se radicaliser, les terroristes à passer à l'acte, motifs que d'autres, comme Tobie Nathan dans Les âmes errantes, publié aux éditions L'Iconoclaste en 2017, ont réussi à éclairer. 

Très documenté, didactique, déroulé d'une écriture qui maintient jusqu'au bout une distance, ce dernier roman de Karine Tuil se lit comme une enquête journalistique et c'est peut-être sa limite : trop technique, trop en surface, trop "studieux" peut-être, pour nous émouvoir.

Couverture du roman "La décision", de Karine Tuil, paru aux éditions Gallimard le 6 janvier 2022 (GALLIMARD)

"La décision", de Karine Tuil (Gallimard, 304 pages, 20 €)

Extrait :

"On passe des heures avec les mis en examen, pendant des années, des heures compliquées au cours desquelles on manipule une matière noire, dure. A la fin de mon instruction, je dois déterminer si j'ai suffisamment de charges pour que ces individus soient jugés par d'autres. C'est une torture mentale : est-ce que je prends la bonne décision ? Et qu'est-ce qu'une bonne décision ? Bonne pour qui ? Le mis en examen ? La société ? Ma conscience ?" ("La décision", page 111)

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