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Mort de Claude Lanzmann : un homme "très controversé", "assez égocentrique" mais "d'une immense générosité"

Le journaliste Jean Hatzfeld et le philosophe Patrice Maniglier, qui ont pu le côtoyer, racontent la personnalité du cinéaste Claude Lanzmann.

Article rédigé par franceinfo
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Claude Lanzmann, le réalisateur de 'Shoah', s'est éteint à l'âge de 92 ans. (JOEL SAGET / AFP)

Claude Lanzmann, le réalisateur de Shoah, s'est éteint jeudi 5 juillet à son domicile parisien. Dès lors, les hommages à l'égard du cinéaste et écrivain se multiplient. Sur franceinfo, le journaliste Jean Hatzfeld parle de lui comme un homme "très controversé parce qu'il a un caractère un peu brut de décoffrage". Pour Patrice Maniglier, philosophe et membre du comité de rédaction de la revue Les Temps modernes, anciennement dirigée par Claude Lanzmann, le cinéaste "était à la fois le plus profond et le dernier des grands témoins du XXe siècle."

Le "poète" "égocentrique"

"Il est assez égocentrique, il est assez vaniteux, il est d'une immense générosité et gentillesse, il est un peu paradoxal, il est très ami avec ses amis, mais il envoie balader ceux qui ne le sont pas, il est un peu intransigeant", énumère en premier lieu Jean Hazfeld. Et de reprendre : "Si on est un peu susceptible et sensible on peut se vexer et s'en écarter. Moi il m'amusait. (…) Je ne l'ai jamais trouvé insupportable."

Son égocentrisme m'amusait parce que je trouve que quand on a fait un film comme 'Shoah' on peut se permettre d'être un peu prétentieux.

Jean Hazfeld, à propos de la personnalité de Claude Lanzmann

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Qualifiant Lanzmann de "voyant dans le siècle", dans son ouvrage consacré au cinéaste [Claude Lanzmann: Un voyant dans le siècle, Gallimard, 2017], le philosophe Patrice Maniglier dit de lui qu'il "était capable de nous faire voir ce que nous ne voyons pas naturellement." Et de citer Baudelaire : "Les poètes étaient ceux qui voyaient l'injustice non pas là où elle était réellement et où les autres ne le voyaient pas mais, d'une certaine manière, où elle n'était pas encore réellement." "Lanzmann a quelque chose comme ça, qui fait voir la réalité qu'on croit connaître", estime Patrice Maniglier.

Un travailleur hors-norme

Jean Hatzfeld dit avoir été "surtout impressionné par les récits de ses films" et par "sa manière de travailler", son "travail gigantesque", les "350 heures de rush" et les "14 années de travail", et plus encore le "travail qu'il y a eu en amont, c'est-à-dire un travail qui est exemplaire, qui est absolument magnifique, et qui est exemplaire pour tous les gens qui travaillent notamment les journalistes, les documentaires, même les gens de fiction, la phase des recherches", explique Jean Hatzfeld.

Le journaliste rappelle cette phrase du réalisateur : "On ne peut poser des questions que sur des sujets qu'on connaît en profondeur."  Pour Jean Hatzfeld, Claude Lanzmann "a travaillé, il s'est imprégné, il a visité, il a visualisé", c'était extraordinaire et du coup ça donne une force à ses récits qui est quasiment magique. Une densité dans les mots, simples, mais qui ne viennent pas du ciel, qui viennent d'un travail qu'il a fait en amont", dit-il en saluant les "images" et les "paroles inouïes" collectées par Claude Lanzmann.

Au-delà d'une capacité de travail hors-norme, le philosophe Patrice Maniglier décèle chez Lanzmann un désir d'"incorporer notre savoir historique abstrait sur la Shoah mais aussi sur l'ensemble du XXe siècle, qui est quand même une expérience que l'humanité a traversé." 

Aujourd'hui, on a tendance à oublier ce qu'était le XXe siècle, son extrême violence. Lanzmann était finalement à la fois le plus profond et le dernier des grands témoins du XXe siècle

Patrice Maniglier, philosophe

franceinfo

"Shoah", la vraie découverte de l'Holocauste

Lors de sa sortie en 1985, le film Shoah fait prendre conscience de la réalité de l'Holocauste. "Il évite les facilités de l'ordre de l'information ou de l'archive", confie ainsi Patrice Maniglier à propos du film-documentaire."Il y a d'ailleurs un plan incroyable dans lequel il rentre dans un des trains de la mort pour faire un plan de l'intérieur, c'est-à-dire du point de vue des morts. C'est caractéristique de Lanzmann, qui est un homme de transgression", décrit ce dernier.

Pour le philosophe, Lanzmann était prêt "à un certain nombre de transgressions pour faire surgir la vérité, non pas au sens d'un ensemble d'informations qu'on pourrait colporter mais au sens de quelque chose qui traverse notre vie, notre expérience et notre sentiment." "Il a compris assez tôt que le cinéma lui permettait de faire ça", conclut ce dernier.

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