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"La nuit des pères" : dernier roman de Gaëlle Josse dans l'intimité d'une famille meurtrie par un sombre épisode de l'histoire de France

Dans ce roman court et dense, Gaëlle Josse raconte la violence d'un père détruit par un événement qui ronge sa conscience depuis sa jeunesse, et les conséquences de ce traumatisme sur la vie de sa famille.

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
La romancière Gaëlle Josse, 2022 (JAMES WESTON)

Après avoir fait le récit d'un burn-out et de la dépression d’une jeune salariée dans Ce matin-là (2021), Gaëlle Josse revient dans cette rentrée littéraire avec un nouveau roman qui plonge dans l'intimité d'une famille marquée par la rudesse du père, guide de montagne habité par la colère et muré dans le silence. La nuit des pères paraît aux éditions Notabilia le 18 août 2022.

L'histoire : Isabelle, la narratrice, est documentariste. Elle fait des films sur les fonds marins, et vient de perdre son compagnon, mort d'un accident cardiaque au cours d'un tournage. Toujours meurtrie par ce deuil, elle revient dans le petit village des Alpes où elle a grandi. "Ce serait bien que tu viennes, depuis le temps. Il faut qu'on parle de papa", lui a dit son frère Olivier au téléphone. Ce qu'il a à lui dire, c'est que leur père, quatre-vingts ans, commence tout doucement à perdre la mémoire.

Ce voyage fait remonter les souvenirs avec ce père imprévisible, colérique, toujours le mot qui blesse pour s'adresser à ses enfants. Isabelle redoute ce retour. Elle est partie il y a bien longtemps, s'est enfuie pour échapper à la chape de plomb imposée par le père.

"C'était ça ou mourir étouffée, enterrée vivante sous tes emportements, cernée de montagne, loin du monde que je désirais tant découvrir."

Gaëlle Josse

"La nuit des pères"

"Là-bas"

Ces ultimes retrouvailles, les moments qu'Isabelle partage avec son père et son frère vont lever le voile sur ce qui hante le père depuis les origines, ce souvenir de la barbarie dont il a été témoin, "là-bas", et qu'il n'a pas pu empêcher. Il aura fallu ce "délitement de la mémoire" pour qu'il puisse enfin parler, expulser son fardeau, faire taire sa colère, et offrir à ses enfants, in extrémis, l'apaisement et l'amour tant espéré.  

Gaëlle Josse entremêle habilement le passé et le présent, les souvenirs d'Isabelle et l'effritement de la mémoire de son père, dans un lent mouvement de balancier. Une oscillation qui finit par s'immobiliser dans l'équilibre enfin retrouvé de cette famille grandie sur un pied rongé par la culpabilité du père, propulsé malgré lui à l'aube de sa vie adulte, dans un épisode sombre de l'histoire de France.    

En forme de journal (quatre jours), c'est surtout la voix d'Isabelle qu'on entend, déployée en forme d'adresse au père. La voix de ce dernier, bouleversante confession, est ramassée dans un seul chapitre, tout comme celle du frère, qui conclut de l'histoire. 

En peu de mots, la romancière dessine avec justesse l'histoire complexe de cette famille meurtrie, démêle les relations tissées à l'intérieur de ce petit monde clos, filiales et fraternelles, pleines de retenue et de pudeur, où l'amour circule malgré tout.

 

"La nuit des pères" de Gaëlle Josse (Notabilia, 192 pages, 16 €)  

Extrait :

"Je te regardais, occupé à rassembler les miettes éparses sur la table, appliqué, du tranchant de la main, à n'en laisser aucune. J'ai fixé tes veines bleues, tes taches brunes sur le dos de tes mains, je ne voyais qu'elles, tes mains éprouvées par le temps. Olivier s'est agité sur sa chaise. D'instinct, j'ai ramené sur mes épaules mon écharpe tombée à terre. J'ai retenu mon souffle. Nous étions suspendus à ton "Là-bas". Et tu as parlé mon père. Tu as enfin parlé." (La nuit des pères, page 118)

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