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Affaire Gabriel Matzneff : "Le livre de Vanessa Springora va constituer un jalon majeur dans l'histoire de la pédophilie"

"C'est la première fois qu'une des relations de Matzneff prend la parole pour donner un son de cloche très différent", a expliqué sur franceinfo le sociologue Pierre Verdrager, alors que Vanessa Springora publie un récit autobiographique de sa relation abusive avec l'auteur.

Article rédigé par franceinfo
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Gabriel Matzneff, le 10 avril 2014 à Paris. (JACQUES DEMARTHON / AFP)

"Le livre de Vanessa Springora va constituer un jalon majeur dans l'histoire de la pédophilie", a déclaré vendredi 27 décembre sur franceinfo Pierre Verdrager, sociologue et auteur de L’enfant interdit. Comment la pédophilie est devenue scandaleuse. L'éditrice Vanessa Springora publie Le Consentement, témoignage choc sur sa relation avec Gabriel Matzneff, alors qu'elle avait 14 ans et lui 50. Dans les différents tomes de son Journal et une partie de son œuvre, l'écrivain Gabriel Matzneff expose son goût pour les "jeunes personnes" et décrit les relations qu'il a eues avec des mineurs des deux sexes.

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franceinfo : En 1990 puis en 2002, Gabriel Matzneff avait relaté dans des émissions télévisées son "aventure avec une fille de 14 ans". Serait-ce possible d'entendre ce genre de propos encore aujourd'hui ?

Pierre Verdrager : La pédophilie fait l'objet d'une stigmatisation consensuelle aujourd'hui, mais c'était loin d'être le cas dans les années 70 et 80, au cours desquelles la pédophilie a fait l'objet d'une tentative de valorisation dans le monde intellectuel. C'était une époque où il y avait une tentative de libération sur tous les horizons et on avait considéré que la pédophilie faisait partie de ça : libération des femmes, libération des gays, libération de la sexualité et du discours sur la sexualité. L'âge de la majorité venait de changer en 1974. Dans ce contexte-là, on pensait qu'il était possible de considérer comme valides les relations sexuelles entre les adultes et les enfants. Et toute une série de gens ont pris la plume pour défendre cette idée, Matzneff dans ce contexte-là était un parmi d'autres.

Aujourd'hui encore, l'ancien présentateur de l'émission littéraire "Apostrophes" Bernard Pivot évoque "une autre époque" pour parler de Gabriel Matzneff. Cela peut constituer une excuse ?

Disons que si la totalité du monde social est passée dans le rejet de la pédophilie, ça n'est pas tout à fait vrai dans le monde littéraire qui a, au moins pour partie, gardé sa confiance en Matzneff. C'est quelqu'un qui est publié très régulièrement chez Gallimard, dans la collection Blanche, la plus grande collection des éditions Gallimard. Il est publié aussi par Le Point, où il est chroniqueur. C'est quelqu'un qui a eu le prix Renaudot de l'essai en 2013. Le monde littéraire a gardé une attache avec Gabriel Matzneff, c'est quelqu'un qui n'est pas mort sur le plan littéraire.

Votre livre s'intitule "Comment la pédophilie est devenue scandaleuse", à quel moment la pédophilie est devenue ce qu'elle est aujourd'hui ?

L'émission de Bernard Pivot [au cours de laquelle la chroniqueuse et romancière québécoise Denise Bombardier avait interpellé Gabriel Matzneff, le qualifiant de "pitoyable"] date du début des années 90. Je date d'à peu près à cette époque-là le moment où l'ensemble de la question se retourne. Un des éléments-clés de ce retournement, c'est la prise en considération de la parole des victimes. Je crois d'ailleurs que le livre de Vanessa Springora va constituer un jalon majeur dans l'histoire de la pédophilie, dans la mesure où c'est la première fois qu'une des relations de Matzneff prend la parole pour donner un son de cloche très différent du son de cloche de Matzneff lui-même. Il a toujours présenté les relations sexuelles qu'il a eues avec les enfants (…) comme euphoriques et plaisantes (…) Je crois que nous allons entrer dans quelque chose de différent dans l'histoire de Matzneff lui-même. Sur la question du consentement, Vanessa Springora va apporter des éléments très intéressants.

Ce que Vanessa Springora décrit dans son livre, ce sont des faits qui pourraient mener à l'ouverture d'une enquête aujourd'hui ?

Ça dépend de Vanessa Springora, je ne sais pas si elle a l'intention de traîner Matzneff devant les tribunaux. Ce que l'on peut dire, en tout cas, c'est que la prise de conscience de son identité de victime a pris des décennies, précisément parce que, comme elle l'écrit, elle se considérait comme étant consentante. Et elle pose la question, justement, de la pertinence, de l'idée-même de consentement quand on est en bas âge. Et là, je crois que ça va poser question pour la société française : est-ce que ça peut avoir du sens, être consentant, quand on a 13 ans, 12 ans, 11 ans ?

La question a été a été posée récemment en France, où le gouvernement a fini par renoncer à imposer un âge limite pour le consentement.

Absolument. Je pense que ce livre va reposer le problème et le fait que cet ouvrage ait un tel retentissement, je pense que les politiques doivent entendre prendre au sérieux cette question-là. Le fait que l'on peut à la fois être consentant et considérer que ce consentement est une fiction.

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