Les États africains accentuent leur pression sur les musées européens pour la restitution d'œuvres d'art
En 2021, Paris a restitué au Bénin 26 oeuvres des trésors royaux d'Abomey, pillées en 1892 par les troupes françaises. La restitution d'oeuvres d'art pillées lors de la colonisation aux pays africains est un sujet discuté en ce moment à la Biennale d'art contemporain de Dakar.
C'est un sujet qui agite les opinions africaines. Dans de nombreux pays, colonisés par des pays européens dans le passé, la demande des citoyens, des musées et des gouvernements se fait plus pressante envers la restitution de milliers d'œuvres d'art spoliées sous la colonisation.
L'universitaire française Bénédicte Savoy et l'écrivain sénégalais Felwine Sarr ont publié fin 2018 un rapport qui a fait date sur la restitution du patrimoine culturel africain. Depuis, le sujet est dans l'espace public et n'est plus une affaire de spécialistes.
"Les musées sont obligés de faire un travail de transparence et de réflexion sur les collections dites ethnographiques, c'est sans précédent; ces musées sont entrés dans un âge d'intranquillité", souligne Felwine Sarr. En 2021, Paris a restitué au Bénin 26 œuvres des trésors royaux d'Abomey, pillées en 1892 par les troupes françaises. Elles étaient conservées au musée parisien du Quai Branly.
La restitution au centre des débats
La France a restitué un sabre au Sénégal en 2019 et une couronne à Madagascar
en 2020. Récemment, l'exposition des trésors royaux à Cotonou a attiré près de 200.000 visiteurs en 40 jours, selon les autorités. "Le Bénin veut 'républicaniser' ces objets, c'est une magnifique aventure!. "Ces objets vont permettre à la communauté de se réinventer autour de cet héritage", se réjouit Dorcy Rugamba, un metteur en scène rwandais qui a présenté une pièce de théâtre sur ce sujet à la Biennale d'art contemporain africain qui se tient jusqu'au 21 juin 2022 à Dakar.
À la Biennale de Dakar, la pièce de Dorcy Rugamba a marqué les esprits. Dans sa pièce, le spectateur est invité à regarder sous les angles morts du récit officiel de l'histoire coloniale qui opposait mondes "civilisé" et "primitif". Partie prenante de l'œuvre, il se déplace tout au long de la performance et suit un masque africain "spolié" par des Européens à l'intérieur et à l'extérieur de grandes pièces criblées d'ouvertures qui reconstituent les décors de quatre époques.
Reconnecter l'Afrique actuelle à son passé
Choqué, bouleversé ou riant face aux inepties de la propagande coloniale, le public déambule dans les lieux de séjour du masque en Europe après son arrachement à l'Afrique: chez un "scientifique" de la fin du XIXe, qui veut prouver une prétendue supériorité des Européens sur les Africains en mesurant des crânes, puis chez un général belge ayant bel et bien existé qui conservait dans sa maison les crânes de trois dignitaires africains rapportés de ses expéditions.
"J'ai été bouleversée par cette performance", a confié l'universitaire française Bénédicte Savoy lors d'un débat après une représentation. "Elle m'a paru traduire en une heure des choses qu'on lit normalement sur des centaines de pages".
"Si on ne se réapproprie pas ce qui nous appartient, on ne peut pas réellement avancer"
Dialika Haile Sané, artiste sénégalaise
Lors du colloque scientifique de la Biennale, historiens et philosophes ont débattu des moyens de réinvestir de signification les objets qui reviennent et de les reconnecter à l'Afrique actuelle. "Un objet n'a pas forcément vocation à se retrouver dans un musée africain", dit Felwine Sarr: "il peut repartir dans une communauté s'il a une fonction rituelle et qu'elle le réclame, ou être confié à une université pour la recherche", souligne-t-il.
Dialika Haile Sané, scénariste trentenaire, confie avoir reçu "de plein fouet" l'émotion des Restes suprêmes, la pièce de Rugamba. Selon elle, il n'y a "pas de raison" que ces œuvres "ne reviennent pas là où elles sont nées". "Si on ne se réapproprie pas ce qui nous appartient, on ne peut pas réellement avancer".
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