"Un jour de pluie à New York" : pourquoi le dernier film de Woody Allen, privé de sortie aux Etats-Unis, est un petit régal
C'est un Woody Allen en pleine forme que l'on retrouve avec ce dernier film, qui mĂȘle lĂ©gĂšretĂ© et drĂŽlerie, gravitĂ© et nostalgie. Du Woody Allen comme on adore.
Cinquante-huit ans de carriĂšre, prĂšs de 100 films et sĂ©ries Ă son actif, l'infatigable Woody Allen, 83 ans, signe avec Un jour de pluie Ă New York une pĂ©tillante comĂ©die sentimentale à travers laquelle il rend hommage Ă ce genre hollywoodien en vogue dans les annĂ©es 40. "J'ai toujours adorĂ© ces films-lĂ . Je les trouve merveilleux", confie-t-il dans la prĂ©sentation du film. La sortie d'Un jour de pluie Ă New york ce 18 septembre en France est un petit Ă©vĂ©nement, le film ayant Ă©tĂ© privĂ© de salles aux Ătats-Unis Ă la suite des accusations d'abus sexuels rĂ©itĂ©rĂ©es dĂ©but 2018 par sa fille adoptive, Dylan Farrow. Au-delĂ des polĂ©miques et du contexte, ce dernier film de Woody Allen est un petit rĂ©gal, et on vous dit pourquoi.
Parce que, depuis le temps qu'on l'attendait !
L'arrivĂ©e en France du film de Woody Allen est l'ultime Ă©pisode d'un feuilleton qui dure depuis la fin de l'annĂ©e 2017. En pleine affaire Weinstein, Dylan Farrow, fille adoptive de Woody Allen, rĂ©itĂšre ses accusations d'abus sexuels, qu'elle aurait subis dans les annĂ©es 90 de la part du rĂ©alisateur. Hollywood s'en Ă©meut. L'acteur TimothĂ©e Chalamet et l'actrice Rebecca Hall renoncent Ă leur cachet pour les reverser Ă des associations de lutte contre les violences sexuelles. En aoĂ»t 2018, Amazon Studios, qui a produit Un jour de pluie Ă New York annonce qu'"aucune date de diffusion n'est prĂ©vue". Le film, boycottĂ© par les distributeurs amĂ©ricains, sera finalement totalement privĂ© de sortie aux Ătats-Unis. Â
Un jour de pluie Ă New York sort ce mercredi 18 septembre en France, un pays particuliĂšrement amateur du cinĂ©ma du rĂ©alisateur. Sa projection en avant-premiĂšre au festival de Deauville a reçu un accueil chaleureux et donnĂ© l'occasion Ă Woody Allen de rĂ©pondre Ă ses accusateurs. "Ăvidemment, ils devraient sortir mon film aux Ătats-Unis, arrĂȘter de m'attaquer, prendre conscience de la vĂ©ritĂ©...", a affirmĂ© le rĂ©alisateur, qui a toujours niĂ© les accusations dont il fait l'objet. "J'ai 83 ans, je ne vais pas ĂȘtre lĂ encore trĂšs longtemps, alors ça n'est pas si grave (âŠ) J'espĂšre qu'un jour ils se rendront compte qu'ils ont commis une triste erreur. L'erreur est humaine, ce n'est pas tragique. Mais Ă©nervant et triste", a-t-il ajoutĂ©.
Woody Allen, Ă qui une partie d'Hollywood a tournĂ© le dos, a reçu rĂ©cemment les soutiens de Catherine Deneuve et de Scarlett Johansson, toutes deux prĂȘtes Ă tourner Ă nouveau sous sa direction.           Â
Parce que l'histoire est pétillante et pleine de rebondissements
Gatsby (Timothée Chalamet) et Ashleigh (Elle Fanning) sont étudiants dans une petite université peu prestigieuse. Gatsby est issu d'une famille fortunée new-yorkaise, sa petite amie est la fille d'un riche homme d'affaires de Tucson dans l'Arizona. La mÚre de Gatsby, pleine d'ambition pour son fils, l'a nourri, voire gavé à la culture sous toutes ses formes, faisant de lui un jeune homme légÚrement décalé. Il méprise l'argent de sa famille et le claque au jeu sans états d'ùme. Les deux tourtereaux débarquent à New York pour le week-end. Ashleigh a décroché une interview avec le réalisateur Roland Pollard (Liev Schreiber) pour le journal de son université. Gatsby lui propose de lui faire visiter sa ville adorée et concocte pour eux un programme selon ses goûts, un brin désuets, à base de piano-bar et de promenades en calÚche. Gatsby, comme son nom l'indique, est un romantique.
Rien, Ă©videmment, ne va se dĂ©rouler comme prĂ©vu. Les deux amoureux se voient contraints de vivre en parallĂšle cette journĂ©e, pour se retrouver au petit matin, l'une toute nue sous son impermĂ©able, l'autre abasourdi par les confessions de sa mĂšre.Â
La journĂ©e d'Ashleigh bifurque dĂšs le dĂ©but. Roland Pollard lui confie un scoop : il traverse actuellement une crise existentielle et artistique. A la suite de ce scoop, la jeune femme se trouve embarquĂ©e dans une sĂ©rie d'Ă©vĂ©nements qui la dĂ©passent, et qui l'embarquent dans les rues de New York oĂč elle assiste le scĂ©nariste en plein fiasco matrimonial, puis se retrouve Ă dĂźner aux chandelles avec  Francisco Vega (Diego Luna), un acteur vedette adulĂ© par ses copines...
Pendant ce temps-là , Gatsby, sous la pluie, se morfond dans les rues de New York. Il croise sur le tournage d'un court métrage la soeur d'une ex-petite amie et passe finalement une partie de sa journée avec elle. Chan, tempétueuse et cynique jeune femme, est le double inversé de sa fiancée. Pour finir, Gatsby se retrouve coincé au milieu de toutes sortes de gens riches et snobs dans une soirée organisée par sa mÚre qu'il avait tout fait pour éviter...
Woody Allen nous dĂ©roule son histoire au rythme des notes de Jazz et des gouttes de pluie qui s'Ă©grainent sur le pavĂ© new-yorkais, dans une mĂ©canique bien cadencĂ©e Ă©voquant ici Marivaux, lĂ , Feydeau. Le rĂ©alisateur offre une issue inattendue mais heureuse Ă sa romance, qui s'achĂšve sous une horloge, dans une belle Ă©claircie.Â
Parce que les dialogues sont savoureux
On retrouve dans ce film le talent de Woody Allen pour les dialogues, ici, vraiment dĂ©licieux. Dans des formules qui, Ă peine prononcĂ©es, sonnent comme des citations ("La vraie vie est faite pour les gens qui se contentent de peu"), le rĂ©alisateur s'en prend, dans le dĂ©sordre, aux psychanalystes, au mariage (Gatsby pleure aux cĂ©rĂ©monies de mariage et d'enterrement, "pour les mĂȘmes raisons"), aux journalistes ("le plus vieux mĂ©tier du monde"), Ă la presse en gĂ©nĂ©ral ("Tous les journaux sont des tabloĂŻds"). Il moque gentiment la bourgeoisie new-yorkaise, les "ploucs" de l'Arizona, et donne aussi quelques coups de dents Ă l'inculture de la jeunesse et des amĂ©ricains en gĂ©nĂ©ral (Ashleigh, par exemple, adore les metteurs en scĂšne europĂ©ens, "comme Kurosawa").
Parce que les comédiens sont excellents
Elle Fanning campe avec virtuosité l'adorable ingénue qu'est Ashleigh, "une fille bien et intelligente, qui n'a pas les codes de la vie citadine",souligne Woody Allen dans la présentation du film.
TimothĂ©e Chalamet est un magnifique Gatsby, un double en mode beau gosse de Woody Allen. Selena Gomez est parfaite dans le rĂŽle de Chan, une peste dont le cynisme cache une vraie romantique. Liev Schreiber est excellent dans le rĂŽle du rĂ©alisateur dĂ©pressif, et Cherry Jones dans celui de la grande bourgeoise cachant puis rĂ©vĂ©lant la larme Ă l'Ćil ses petits secrets.
Parce que c'est franchement drĂŽle
Pour tout dire, on n'avait pas autant ri devant un film de Woody Allen depuis Whatever Works (2009, quand mĂȘme). Ici, Woody Allen conjugue allĂšgrement le comique de situation, la satire et le sens de la formule. On a tout le juste le temps de souffler (avec en bonus un vrai fou-rire entraĂźnĂ© par le rire de la belle-sĆur). L'humour est une fois de plus l'arme utilisĂ©e par le rĂ©alisateur amĂ©ricain pour Ă©voquer des sujets profonds : les affres de la crĂ©ation, les relations amoureuses ou familiales, la lĂąchetĂ©, l'hypocrisieâŠ
Parce que le film baigne dans une nostalgie éclairée d'un trait d'optimisme
Une mĂ©lancolie, comme une basse continue, irrigue tout le film sans entamer la vivacitĂ© du scĂ©nario et des dialogues. Pas d'aigreur, juste un regard tristement amusĂ© sur le monde d'aujourd'hui, et sur ce qui reste de celui d'hier. Le dernier film de Woody Allen est placĂ© sous le signe du temps qui passe, l'action inscrite dans un temps limitĂ©, une journĂ©e, Ă l'intĂ©rieur de laquelle se manifestent le passĂ©, le prĂ©sent et le futur, toujours incertain. Une journĂ©e Ă l'issue de laquelle tous les personnages, de tous Ăąges, auront Ă©voluĂ©. Nostalgique, donc, mais optimiste aussi. Â
Parce que la mise en scĂšne est classique, mais subtile
Le rĂ©alisateur amĂ©ricain met tout en Ćuvre, du cadre Ă la lumiĂšre, en passant par la mĂ©tĂ©o, au service de son propos, jouant les contrastes Ă fond. Une camĂ©ra fixe pour raconter la journĂ©e mĂ©lancolique de Gatsby, en mouvement pour accompagner celle, excitante d'Ashleigh. De mĂȘme pour la lumiĂšre. "Gatsby adore New York lorsque le ciel est nuageux, ou mieux encore, quand il pleut un peu", explique Vittorio Storaro, le directeur de la photo. "Ashleigh est solaire et passionnĂ©e et j'ai donc utilisĂ© des tons plus chauds la concernant", ajoute-t-il. Pour suggĂ©rer des personnages en quĂȘte d'identitĂ©, Woody Allen les a filmĂ©s souvent masquĂ©s, dans le reflet d'une vitre, dans la pĂ©nombre ou en partie cachĂ©s par des Ă©lĂ©ments de dĂ©cor. Les visages se rĂ©vĂšlent plus clairement au fil de l'intrigue et du cheminement des personnages vers eux-mĂȘme et leur vĂ©ritĂ©. Â
Parce que Woody Allen filme New York comme jamais
Woody Allen dit comme jamais son amour pour New York, omniprĂ©sente dans son dernier film. Qu'il pleuve ou qu'il fasse soleil, la ville, baignĂ©e de lumiĂšre, est prĂ©sentĂ©e comme une princesse ayant pris de l'Ăąge, mais toujours pleine de charme. La ville est ici emblĂ©matique des caractĂšres des personnages : rĂ©tro, rassurante et immuable pour Gatsby, moderne, pĂ©tillante, en mouvement pour Ashleigh. Et c'est aussi elle, cette ville chĂ©rie par Woody Allen, qui aura le dernier mot.Â
La fiche
Genre : drame, comédie
RĂ©alisateur : Woody Allen
Acteurs : Timothée Chalamet, Elle Fanning, Selena Gomez
Pays : Etats-Unis
Durée : 1h 32min
Sortie : 18 septembre 2019
Distributeur : Mars films
Synopsis : Deux Ă©tudiants, Gatsby et Ashleigh, envisagent de passer un week-end en amoureux Ă New York. Mais leur projet tourne court, aussi vite que la pluie succĂšde au beau temps⊠BientĂŽt sĂ©parĂ©s, chacun des deux tourtereaux enchaĂźne les rencontres fortuites et les situations insolites.   Â
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