"Bastille Day": déprogrammer un film en raison de l'actualité reste exceptionnel
Studiocanal, le distributeur de "Bastille Day", a annoncé dimanche avoir demandé aux 237 salles qui le passaient de retirer ce thriller avec Idriss Elba, sur l'histoire d'une jeune Française préparant un attentat à la veille du 14 Juillet. Après l'attaque de Nice, il a jugé que "certains aspects du film" n'étaient "pas en phase avec l'esprit de recueillement national".
Alors qu'une cinquantaine de salles programmaient encore le film lundi, selon Studiocanal, les salles UGC ont indiqué qu'elles le retireraient dès mardi. Studiocanal a précisé que le film ne serait plus du tout à l'affiche mercredi.
La décision de retirer un film en raison d'un télescopage avec l'actualité est "tout à fait exceptionnelle"
Cette décision, qui représente un coût notable pour le distributeur, rappelle celle prise pour "Made in France" de Nicolas Boukhrief. Au lendemain des attentats du 13 novembre à Paris, son distributeur avait annoncé la déprogrammation de ce film sur une cellule jihadiste préparant un attentat à Paris. Il était finalement sorti seulement en vidéo à la demande (VOD) en janvier.
Malgré ces exemples récents, la décision de retirer un film en raison d'un télescopage avec l'actualité est "tout à fait exceptionnelle", estime le journaliste Jean-Luc Douin, auteur d'un "Dictionnaire de la censure au cinéma". Pour lui, dans ce cas de figure, "c'est une prise de responsabilité personnelle, solidaire avec ce qui se passe dans le pays et l'état d'émotion engendrée".
Guerre d'Algérie
D'ailleurs, le distributeur du film "Moi, Olga", inspiré de la vie d'une femme ayant écrasé délibérément des piétons avec un camion dans les années 1970, a décidé lui de le maintenir en salles malgré "les similitudes" avec le drame de Nice. Il a mis en avant son "contexte historique particulier".En fait, "dans 99% des cas, la censure vient d'en haut, des pouvoirs publics, de pressions d'associations et de lobbys, et quasiment jamais du distributeur ou du réalisateur", note Jean-Luc Douin.Plusieurs films sur la guerre d'Algérie avaient ainsi été interdits par la censure, comme "Le Petit soldat" de Jean-Luc Godard en 1960 sur l'histoire d'un déserteur. Ou encore "La Bataille d'Alger" de Gillo Pontecorvo, en 1966. "Le Rendez-vous des quais" de Paul Carpita, sur la Guerre d'Indochine, avait subi le même sort en 1955.
Autocensure
Des films traitant de faits divers ont aussi pu être mis au ban dans certaines régions ou villes, comme "Le Pull over rouge" (1979) de Michel Drach sur l'affaire Christian Ranucci, interdit à l'époque à Toulon. Mais, souligne l'historien Frédéric Hervé, auteur de "Censure et cinéma dans la France des Trente Glorieuses", "toutes ces interdictions venaient de la commission de contrôle des films, de la censure, alors que pour 'Bastille Day' ou 'Made in France', il s'agit d'une forme d'auto-censure, ou plus exactement d'une censure des diffuseurs et réseaux d'exploitants"."C'est eux maintenant qui empêchent la sortie des films, la commission ne fait plus rien de tel depuis très longtemps", ajoute-t-il. Outre la volonté d'être en phase avec l'émotion nationale, "ils craignent les incidents, le scandale, la mauvaise presse".
Quelques réalisateurs se sont toutefois eux-mêmes censurés dans le passé. Stanley Kubrick avait ainsi demandé en 1972 à Warner de retirer "Orange Mécanique" des salles au Royaume-Uni, après avoir été submergé de lettres de menaces et de protestations contre la violence du film.
Le film n'a pu y être projeté qu'après sa mort en 1999. Les producteurs de son film "Les Sentiers de la gloire", sur des soldats fusillés par l'armée en 14-18, avaient quant à eux décidé de ne pas le sortir en France en 1957, à la suite des pressions d'anciens combattants. Il ne sera projeté qu'en 1975.
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