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Sortie simultanée en streaming et en salles : "La pandémie bouleverse la donne" mais les gens retourneront dans les salles de cinéma, selon un spécialiste

Professeur émérite en économie du cinéma, Claude Forest assure sur franceinfo qu'il n'y a pas "d'opposition à faire entre les différents supports". Selon lui, les gens retourneront au cinéma.

Article rédigé par franceinfo
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Publié Mis à jour
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Une femme passe devant un cinéma fermé à Montpellier, dans le sud de la France, le 13 novembre 2020. (PASCAL GUYOT / AFP)

"La pandémie bouleverse la donne" mais les gens retourneront au cinéma comme ils retourneront au restaurant, a estimé le professeur émérite en économie du cinéma, Claude Forest, vendredi 4 décembre sur franceinfo. Pour limiter l'impact de la pandémie de Covid-19, les studios Warner Bros ont annoncé que tous leurs films prévus en 2021 seront diffusés sur leur plateforme de vidéo à la demande HBO Max parallèlement à leur sortie en salles. "C'est conjoncturel", selon Claude Forest qui évoque "un problème de retour sur investissement" mais qui ne croit pas à la mort des salles de cinéma.

franceinfo : La crise sanitaire accélère-t-elle la sortie des films en ligne ?

Claude Forest : C'est une mutation qui suit un chemin logique. La pandémie bouleverse la donne. C'est un problème de retour sur investissement pour les majors mais ce n'est pas un bouleversement radical. Il n'y a pas du tout à mon sens d'opposition à faire entre les différents supports non seulement pour des questions de rentabilité mais surtout pour des questions de demande des téléspectateurs. Par exemple, aujourd'hui en France, les restaurants sont fermés et on mange donc davantage chez soi, mais ce n'est pas pour autant qu'on ne retournera pas au restaurant quand ils rouvriront. Pour les salles de cinéma, ce sera pareil.

Vous ne croyez pas à la mort des cinémas que certains prédisent ?

On prédit la mort des salles de cinéma depuis leur création, il y a à peu près un siècle. On a dit la même chose quand il y a eu la radio, puis la télévision, puis internet. Ce qu'on voit malgré tout depuis le début du siècle, c'est que les gens retournent au cinéma.

"Ce n'est pas parce qu'un film est diffusé sur différents supports que la consommation est la même."

Claude Forest, professeur émérite en économie du cinéma

à franceinfo

D'ailleurs on le sait très bien, la consommation domestique, chez soi devant un téléviseur, consiste à regarder un film seul, ou à deux éventuellement, et surtout on reste chez soi. La salle de cinéma c'est avant tout sortir de chez soi, avoir un lien social, rencontrer des gens qu'on ne connaît pas, et dans quatre cas sur cinq la sortie se fait à plusieurs, en groupe, entre amis ou en famille. Ce sont donc deux modes complémentaires.

Le cinéma d'auteur peut-il encore avoir sa place entre ces deux modes de consommation ?

Tout à fait, c'est le même raisonnement. Il faut raisonner en terme de public. Qui va voir ces films-là et comment ils souhaitent les voir ? Aujourd'hui, il faut distinguer la situation française de la situation américaine ne serait-ce que parce que l'ampleur de la pandémie n'est pas le même des deux côtés, et parce qu'en France nous avons une réglementation extrêmement forte sur la chronologie des médias mais aussi une tradition attachée au cinéma. En ce qui concerne le cinéma d'auteur, la consommation se fait avant tout en salle mais là aussi ça peut être complémentaire. Les cinéphiles peuvent tout à fait regarder un certain nombre de films chez eux et d'autres en salles. Tout dépend aussi maintenant d'un paramètre que personne ne connaît, c'est l'étendue de la pandémie et la rapidité avec laquelle nous serons capables de sécuriser les lieux de rencontres pour faire disparaître la crainte d'attraper la maladie. Le public qui va dans les salles de cinéma d'art et d'essai est vieillissant. C'est aussi le public le plus touché par la pandémie et qui a le plus besoin de sécurité.

Est-ce qu'il faut modifier la loi en France pour que les films ne sortent plus d'abord en salle et ensuite sur les plateformes ?

C'est non seulement une tradition en France, mais on voit bien que même dans les pays où ce n'est pas la loi, cette tradition-là d'amortissement successif sur les différents supports est une nécessité économique et symbolique. Le film se distingue justement du téléfilm par la salle et son aspect festif, de grand spectacle et de qualité. Quand la Warner adopte cette stratégie de sortir des films simultanément en salle et sur les plateformes, elle le fait sur 17 films. Ce sont des films bien particuliers, des blockbusters qui proposent du grand spectacle technologique. Les effets seront donc plus importants en salle. Donc oui, elle peut faire les deux mais il n'y a aucun intérêt, c'est conjoncturel. La Warner le fait pour récupérer son investissement. On ne connaît pas la durée de la pandémie ni comment se fera la reprise. Aujourd'hui, c'est beaucoup trop tôt. Les acteurs du cinéma ont tout intérêt à attendre 2021, voire fin 2021, pour savoir comment sortir de cette pandémie et comment les habitudes de consommation auront évolué ou non.

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