Reportage Pour moins polluer, des éco-managers sur les plateaux de cinéma et de télévision

Pour bénéficier des aides du CNC, à partir du 1er janvier, les producteurs de séries, de films et d’émissions audiovisuelles devront fournir un bilan carbone de leurs œuvres. Très polluant, ce secteur fait des efforts pour se verdir et il peut désormais s’appuyer sur des éco-managers.
Article rédigé par franceinfo - Aurore Richard
Radio France
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Tournage du film "La Morsure" réalisé par Romain De Saint-Blanquat dans l'ancien établissement scolaire d'institution libre de Combrée dans le Maine-et-Loire, le 3 mars 2022 (photo d'illustration). (JOSSELIN CLAIR/PHOTOPQR/LE COURRIER DE L'OUEST/MAXPPP)

Au 1er janvier 2024, le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) va conditionner l’attribution de ses aides à un bilan carbone que devront fournir les producteurs de films, de séries ou de programmes audiovisuels. Cela prend en compte l’énergie utilisée pour le tournage et la post-production, la nourriture pour les équipes, l’empreinte écologique des décors, ou encore tous les déplacements pendant le tournage et jusqu’à la promotion. Il s’agira même d’un double bilan puisqu’ils devront faire, en amont, une estimation en équivalent carbone, et à la fin, ils devront comptabiliser leur bilan carbone réel.

Cette initiative doit permettre d’améliorer l’impact sur l’environnement des industries du cinéma et de l’audiovisuel, et de savoir où il faut faire des efforts, sur quels postes et sur quelles pratiques. La production d’une heure d’émission de télévision correspond à dix tonnes d’équivalent carbone, soit dix allers-retours Paris-New York, selon Ecoprod, un collectif qui a pour mission de sensibiliser ces industries à leur impact sur la planète. Pour un long-métrage, il faut compter en moyenne 750 tonnes d’équivalent carbone.

Malgré tout, certains professionnels n’ont pas attendu cette "éco-conditionnalité" du CNC pour commencer à agir et à faire des efforts pour moins polluer. D’ailleurs, pour les aider, il existe désormais ce qu’on appelle des éco-managers. Étienne Labroue, qui a une carrière d’auteur et réalisateur, est éco-manager depuis deux ans. Il a notamment travaillé avec la société Endemol sur des programmes comme Celebrity Hunted ou avec Quad sur une série de fictions.

Des plateaux sans bouteille d'eau en plastique

Pour lui, plus on fait appel tôt à un éco-manager dans le projet, "plus on a de chances de pouvoir mettre en place des actions réellement efficaces". Et ce qu’il conseille pour améliorer son bilan carbone est vraiment très large. Il s’agit par exemple, pendant toute la production du film, de réduire les déchets en remplaçant les bouteilles d'eau en plastique par des gourdes. Au maquillage, de supprimer les lingettes démaquillantes. À la lumière, d'utiliser des LED.

L’un des postes qui fait gonfler le bilan carbone, ce sont les décors. Étienne Labroue préconise donc d’utiliser de la seconde main. Des sites comme la Ressourcerie du cinéma à Montreuil ou la Réserve des arts à Pantin proposent justement des décors récupérés. "On peut aussi faire du retro-design pour les productions les plus ambitieuses écologiquement, précise l’éco-manager. C’est-à-dire essayer de construire des décors, non pas en fonction de dessins, à partir de rien, mais en fonction d’éléments de décor qu’on est sûr de pouvoir récupérer".

L’impact carbone d’une œuvre audiovisuelle se joue aussi dans les assiettes de l’équipe, d’où les recommandations à se fournir localement et à limiter, voire à supprimer, la consommation de viande, notamment de viande rouge. "Un repas avec viande rouge a 14 fois plus d’impact qu’un repas végétarien. Multiplié par le nombre de repas servis sur un tournage, c’est un impact réel", estime Étienne Labroue. Cette idée a d’ailleurs été appliquée par Barbara Letellier, productrice chez Haut et Court, qui a travaillé sur cinq films avec une éco-manageuse : "En tout début de préparation d’un film, on fait un sondage pour que l’équipe choisisse une cantine avec un menu végétarien, une, deux ou trois fois par semaine ou tous les jours. L’alimentation, ce n’est pas simple à changer sur les tournages. Dès lors qu’on parle de menu végétarien à des comédiens, des techniciens, etc… Parfois, ça peut être encore compliqué mais heureusement, de moins en moins".

Autre mesure préconisée par les éco-managers que Barbara Letellier suit : privilégier les transports les moins polluants. Cela veut dire choisir le train plutôt que l’avion pour se rendre sur un lieu de tournage ou pendant la promotion d’un film. Penser aussi au covoiturage, "même si ce n’est pas spontané pour certains, plus habitués à être seuls dans une voiture", reconnaît l’éco-manager. Cette problématique des transports est liée d’ailleurs au choix du lieu de tournage, puisqu’il va de soi qu’une équipe ne pourra pas se déplacer de la même manière pour un tournage en Normandie et aux Philippines. Pour la productrice de chez Haut et Court, il faut aussi s’interroger, "sans contraindre la liberté artistique", sur l’utilité d’avoir deux, trois ou quatre sites - ce qu’elle appelle des décors - pour un seul et même film. "Dans La Nuit du 12 de Dominik Moll, quasiment tout le tournage s’est déroulé dans un seul décor, à Saint-Jean-de-Maurienne", indique-t-elle.

"Dominik Moll avait aussi à cœur que les sites de tournage secondaires soient dans un périmètre restreint pour éviter les déplacements"

Barbara Letellier, productrice de chez Haut et Court

à franceinfo

Malgré tout, pour Étienne Labroue, même si le lieu de tournage retenu n’est pas "vertueux", "l’éco-manager n’a pas les moyens de dire 'on va changer de décor, de site'". "Et je ne sais pas si c’est souhaitable, poursuit-il. Je pense que l’éco-production ne peut pas impacter l’artistique. Mais cela ne doit pas empêcher de réfléchir à ces problématiques".

"C'est surtout une question de conviction"

L’éco-manager précise qu’au-delà du bilan carbone, être plus respectueux de l’environnement, cela passe aussi par les messages véhiculés à l’écran : "par exemple, à l’image, dans une cuisine, on va intégrer dans le décor des poubelles de tri ou des bocaux de vrac. Et c’est d’autant plus efficace qu’on le fait dans des émissions qui, a priori, ne sont pas du tout consacrées à l’écologie, comme sur Un si grand soleil avec qui j’ai collaboré".

Mettre en application ces mesures, cela demande de l’organisation et concernant le budget, c'est entre 0,1 et 1% de plus selon l’éco-manager. Globalement, si prendre le train peut être plus cher que prendre l’avion, cela peut être compensé avec les économies faites avec du décor de seconde main. "C’est surtout une question de conviction", souligne Barbara Letellier.

Pour l’instant, le résultat du bilan carbone ne sera pas pris en compte pour l’attribution des aides du CNC. En revanche, il n'est pas impossible d’imaginer qu’un bonus soit mis en place, sur le même principe que le bonus attribué par le CNC, depuis 2019, aux films et séries qui intègrent autant de femmes que d’hommes dans les postes d’encadrement de leur équipe de tournage. Par ailleurs, la fourniture d’un bilan carbone sera aussi imposée comme condition à l’attribution d’aides du CNC aux "œuvres d’animation, immersives et jeux vidéo". Ils "seront concernés ultérieurement", indique l’institution.

Pollution : des éco-managers sur les plateaux de cinéma et de télévision - Reportage d'Aurore Richard

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