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"J'étais devenue son esclave" : Luc Besson décrit en patron "tyrannique" à son procès pour le licenciement de son assistante

Le réalisateur a été jugé mercredi devant le tribunal correctionnel de Bobigny pour avoir licencié, début 2018, son assistante de direction alors qu'elle était en arrêt maladie. Le parquet a requis dix mois de prison contre le producteur.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Le producteur-réalisateur Luc Besson lors de la première du film "Eva" au festival international du film de Berlin, en Allemagne, le 17 février 2018.  (STEFANIE LOOS / AFP)

Il s'est fait attendre, comme le jour de son entretien avec Sophie F. Luc Besson ne s'est pas présenté à son procès pour le licenciement discriminatoire de son assistante de direction. L'audience se tenait, mercredi 27 novembre, devant le tribunal correctionnel de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Le réalisateur, "coincé dans un taxi au milieu des manifestations d'agriculteurs", selon son avocat, a fini par donner pourvoi à son conseil pour le représenter, in extremis.

"L'agriculture a failli avoir raison de la justice mais la justice a eu raison des tracteurs", a ironisé le procureur. Rémi Chaise s'était prononcé en faveur de la tenue des débats malgré l'absence du prévenu, soulignant à quel point il est rare qu'une affaire de discrimination atterrisse dans une juridiction pénale. C'est sur la foi d'une longue enquête de l'inspection du travail que le parquet a renvoyé directement devant le tribunal Luc Besson et sa société Europacorp, dans la tourmente depuis les accusations de viols qui visent le cinéaste.

Cette "triste affaire", selon les mots du magistrat, démarre quatre plus tôt, quand Sophie F. rejoint le fleuron du cinéma français en tant qu'assistante de direction, après quinze ans d'expérience dans une autre maison de production. "Lors du premier entretien, il m'a fait attendre quatre heures. J'aurais dû partir, souffle à la barre cette femme d'une cinquantaine d'années, le port élégant. Puis je me suis surpassée, en mettant de côté ma vie privée."

"C'est quelqu'un qui ne m'aimait pas"

Posément, la présidente du tribunal, Alexandra Vaillant, résume les éléments qui caractérisaient "la relation de travail" entre Sophie F. et Luc Besson : "Les demandes par SMS sur son téléphone personnel le soir, le week-end et pendant ses congés", "les tâches relevant de la vie privée"... Entre autres : l'organisation de voyages pour le couple Besson, la prise de rendez-vous chez le médecin pour les enfants, chez le coiffeur ou chez l'esthéticienne pour madame Besson ou encore la réservation "d'une table pour douze people au restaurant Le Jules Verne"

A l'été 2015, quand Sophie F. part en vacances, Luc Besson la presse par SMS : "Qui s'occupe de mes messages et par qui je passe pour organiser mes voyages pendant ton absence ?" "Il m'a appelée pour exiger un mail d'excuses si je ne voulais pas être virée", assure son ancienne employée devant le tribunal. Un e-mail versé au dossier. Entendu par l'inspection du travail début 2019, le cinéaste rétorque que Sophie F. "ne s'était pas organisée avant de prendre ses congés" et qu'elle a écrit cette lettre de contrition de "sa propre initiative".

La présidente prend soin de lire cette déclaration du prévenu au sujet de son ancienne assistante : "Quand je l'ai rencontrée, elle venait de perdre son travail, je sais les difficultés pour une femme seule avec des enfants pour trouver un emploi. Elle était maladroite, faisait des erreurs, je l'ai soutenue longtemps." En entendant ces propos jugés "condescendants et sexistes" par le procureur, l'intéressée explose : "Je devais retranscrire tous ses scénarios à partir de textos sur mon téléphone personnel. C'est quelqu'un qui ne me parlait pas, qui ne m'aimait pas."

J'étais devenue pour lui comme le Siri d'Apple, son esclave.

Sophie F.

devant le tribunal correctionnel de Bobigny

Quand Luc Besson lui refuse trois jours de vacances à la Toussaint, en 2017, c'est "la goutte d'eau qui fait déborder le vase". Pour seule réponse, un "non" entouré sur la feuille de congés et cette phrase : "Prends-les avant ou après." Selon le témoignage d'une collègue présente dans les bureaux d'Europacorp à Saint-Denis ce jour-là, Sophie F. "s'effondre littéralement, choquée par le mépris" de son patron. Fébrile, elle envoie ce message : "Je ne comprends pas votre refus, je n'ai pas d'autre choix que de les prendre en raison d'une urgence familiale. Bien entendu, je resterai joignable. Pouvez-vous me donner votre accord ?" Après un rendez-vous chez son médecin traitant, elle est arrêtée. 

"Cela a dû l'énerver que son esclave se rebelle"

C'est sur la base de cet arrêt de travail, qualifié de frauduleux, que Sophie F. est licenciée pour "faute grave" le 9 janvier 2018. Luc Besson et Europacorp estiment qu'elle voulait en réalité prendre ses trois jours. Son arrêt va durer trois mois et pendant cette période, son état de santé est jugé incompatible avec la reprise du travail par quatre médecins. L'un d'eux fait état de sa "souffrance" et d'un "management à revoir", souligne à l'audience l'inspecteur du travail qui a mené l'enquête.

"Luc Besson était conscient de la situation" puisque c'est lui-même qui a organisé, par le biais de son avocat, la visite de contrôle d'un médecin au domicile de sa salariée, plaide l'avocat de la partie civile. Mathieu Brulé voit dans le licenciement de sa cliente "une volonté punitive dans un contexte de harcèlement moral" et dresse un portrait accablant du réalisateur, une "personnalité qui ne supporte pas la contradiction".

Il a essayé de la détruire psychologiquement et n'est pas loin d'y être arrivé.

L'avocat de Sophie F.

devant le tribunal correctionnel de Bobigny

Après son licenciement, Sophie F. est restée encore treize mois en arrêt maladie et vient tout juste de retrouver un emploi, deux ans après les faits. Elle a obtenu, début novembre, la condamnation de Luc Besson pour "harcèlement moral" devant les prud'hommes (les parties peuvent encore faire appel).

Si le tribunal correctionnel n'est saisi, lui, que du volet "discrimination", cette dimension de harcèlement a occupé les débats, le procureur allant jusqu'à comparer le dossier avec Le Diable s'habille en Prada, ce roman américain, adapté au cinéma, qui raconte les déboires de l'assistante personnelle d'une rédactrice en chef despotique et capricieuse. "Cela a dû l'énerver profondément que son esclave se rebelle" car "il faut céder aux exigences et aux caprices de Luc Besson", raille le procureur Rémi Chaise. Son réquisitoire est accablant : évoquant une "personnalité tyrannique" qui a placé son assistante "dans un état de sujétion permanente", il réclame dix mois de prison avec sursis et 30 000 euros d'amende à l'encontre de Luc Besson et 50 000 euros d'amende à l'encontre d'Europacorp. 

"Une peine infamante et hors de proportion", bondit l'avocat du producteur. Arnaud de Senilhes assure que Sophie F. n'a pas été licenciée "parce qu'elle était en congé maladie" mais "pendant" son congé maladie, Luc Besson ayant estimé qu'elle avait passé outre son refus de prendre des jours fin octobre, période du "début du tournage d'Anna à Moscou et de la sortie du Grand Jeu en France". Un argument balayé par l'ex-assistante : "Je n'allais jamais sur les tournages." Pour ce qui est des SMS envoyés tardivement à Sophie F., l'avocat de la défense invoque le décalage horaire, Luc Besson étant domicilié la plupart du temps sur la côte ouest des Etats-Unis. "Elle avait des horaires de travail très flexibles", fait valoir Arnaud de Senilhes, tentant de réhabiliter l'image de son client. Pour lui, il n'y a "pas lieu à une condamnation pénale" dans cette affaire. La décision sera rendue le 8 janvier.

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