"J'étais tellement docile, complètement endoctrinée" : Judith Godrèche se confie sur Benoît Jacquot qu'elle accuse de violences sexuelles

L'actrice a porté plainte contre le réalisateur, mardi 6 février, pour viols sur mineure. Elle dénonce des faits qui se sont déroulés lorsqu'elle était adolescente.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
L'actrice Judith Godrèche, invitée de France Inter jeudi 8 février. (FRANCE INTER/RADIO FRANCE)

"Je regardais cet homme comme une figure paternelle, comme l'autorité sur le tournage", confie jeudi 8 février à France Inter l'actrice Judith Godrèche au sujet de Benoît Jacquot, contre qui elle a porté plainte mardi 6 février pour viols sur mineure. Le parquet de Paris a annoncé, mercredi 7 février, l'ouverture d'une enquête préliminaire.

La relation entre la comédienne et le cinéaste de 25 ans son aîné a débuté alors qu'elle avait 14 ans. Aujourd'hui âgée de 51 ans, Judith Godrèche essaie de se souvenir d'un "moment où [elle a] regardé cet homme en se disant qu'[elle] avait envie de sortir avec lui, qu'il était beau", mais elle confie ne l'avoir "jamais" ressenti. "Je n'ai jamais été attirée par Benoît Jacquot mais je me suis retrouvée avec lui", insiste-t-elle. L'actrice explique s'être "retrouvée dans son lit, être sa femme, sa petite femme, son enfant-femme".

Une relation d'emprise où "tout est sacré"

Judith Godrèche décrit Benoît Jacquot comme un homme "qui faisait de grandes phrases définitives, qui vous parlait de vous comme si vous n'aviez jamais été vue avant, comme si vous naissiez à travers les remarques qu'il faisait sur votre beauté, les livres qu'il vous offrait, les films qu'il vous montrait". Elle témoigne d'une "construction psychique qui se reconstruit à travers ses yeux, comme s'il créait un portrait d'une fille, d'une enfant, qui va devenir le vôtre". L'actrice décrit la relation d'emprise qui se noue avec le cinéaste de "façon insidieuse". Elle compare ainsi Benoît Jacquot au "loup qui s'est déguisé en grand-mère dans Le Petit Chaperon rouge". "C'est comme quelqu'un qui avancerait dans votre dos avec un plan, une vision de ce qu'il veut (...) et qui vous jette un grand drap noir sur la tête", précise-t-elle. Selon elle, le cinéaste lui fixe des règles sur sa manière de s'habiller, sur la longueur de ses cheveux ou encore sur sa nourriture. "Tout est sacré, tout est de l'ordre du fétiche", se remémore la comédienne.

Elle explique également que Benoît Jacquot "crée un système de manque", la poussant à se sentir "complètement dépendante". "Il met en scène des absences, il s'invente tout un passé" et notamment des relations avec Ava Gardner, Isabelle Adjani ou encore Anna Karina, relate l'actrice. Elle a alors l'impression de "rencontrer quelqu'un qui était le meilleur ami de tous mes écrivains préférés, qui avait couché avec toutes mes actrices préférées". "C'était comme une main qui se referme sur votre cœur, qui serre et dont il est impossible de s'en dégager", déplore-t-elle, la voix tremblante.

"Il aurait fallu une armée d'adulte"

Judith Godrèche confie avoir eu "peur" de déroger aux règles que lui fixait le cinéaste, expliquant avoir "de bonnes raisons". Elle assure ainsi qu'il racontait "avoir tué quelqu'un, qu'il avait un pistolet" chez lui. "Au début, j'étais tellement docile, complètement endoctrinée", se souvient-elle. Judith Godrèche compare sa situation à celle d'une personne qui aurait rejoint "une secte" : "Je suivais complètement les règles de mon gourou." La comédienne raconte que si au début, elle "n'avait pas de raison d'avoir peur", à "partir du moment où [elle a] commencé à émettre des désirs, des souhaits qui ne correspondaient pas aux règles", la situation est devenue "terrifiante". Elle évoque "de la violence physique" et des "coups" qui s'intensifient, "plus [elle] demande une liberté, plus [elle se] révolte". L'actrice dit aussi avoir été victime de "sévices sexuels et de sadisme sexuel immédiatement" de la part de Benoît Jacquot.

Judith Godrèche estime que "pour résister à ça, il aurait fallu une armée d'adultes", mais précise que ses "parents n'avaient aucune place là-dedans". Elle se demande s'ils "auraient pu se battre", et considère qu'à leur place elle "l'aurait fait".

Les électrochocs Vanessa Springora et Harvey Weinstein

L'actrice revient par ailleurs sur ce qui l'a motivée à porter plainte contre Benoît Jacquot mardi 6 février, des décennies plus tard. Elle détaille ce "long cheminement" qui lui a pris plusieurs années. Judith Godrèche évoque par exemple le rôle de la sortie du livre Le Consentement de Vanessa Springora (2020, éditions Grasset). "Je commence à le lire, et je ne peux pas" le terminer, confesse-t-elle. À l'époque, elle ressent un "désir de ne pas vouloir regarder son passé et son enfance comme quelque chose qui serait de l'ordre d'un traumatisme", une certaine impossibilité à se "vivre en victime".

Judith Godrèche insiste aussi sur le rôle qu'a pu jouer dans son cheminement l'affaire Harvey Weinstein, en 2017. Alors qu'elle vit à Los Angeles, "la procureure de New York" vient la voir et lui demande "de parler de cette tentative de viol". À la fin de cet entretien, la procureure lui fait savoir qu'elle veut qu'elle "témoignage à la barre", ce que refuse Judith Godrèche. L'actrice craint en effet d'avoir la posture de "mauvaise victime" du fait justement de sa relation avec Benoît Jacquot quand elle était adolescente. Elle ne se sent alors pas légitime pour parler, comme s'il était "une mauvaise fille, une mauvaise victime ou pire encore, quelqu'un dont il est normal d'abuser de nouveau".

Judith Godrèche craint de ne pas être la seule à avoir été victime de telles violences. "Je le pense et je le sais", soutient-elle. La comédienne confie également se sentir "un peu responsable" et décrit, avec énormément d'émotions dans la voix, un sentiment de culpabilité. Elle explique ainsi avoir reçu beaucoup de témoignages de femmes qui, alors qu'elles "étaient de très jeunes filles", se sont retrouvées dans une situation similaire, "draguées par un homme de 40 ans". Ces femmes ont confié à Judith Godrèche qu'elles avaient une "image glamour" de sa relation avec Benoît Jacquot. "Le fait que ça ait eu des conséquences sur d'autres femmes que moi, ce n'est pas un truc dont je suis fière", déplore-t-elle.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.