: Infographies "Oppenheimer", "Mission : Impossible", "Indiana Jones"… Pourquoi les plus gros succès au box-office sont-ils de plus en plus longs ?
"Mais que c'est long !" Si vous êtes allé au cinéma ces derniers temps, il est fort probable que ces mots vous soient passés par la tête. Les longs-métrages n'ont jamais aussi bien porté leur nom. Un simple coup d'œil aux grandes sorties de l'été suffit à donner le tempo. Comptez 3 heures pour Oppenheimer, le dernier-né du réalisateur Christopher Nolan. Pour le septième volet de Mission : Impossible, il faut avoir devant soi 2 heures et 46 minutes. Et les aventures du plus célèbre des archéologues, Indiana Jones, tiennent en haleine le public pendant 2 heures et 34 minutes. Tout cela sans compter les bandes annonces et publicités qui précèdent les projections.
A l'heure où les vidéos courtes pullulent sur les réseaux TikTok et Instagram, dans les salles obscures les séances ont plutôt tendance à s'allonger. Ce phénomène se jauge à la durée moyenne des plus gros succès au box-office français. En 2021, les films qui ont dépassé le million d'entrées ont duré 2 heures et 1 minute en moyenne. Un record depuis les années 1950, d'après nos calculs. Les sorties de 2023 pourraient bien les surpasser : la moyenne s'établit déjà à 2 heures et 8 minutes pour les sept premiers mois de l'année.
Ce boom de la durée des films ne surprend pas Eric Marti, le monsieur chiffres du cinéma français pour le cabinet d'analyse international Comscore. "Avant, la durée raisonnable d'un film était d'environ 1h30. Aujourd'hui, c'est plutôt 2 heures", confirme cet analyste. Ce phénomène a pris encore davantage d'ampleur ces dernières années. La proportion de films courts, d'1h30 ou moins, est en chute libre au box-office depuis 2015. Dans le même temps, celle de films de 2 heures ou plus grimpe en flèche.
Cette tendance à la hausse des films de plus de 2 heures concerne en réalité surtout les super-productions hollywoodiennes. La comparaison de la durée moyenne des films américains avec celle des films français montre que ce sont les blockbusters venus d'Outre-Atlantique qui s'étirent le plus en longueur.
"Une prime au spectaculaire"
Ces films sont les plus plébiscités par le public français depuis la réouverture post-Covid des cinémas. "Depuis 2021, nous constatons que les spectateurs ont surtout été attirés par les très grosses machines. Il y a une prime au spectaculaire", souligne Eric Marti.
Le deuxième volet de la saga Avatar, sorti en décembre 2022, est emblématique de cette évolution. Le film affiche 3h12 au compteur. C'est une demi-heure de plus que le premier volet sorti en 2009. Ce boom est encore plus remarquable avec le remake de la Petite Sirène de Disney, sorti en salles en mai. La version 2023 s'étire sur 2h16, soit presque une heure de plus que la version dessin animée, sortie en 1990, qui ne dure qu'1h23.
Cette tendance s'expliquerait en partie par l'arrivée du "tout-numérique". "A compter de la fin des années 2000, les bobines ont presque entièrement disparu de la chaîne de production des films, aussi bien sur les tournages qu'en salles de projection. Le numérique a tout remplacé et a libéré les réalisateurs", remarque Marc-Olivier Sebbag, le délégué général de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF). Une analyse partagée par Eric Marti. "Le coût technologique de production des films a baissé avec le numérique", abonde l'analyste de Comscore France. Pourtant, le Oppenheimer de Christopher Nolan est tourné sur pellicule.
Dans une enquête publiée le 20 juillet, le magazine américain Vanity Fair avance d'autres explications. A commencer par la fin de l'ère des super-producteurs comme Harvey Weinstein. Avant d'être condamné dans plusieurs affaires de violences sexuelles et emporté par la vague MeToo, l'ancien patron du studio de production Miramax avait été surnommé Harvey "les ciseaux" (scissorhands en anglais), en référence aux coupes qu'il imposait aux films qu'il produisait. Or, les producteurs capables de parler d'égal à égal avec les grands cinéastes au moment du final cut, le montage définitif d'un film, se font de plus en plus rares, selon Vanity Fair. Les studios de cinéma redouteraient de voir les grands réalisateurs filer vers les plateformes de vidéo à la demande comme Netflix, Amazon ou Apple.
L'ère du pique-nique au cinéma ?
En attendant, cette nouvelle mode n'est pas forcément du goût de tout le monde. "Pas le temps d'aller aux toilettes", a ainsi titré le quotidien anglais The Independent, en octobre 2022. L'autrice de l'article, Fiona Sturges, passablement agacée par la durée des films, s'interrogeait : "Doit-on manger avant le film ou provoquer l'ire de nos voisins de salles en sortant un pique-nique ?" La chroniqueuse concluait en expliquant avoir renoncé à aller voir le dernier James Bond (2h43), "par égard pour [s]on coccyx".
Les films qui s'étalent sur une très longue durée ne sont pourtant pas une nouveauté. Ainsi de Lawrence d'Arabie (3h36) en 1963 au 1900 de Bertolucci (5h17) en 1976 en passant par Il était une fois en Amérique (3h49) de Sergio Leone en 1984. Mais par le passé, ces records de durée n'étaient l'apanage que d'une poignée de grandes fresques épiques, alors qu'aujourd'hui la tendance à faire plus long se généralise. Les blockbusters américains s'étirent dans les pas du Titanic de James Cameron, qui avait généré des recettes record de plus de 2,2 milliards de dollars, à sa sortie fin 1997 aux Etats-Unis, malgré une durée de 3h14.
Pour les studios hollywoodiens, "ç'en est assez"
Mais faire long n'est pas forcément synonyme de succès. Le cinéaste Damien Chazelle en a fait les frais cette année. Babylon (3h09), le dernier long-métrage du réalisateur acclamé de La La Land, n'a pas fait recette. Le film, sorti en janvier, devait générer 250 millions de dollars pour rentrer dans ses frais, selon le média américain Deadline Hollywood. Or il n'a récolté que 63 millions de dollars, d'après le décompte du site Imdb. La question peut également se poser pour The Fabelmans (2h31) de Steven Spielberg, qui n'a pas eu le succès escompté. Ces films auraient-ils attiré davantage de spectateurs s'ils avaient été plus courts ?
La question semble agiter les grands studios hollywoodiens, d'après des propos rapportés par le magazine Vanity Fair. "Je pense que c'est un problème. Les films sont trop longs", s'inquiète ainsi Jason Blum, producteur de films d'horreurs comme Paranormal Activity, dans les colonnes du magazine. "Ç'en est assez", avertit également un dirigeant de studio anonyme. Les producteurs semblent notamment préoccupés par le fait qu'une certaine partie du public soit découragé par des films jugés trop longs. Il faut dire que même les cinéphiles prêtent attention à la durée des films. Il seraient plus de 50% à regarder la durée avant d'acheter leur ticket, si l'on en croit un sondage du Los Angeles Times réalisé en 2021.
Les professionnels sont aussi inquiets de la baisse du nombre de projections qu'entraîne l'allongement de la durée des films. "On sait qu'avec un film de 3 heures on fait sauter une séance par jour et par cinéma, par rapport à un film qui dure entre 2 heures et 2h30. Et par rapport à un film d'1h30, c'est deux séances", résume Eric Marti auprès de Franceinfo. Pour l'heure, le phénomène ne semble cependant pas inquiéter les propriétaires des salles de cinémas françaises. L'heure est plutôt à se satisfaire du retour des spectateurs. "Les salles sont pleines", se réjouissait ainsi Marc-Olivier Sebbag, le 2 juin auprès du Parisien.
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