Festival de Cannes 2024 : pourquoi le retour de Francis Ford Coppola sur la Croisette est un événement

Le réalisateur américain revient à Cannes avec "Megalopolis", film de science-fiction présenté en compétition, porté par Adam Driver. Lauréat de deux Palmes d'or, Francis Ford Coppola joue très gros avec ce dernier long-métrage, financé avec son propre argent.
Article rédigé par franceinfo
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Le réalisateur américain Francis Ford Coppola lors d'un gala à Atlanta, aux Etats-Unis, le 16 mars 2024. (DEREK WHITE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

George Lucas, Kevin Costner, Richard Gere, Meryl Streep… Les vieilles gloires du cinéma américain ont rendez-vous au Festival de Cannes. Mais l'une d'elles est plus attendue encore. Francis Ford Coppola, un des cinéastes les plus emblématiques du Nouvel Hollywood, cet âge d'or des studios américains qui dura des années 1960 à 1980, fait son grand retour sur la Croisette avec son nouveau film, Megalopolis, présenté jeudi 16 mai en compétition.

Franceinfo vous explique pourquoi la projection de ce long-métrage de science-fiction imaginant la reconstruction d'un New York fictif est un événement majeur de cette 77e édition.

L'un des rares cinéastes doublement palmés

Tout au long de sa riche carrière, Francis Ford Coppola a tissé des liens étroits avec le festival cannois. Il y fait sa première apparition en 1967. Il a alors 28 ans et présente, en compétition, You're a Big Boy, Now. Suivront Conversation Secrète en 1974, Apocalypse Now, en 1979, puis New York Stories en 1989, un film à sketchs réalisé avec Martin Scorsese et Woody Allen, et Tetro, présenté en ouverture de la Quinzaine des réalisateurs, une sélection parallèle, en 2009. Sa dernière apparition sur la Croisette.

Le cinéaste a aussi été président du jury en 1996, décernant la Palme d'or à Secrets et Mensonges de Mike Leigh et laissant un heureux souvenir à Gilles Jacob, délégué général à l'époque. "Il a été extrêmement démocrate, peut-être l'un des plus démocrates que j'ai connus, se souvient-il dans Les Echos. Le premier jour, il a donné une liste de questions auxquelles il leur faudrait répondre à la fin. Tout le monde a accepté de jouer le jeu. Au final, le palmarès est vraiment le meilleur qu'on ait pu avoir."

A 85 ans, le revoilà donc avec Megalopolis, son premier long-métrage depuis Twixt, sorti en 2011. De quoi enchanter Thierry Frémaux, le délégué général du Festival. "Quoi qu'il se passe, son retour après tant d'années est une émotion intégrale", savoure-t-il dans Les Echos.

"Coppola a construit la légende du Festival de Cannes, et Cannes a construit la légende de Coppola."

Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes

aux "Echos"

"Francis, c'est la compétition ou rien", a résumé Thierry Frémaux, en marge de l'annonce de la Sélection officielle en avril. Déçu de repartir bredouille lors de sa première venue en 1968, Francis Ford Coppola s'est bien rattrapé depuis. Il a triomphé en 1974 avec Conversation secrète qui a obtenu le Grand Prix international du Festival, la plus prestigieuse récompense, la Palme d'or n'étant définitivement adoptée par le Festival qu'en 1975. "Ce film, petit, modeste, très personnel, un des rares que j'ai écrits moi-même, je ne lui promettais pas un grand succès", raconte-t-il pourtant dans Les Echos.

Des coups d'éclat mémorables

Cinq ans après cette première consécration, en 1979, il a obtenu une seconde Palme d'or avec Apocalypse Now. Cette année-là, auréolé du succès de Conversation secrète et des deux premiers volets du Parrain, Francis Ford Coppola fait un retour dantesque pour lequel il dicte ses conditions à Gilles Jacob : inscrire le film en compétition alors qu'il possède deux fins et n'est pas terminé, loger sa famille durant le Festival, et organiser une conférence de presse en grande pompe dans la plus grande salle du palais. Durant celle-ci, il s'en prend vertement aux médias américains qu'il accuse d'avoir véhiculé de fausses rumeurs sur le tournage cauchemardesque de son film sur la guerre du Vietnam. "C'est la presse la plus décadente du monde, elle est sans éthique, c'est une profession de menteurs, la pire que j'aie jamais rencontrée. Pendant les cinq ans de tournage, je n'ai pas lu une ligne qui ne soit un mensonge", éructe-t-il. 

Le film reçoit la Palme d'or, ex æquo avec Le Tambour de Volker Schlöndorff. Seule solution trouvée pour contenter la présidente du jury d'alors, l'écrivaine Françoise Sagan, qui préfère cette adaptation du roman de Günter Grass à la fresque guerrière de l'Américain, rappelle Le Figaro. Cette "demi-palme" agace Francis Ford Coppola. "Je n'en veux pas ! Qu'ils choisissent", lance-t-il. Il finit pourtant par l'accepter. En 2001, il revient même présenter la version "Redux" de son chef-d'œuvre, un nouveau montage guetté de longue date par ses fans. Avec deux Palmes d'or sur sa cheminée, il fait partie d'un cercle très restreint qui compte seulement huit autres membres. Il pourrait être le premier à en remporter trois, à la clôture du Festival, samedi 25 mai.

Un nouveau projet fou à défendre

Francis Ford Coppola l'a prouvé avec Apocalypse Now, la démesure ne l'effraie pas. "Coppola est une tête brûlée", souligne à l'AFP, le journaliste américain Tim Gray, qui travaille désormais pour l'organisation des Golden Globes. "[Il] a toujours pris d'énormes risques. Et sa carrière a défié la logique". Megalopolis est un projet que le cinéaste mûrit depuis plus de quarante ans. Une première mouture du scénario a été rédigée en 1983, relate Le Monde. Francis Ford Coppola voulait absolument réaliser ce film "avant [sa] mort", assure-t-il dans un entretien au Point

L'histoire est celle d'un architecte, César Catilina, campé par Adam Driver, qui rêve de reconstruire une mégalopole qui ressemble à New York, détruite après un cataclysme. Son projet utopique se heurte à celui du maire de la ville, Franklyn Cicero, joué par Giancarlo Esposito. L'édile prône, lui, un statu quo "régressif, protecteur de la cupidité, des privilèges et des milices privées", raconte le synopsis officiel. Au milieu de ce duel, se trouve la fille du maire, Julia Cicero, interprétée par Nathalie Emmanuel, amoureuse de César Catilina. César, Cicero, Julia… Des références à l'Empire romain pour mieux évoquer notre monde actuel. "Le script décrit une société dans un futur utopique, mais qui se réalisera (...) Megalopolis symbolisera ma connexion à cette idée que la race humaine se dirige forcément vers un avenir meilleur", promettait-il dans son entretien au Point.

Une vitrine pour séduire les distributeurs et le public

Pour parvenir à réaliser ce film, le cinéaste a dû laisser passer le 11-Septembre. Pas question de filmer un New York dévasté après l'attentat qui a frappé les tours jumelles. Echaudé par ses expériences avec les grands studios hollywoodiens, il entendait aussi "le financer tout seul", a expliqué Thierry Frémaux. L'unique moyen pour avoir les mains libres. Il a donc réuni les 150 millions de dollars de budget (environ 139 millions d'euros) en vendant une partie des vignobles qu'il possède en Californie et qui ont fait sa fortune, comme le rapporte Le Monde.

Comme pour Apocalypse Now, le tournage a encore été chaotique, selon le magazine spécialisé The Hollywood Reporter, et la projection, qui a eu lieu à Los Angeles fin mars, n'a pas convaincu tout le monde, selon les échos obtenus par le même magazine. Au point que le film n'a toujours pas trouvé de distributeur aux Etats-Unis. En France, c'est Le Pacte, dirigé par Jean Labadie, qui assurera la distribution du long-métrage et Goodfellas, de Vincent Maraval, qui s'occupera des ventes internationales, précise Le Monde. Un succès à Cannes pourrait décider les distributeurs américains à s'engager. Francis Ford Coppola ne pouvait rêver meilleure vitrine promotionnelle pour son film que Cannes. Mais il y joue aussi très gros.

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