Festival de Cannes 2024 : avant l'ouverture, la Croisette fébrile face à l'éventualité d'un nouveau #MeToo dans le monde du cinéma

Après les accusations formulées par Judith Godrèche à l'encontre de Benoît Jacquot et Jacques Doillon, le magazine "Elle" publie, lundi soir, une enquête mettant en cause le producteur Alain Sarde.
Article rédigé par Laurence Houot, Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Derniers préparatifs du 77e Festival de Cannes (Alpes-Maritimes), le 13 mai 2024. (ANDREEA ALEXANDRU / AP / SIPA)

Sous un ciel déjà assombri par une météo qui fait grise mine, le Festival de Cannes se prépare dans l'ombre de #MeToo, sept ans après l'affaire Harvey Weinstein, qui a libéré la parole des femmes sur les cas d'agressions sexuelles, notamment dans le milieu du cinéma. À la veille de l'ouverture de cette 77e édition, le magazine Elle a publié, lundi 13 mai dans la soirée, les témoignages de neuf femmes accusant Alain Sarde, producteur-star de 200 longs-métrages, de viols, harcèlement et agressions sexuelles. "Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes depuis 2007, le décrivait en 2012, dans une interview croisée pour Le Film français, comme un mythe, un conteur formidable qui a traversé l'histoire du 7e art", épingle le magazine avant de laisser la parole aux neuf accusatrices.

Cette nouvelle affaire survient alors que la rumeur de l'existence d'une "liste" d'acteurs, de réalisateurs et de producteurs français, accusés d'agressions sexuelles, circule depuis plusieurs semaines dans le microcosme du cinéma. Le 5 mai, Le Figaro s'en est fait l'écho, annonçant dans ses colonnes que leurs noms étaient susceptibles d'être divulgués "avant la montée des marches". Aucune enquête journalistique n'a cependant confirmé ces rumeurs. 

"Je ne sais pas d'où vient cette rumeur de liste, mais elle est infondée", a ainsi insisté Marine Turchi, journaliste spécialiste des violences sexuelles à Mediapart. Interrogée par Le Parisien, le 11 mai, elle a martelé que "Mediapart ne publie pas de liste, mais des enquêtes, longues, étayées et respectueuses du contradictoire". Toujours auprès du quotidien, Muriel Réus, cofondatrice de l'association #MeTooMedia, confirme : "Il y a des enquêtes journalistiques en cours, mais je ne crois pas à une liste."

"Non, je ne fais pas des listes"

"On attend de la transparence, de la communication et des actions, et que l'ensemble de l'industrie remette en question ses pratiques", a déclaré au Parisien Clémentine Charlemaine, coprésidente du collectif 50/50, qui défend l'égalité, la parité et la diversité dans le cinéma et l'audiovisuel. À 24 heures de l'ouverture officielle du plus prestigieux des festivals, le monde du cinéma affiche tout de même une certaine fébrilité.

Judith Godrèche, qui a accusé de viols deux figures du cinéma d'auteur, Benoît Jacquot et Jacques Doillon, a ainsi été accusée d'être à l'origine de la prétendue "liste". La comédienne, devenue une figure tutélaire de #MeToo en France, est attendue mercredi sur la Croisette, où elle présentera un court-métrage consacré aux violences sexuelles, Moi aussi : le film a été réalisé à partir de témoignages d'un millier de victimes ayant répondu à son appel lancé sur les réseaux sociaux, le 10 février dernier.

Sur son compte Instagram, l'actrice a réagi à ces soupçons la semaine dernière : "Non, je ne fais pas des listes (…) J'ai entendu ces rumeurs, mais les propager n'a rien à voir avec mon engagement et ne devrait avoir aucun rapport avec le métier de journaliste. C'est pour moi le symptôme d'une forme de panique. Mais c'est aussi une manière de faire passer des victimes pour des corbeaux, et de confondre accusations et délation."

Si certains avancent que ce ne sont que des rumeurs, voire une opération téléguidée par une poignée de complotistes, le festival se prépare néanmoins à l'éventualité d'un tel scénario. Selon La Tribune du dimanche, qui a tenté de remonter le fil de la rumeur, "la présidence du festival s'est attaché les services de l'agence de communication Image 7, dirigée par Anne Méaux, afin d'imaginer les différents scénarios en cas de révélations sérieuses impliquant des membres du jury ou des personnalités en compétition". De son côté, Iris Knobloch, présidente du festival, a affirmé, le 9 mai, dans un entretien à Paris Match, que "si le cas d'une personne mise en cause se présentait, nous veillerions à prendre la bonne décision au cas par cas".

"Un festival sans polémiques"

Lundi après-midi, lors de la première conférence de presse, le délégué général du Festival de Cannes, Thierry Frémaux, a été le premier à s'exprimer frontalement sur cette thématique. Il a d'abord répondu sur la projection du court-métrage de Judith Godrèche, Moi aussi, justifiant sa présence dans la section Un certain regard : "Dans cette salle, il y a une sorte de communion, de dialogue avec la salle, avec la presse, qui me semble être la meilleure position pour le film de Judith Godrèche qui dure 17 minutes."

"J'ai vu ce film qu'elle a tourné en une seule journée avec mille personnes qui sont parmi les milliers de témoignages qu'elle a reçus sur le site dédié à cet effet, à la suite de son propre engagement sur la question des violences faites aux femmes (…) Et il nous a semblé que d'abord, à Un certain regard, puis au cinéma sur la plage où il y a encore un autre type de public, c'était le meilleur endroit pour le montrer."

Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes

lors d'une conférence de presse, le 13 mai

Concernant les rumeurs qui enveniment l'atmosphère, Thierry Frémaux a répondu plus sèchement, quelques heures avant les révélations du magazine Elle. "Ce qui envenime l'atmosphère est le fait qu'on en parle. (…) Avant, on ne parlait que de cinéma. Quand le festival commençait, on avait, nous organisateurs, qu'une seule angoisse, les films. Vont-ils être aimés ou détestés ? Quel sera le palmarès ? On ne parle plus du tout de ça. Et l'année dernière fut une belle année de cinéma. Donc, on a décidé de faire un festival sans polémiques. Et il n'y a pas de polémique qui vienne du festival, parce qu'on en a précisément pris soin."

"Judith Godrèche a ouvert la voie, et plus que cela"

À la veille de l'ouverture du Festival, franceinfo a également rencontré Camille Cottin pour évoquer son rôle de maîtresse de cérémonie et l'interroger sur ce qu'elle pense évoquer à ce sujet. 

"C'est l'ouverture d'un festival. Bien sûr, il y a des choses qu'on a envie de dire. Comment les dire ? Et comment dire qu'on a envie que ce soit festif et en même temps, je ne veux pas non plus fermer les yeux sur certaines choses. Et d'ailleurs, est-ce que ce ne serait pas compatible ? Voilà : on s'interroge."

L'actrice Camille Cottin

à franceinfo

"Et puis on a quatre minutes, ce n'est pas non plus…", s'amuse-t-elle, avant de poursuivre d'un ton plus décidé : "Il va y avoir des interventions de personnalités fortes, puissantes, des femmes qui vont, elles aussi, porter une parole, qui sont des invitées importantes de cette cérémonie et de ce festival."

Interrogée plus précisément sur le contexte plus grave dans lequel s'ouvre le festival cette année, la maîtresse de cérémonie a ajouté : "Je ne vais pas vous faire un état des lieux de ce qui se passe autour, mais effectivement, Judith Godrèche a ouvert la voie, et plus que cela, puisqu'elle est allée au Sénat. Il y a des remises en question profondes, structurelles, et le fait qu'elle vienne projeter son court-métrage ici, qu'il soit diffusé ici [montre que] le festival marche vraiment de pair avec ces mouvements, les accompagne."

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