Festival de Cannes 2022 : quand la ville se mue sous nos yeux en capitale mondiale du cinéma
Récit d'une promenade sur la Croisette, la veille de la cérémonie d'ouverture du Festival de Cannes. Où l'on observe la ville s'envelopper littéralement de cinéma et l'on rencontre l'actrice Virginie Efira qui s'apprête à être maîtresse de cérémonie. Visite également chez le chef doublement étoilé Christian Sinicropi peu avant de recevoir les membres du jury du festival dans son restaurant La Palme d'or.
C'est un miracle qui se renouvelle chaque année. En quelques jours, parfois en quelques heures, avant la cérémonie officielle d'ouverture, Cannes fait sa mue festivalière, prenant tous les atours de la capitale mondiale du cinéma. Cette année ne fait pas exception, le "retour à la normale" post-pandémie (après une année blanche et une édition décalée) se fait selon un rituel désormais traditionnel.
La ville se pare de cinéma
La Croisette s'anime à partir du Palais des Festivals, habillé de chaque côté, de l'immense affiche de cette édition 75, impressionnante photo tirée de The Truman Show - un film que les festivaliers pourront revoir gratuitement depuis la plage ce mardi soir -.
Une perspective surréaliste et souriante de ces escaliers montant au ciel, à laquelle répond une autre affiche, à moins d'une centaine de mètres de là, celle toujours très artistique de la Quinzaine des Réalisateurs, couvrant une partie du palais de la Malmaison, oasis très 19e siècle entre deux immeubles modernes.
Le visuel, issu d'une photo-performance de Cecilia Paredes, Blue Flight, représente un autre envol, onirique et poétique sur fond bleu. Face au Palais des festivals, "l'armée des escabeaux" a pris place et sous les yeux des photographes et des badauds, en attendant que s'installe mardi matin le tapis rouge couvrant les marches. Signe de départ, en quelque sorte.
Mais depuis quelques jours déjà, Cannes s'est parée de cinéma et l'effet est immédiat. Affiche géante du très attendu film de Baz Luhrmann, Elvis, sur une rue donnant sur la Croisette, Broker de Kore-Eda Hirokazu et Decision to leave de Park Chan-Wook en grand sur la façade de l'Hôtel Majestic. Aux arrêts de bus, sur quelques édifices, sur les boulevards comme dans les ruelles, les stars d'hier et d'aujourd'hui sont omniprésentes. Sur la rue d'Antibes si commerçante, les passants lèvent les yeux au ciel saisis par les banderoles entre deux immeubles de la série photo 75 ans de palmes et d'émotion : ici Javier Bardem, là Gérard Depardieu torse nu sur le toit d'un palace cannois, sans doute dans les années 1970.
Plus loin, dans le quartier piétonnier du cours Félix Faure, les badauds découvrent amusés, parfois nostalgiques, les photos de l'exposition Instant'années de Daniel Angeli : Dustin Hoffman taquin en 1975, Jean-Paul Belmondo radieux, comme secoué par le vent et le soleil en 1974, l'équipe de Taxi Driver en conférence de presse en 1976 (avec une Jodie Foster si juvénile), Alfred Hitchcock accompagné par Grace Kelly (désormais princesse de Monaco) pour Frenzy en 1972. Cannes se souvient.
Virgine Efira : le cinéma m'a constituée
A quelques encablures de là, à l'ombre du grand plateau de France Télévision - désormais partenaire du festival – érigé sur le port, nous retrouvons Virginie Efira, maîtresse de cérémonie cette année, la veille de l'ouverture officielle. L'actrice évoque volontiers cet exercice si particulier qui l'attend : "Un peu de comique, un peu de dramatique ?", plaisante-t-elle : "Heu… Je vais faire avec moi, qui ne suis pas la personne la plus sinistre de la planète, mais ce n'est pas un one-woman-show non plus. L'idée est de mettre en avant d'autres personnes et peut-être juste de vouloir transmettre de manière simple", lance-t-elle. Transmettre ? Sans doute l'amour du cinéma : "Moi je sais à quoi je dois une certaine appétence à l'existence, ça vient des films que j'ai vus, des surprises que j'ai eues, et qui m'ont constituée".
Cannes a son rôle à jouer : "Que le festival soit encore en place ça raconte qu'il y a un besoin de fiction et je dirais qu'il faut essayer d'axer plutôt sur la culture que sur le divertissement, c'est-à-dire une manière de regarder autour de nous différemment, sans se laisser engloutir".
Le festival ouvre alors que la guerre fait rage en Ukraine, et Cannes veut marquer sa solidarité en diffusant dès les premiers jours à la fois le dernier film du cinéaste russe dissident Kirill Serebrennikov et le film Marioupolis 2 du réalisateur lituanien Kvedaravicius, tué en avril dernier par l'armée russe à Marioupol. La discussion avec Virginie Efira aborde alors la place du 7e art dans la thématique de crise. "Comment le cinéma peut-il traduire la réflexion sur le monde", se demande-t-elle. "Avec des émotions, par exemple, je ne crois pas au cinéma didactique, mais à celui qui bouleverse un endroit de votre cœur, j'y crois très fort. Et, du coup, on est plus poreux au monde d'après".
Le dîner du jury est servi à La Palme d'or du Martinez
Notre chemin nous mène de l'autre côté de la Croisette, jusqu'à l'Hôtel Martinez où l'on se prépare, en ce lundi 16 mai, à recevoir les membres du jury du festival pour le traditionnel dîner au restaurant La Palme d'or. Le chef doublement étoilé Christian Sinicropi nous fait passer par les cuisines pour nous présenter sa brigade, et déboucher dans une splendide salle Art déco, habitée par le cinéma tant les murs sont occupés par les légendes du 7e art. Sinicropi : un chef poète et philosophe, défenseur d'une cuisine "orginelle", qui consiste à "travailler du vivant (ou qui l'a été), avec du vivant, pour le vivant", explique-t-il, dans le respect de l'histoire du produit qu'il a renommé le "considérable".
Surtout, le chef vit son activité dans le dialogue constant avec les intellectuels, les scientifiques et les artistes. Lui-même s'est formé avec son épouse Catherine Rippinger aux Beaux-Arts de Vallauris à la céramique et à la poterie, tradition locale s'il en est. Et depuis 2010, il propose ses recettes du dîner du jury, en résonnance avec l'univers du président, dans des assiettes créées dans le même esprit par le couple.
"Ca a commencé avec Tim Burton qui nous a beaucoup inspirés, il y a eu Cate Blanchett, Steven Spielberg…" Cinéphile, "grand amateur du cinéma d'auteur", Christian Sinicropi emmène son équipe dans un long travail sur les films des cinéastes pour trouver la bonne idée. "Parfois ça a été compliqué, par exemple avec les frères Coen ou Nanni Moretti. L'inspiration et venue plus facilement pour Vincent Lindon, à la fois très engagé et très proche de la nature". L'assiette principale (l'information nous a été communiquée après le dîner, pour maintenir le secret) a pris le nom de l'un de ses précédents films, La Belle Verte, de Coline Serreau, sous-titrée : L'écho des massifs forestiers de ma région.
Les stars au rendez-vous
Dès 18h30, les membres du jury arrivent peu à peu au Martinez. Ladj Ly (Les Misérables) le premier, costume décontracté sombre sur baskets blanches. Beaucoup de flashes, mais une entrée au pas de course, comme pour le réalisateur norvégien Joachim Trier et l'Iranien Asghar Farhadi, tous manifestement heureux d'être là. Nonchalance généreuse et élégante de l'actrice indienne Deepika Paddukone et de l'Italienne Jasmine Trinca, qui ont précédé Vincent Lindon, entré dans le palace après avoir salué le public à l'extérieur.
Les stars sont, évidemment, très attendues cette année encore. Léa Seydoux, Marion Cottillard, Bérénice Béjo, Louis Garrel, Romain Duris pour les Français. Mais aussi Tom Hanks, Mads Mikkelsen, Javier Bardem, Robert Pattinson… Et évidemment Tom Cruise, dont la suite de Top Gun fait l'événement. Au point qu'au cours de sa montée de marches mercredi 18 vers 19 heures, la Patrouille de France devrait passer sur le ciel de Cannes.
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