Festival de Cannes : "L'amitié est ce lien de fraternité qui permet de survivre", racontent les frères Dardenne, réalisateurs de "Tori et Lokita"
Les cinéastes belges Luc et Jean-Pierre Dardenne, déjà lauréats deux fois de la Palme d'or, ont rencontré un réel succès à l'applaudimètre lors de la présentation de "Tori et Lokita" mardi en compétition. Nous les avons rencontrés dans une terrasse de Cannes pour parler de ce dernier film.
Luc et Jean-Pierre Dardenne aiment Cannes et le Festival le leur rend bien. Pour preuve, les deux Palmes d'or obtenues en 1999 et 2005. À chaque participation, leurs films, très attendus, sont l'objet de débat. C'est le cas également pour ce Tori et Lokita, présenté en compétition officielle ce mardi 24 mai, récit de la vie fragile et difficile d'un jeune garçon et d'une adolescente africains, émigrés en Belgique. Arrivés seuls, ils comptent sur leur amitié pour faire face à leur rude exil. Nous avons rencontré les frères Dardenne pour en parler à une terrasse de Cannes.
Franceinfo Culture : Quelle est l'origine du film ?
Luc Dardenne : Ça vient du désir d'un film sur l'amitié. On a choisi l'amitié entre deux jeunes mineurs exilés non accompagnés, sans famille, seuls donc. Nous avons pu lire et entendre que la solitude des jeunes migrants non accompagnés est une chose terrible : c'est la cause de pas mal de maladies psychiques. Et on s'est dit que précisément, comme dans l'exil la famille – quand elle est là - joue un rôle important, on retrouve dans l'amitié ce lien de fraternité qui vous permet de survivre.
Dans "Tori et Lokita", l'enfance est une fois de plus au centre de votre cinéma. Pourquoi ce désir d'aller toujours sonder cette période-là ?
Jean-Pierre Dardenne : Il y a deux raisons. La première est qu'étant des enfants immigrés sans famille, Tori et Lokita sont vraiment la fragilité chimiquement pure. Celle-ci va être confrontée pendant une heure et demie à des obstacles et à des adultes qui ne sont pas nécessairement tous de bonnes personnes. Donc, comment ces enfants vont-ils se débrouiller avec ça ? L'autre raison est qu'on aime raconter des histoires où le monde est regardé à travers les yeux d'un enfant. Avec la fragilité de l'enfance, sa naïveté, les souffrances et l'espoir de la vie, parce que les enfants normalement aiment la vie. Et avec la possibilité, quand on est enfant ou jeune adolescent, de bouger, de changer. Voilà, c'est l'idée du mouvement, qui est chez nous très importante. Et du coup, une mise en scène qui ne va travailler que là-dessus.
À ce propos, quels sont vos outils privilégiés pour donner à voir la forte proximité du réel, propre à votre cinéma ? Par exemple, dans "Tori et Lokita" les plans-séquences donnent l'illusion qu'on assiste au réel en train de se faire.
Luc Dardenne : Oui, c'est ça qu'on essaye de faire : que le spectateur se trouve face à un présent qui a l'air de naître devant lui. Et donc il y a une spontanéité, une liberté. Comme si ce spectateur avait affaire à des êtres humains, à leur corps, à des regards, à des objets qui se produisent devant lui. C'est ainsi de nos personnages : bien sûr ils sont en partie victimes, nos deux jeunes. Mais ce sont gens tout d'un coup capables de faire surgir quelque chose de nouveau. Prenez le petit Tori : il sautille, il explose, il court à gauche, à droite, il a une idée, il escalade, il redescend, il trouve des trucs pour contourner l'obstacle. Et c'est ce qu'on aime montrer, la vie qu'il y a chez ces deux personnages. Une vie évidemment contrainte, oppressée par la vérité des réseaux (de trafic de drogue, NDLR) dans lesquels ils se trouvent. Mais ils ne viennent pas là avec un destin figé : je dirais qu'en eux-mêmes, ils sont le contraire de ça.
Vous avez réussi à sublimer le jeu de ces deux comédiens (Pablo Schils et Joely Mbundu), et d'ailleurs ce n'est pas la première fois que vous révélez des acteurs. Comment procédez-vous ?
Jean-Pierre Dardenne : Il y a énormément de talent au départ. Quand on est avec gens qui n'ont jamais travaillé, l'étape décisive, c'est le choix. On a eu le sentiment qu'on rencontrait les bonnes personnes pour Tori et pour Lokita. Ce qu'on essaye de faire avec la mise en scène, c'est de donner de l'espace à leur présence : qu'ils soient le plus présents possible, pour que le spectateur dans la salle se sente lui aussi présent. Et peut-être qu'à ce moment-là des choses peuvent se passer entre les spectateurs et le film.
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