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Ce qu'il faut retenir du très beau documentaire "Noirs en France", à revoir sur France.tv

Qu'est-ce qu'être Noir en France ? Dans un très beau documentaire diffusé mardi 18 janvier sur France 2 et visible en replay durant quelques semaines, la réalisatrice Aurelia Perreau et l'écrivain Alain Mabanckou donnent la parole à des personnes noires de tous âges et de tous horizons, tout en éclairant en contrepoint la fabrique des préjugés grâce à des images d'archives.

Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le tennisman et chanteur Yannick Noah dans le documentaire "Noirs en France" d'Aurélia Perreau et Alain Mabanckou (diffusé sur France 2 en janvier 2022). (BANGUMI)

Ils sont jeunes, vieux, de Paris, Niort ou Bordeaux, à l’école primaire, lycéen, danseuse, aide-soignant, rapporteure à la Cour des comptes, rappeur, boxeuse, acteur-réalisateur, maîtresse de conférence, tennisman, journaliste ou ancien tirailleur, connus ou inconnus, et ils ont tous un point commun : ils sont Français et Noirs. Dans le très beau documentaire Noirs en France, à voir en replay sur france.tv jusqu'au 19 mars, la journaliste Aurelia Perreau et l’écrivain Alain Mabanckou leur donnent la parole.

À travers leurs parcours individuels et d’intéressantes images d’archives, se dessine l’imaginaire universel qui nourrit la représentation que les Français se font des Noirs mais aussi la représentation que les Noirs d’ici se font d’eux-mêmes et de la France.

D'où viennent les stéréotypes raciaux ? De loin

Qu’est-ce qu’être noir ? "C’est le regard de l’autre qui décide si je suis noir, blanc ou mulâtre", répond le tennisman et chanteur Yannick Noah. Mais à quel moment réalise-t-on qu’on l’est ? Souvent dans l’enfance et rarement avec des compliments. "À l’école, il y en a un qui dit que je ressemble à un caca", confie une petite fille. "En pension j’étais le seul non blanc et je suis devenu Bamboula en quelques minutes", se souvient Yannick Noah. Des préjugés qui les poursuivent souvent, d’une façon plus feutrée, dans le monde du travail. "Les portes sont fermées alors il faut passer par la fenêtre", résume l'aide-soignant Didier Viellot, qui s'est entendu dire plus jeune qu'il n'avait "pas la bonne couleur" pour devenir décorateur.

Ces préjugés raciaux remontent à loin et se sont construits au fil du temps, depuis la traite négrière, comme nous le démontrent les auteurs en exhumant d’éclairantes images d’archives. On y voit notamment comment s’est élaboré le racisme biologique du 19e siècle, qui s’appuyait sur une hiérarchisation des races supposément scientifique – les Noirs, situés au bas du tableau, étant décrits comme inaptes aux tâches intellectuelles - bien commode pour asseoir la domination.

Ces stéréotypes du noir primitif ont perduré jusqu’à il y a peu dans les représentations culturelles, du clip Ya des papous de Marie Dauphin (1987) au Club Dorothée où un épisode de 1988 montrait l’animatrice rôtissant dans une immense marmite entourée de noirs en pagnes. Sans parler de l’impensable et indigne "Village Bamboula", un village folklorique africain monté en Loire-Atlantique au début des années 90.

La danseuse Kathy Laurent Pourcel, 22 ans, habitante de Bordeaux, dans le documentaire "Noirs en France". (© BANGUMI)

Les enfants noirs continuent à intérioriser malgré eux ces préjugés

Le poids de ces préjugés a aujourd’hui encore une influence considérable sur l’inconscient des enfants. Laetitia Helouet, rapporteure à la Cour des comptes, se souvient qu’elle pensait, enfant, "qu’un jour, moi aussi je deviendrais blanche". Tandis que la jeune danseuse Kathy Laurent Pourcel avoue avoir longtemps refusé de manger du chocolat parce qu’elle craignait de devenir plus noire.

Particulièrement édifiant est le "Test de la poupée", une expérience menée dans les années 40 aux États-Unis, en pleine ségrégation, qui consistait à demander à des enfants noirs s’ils préféraient une poupée blanche ou une poupée noire. La grande majorité optait pour la poupée blanche (ce qui fait fortement écho au roman L’œil le plus bleu de Toni Morrison). Reproduite aujourd’hui en France pour le documentaire sur une dizaine d’enfants, l’expérience montre que rien n’a changé. Les enfants noirs préfèrent tous la poupée blanche. "Parce qu’elle a les yeux bleus", dit l’une. "Parce que les enfants de mon école sont blancs, et moi quand je serai grande je mettrai de la crème pour devenir blanche", répond une autre.

L'acteur, réalisateur et rappeur Jean-Pascal Zadi dans le documentaire "Noirs en France". (© BANGUMI)

Face aux discrimations, des modèles venus d'outre-Atlantique

Si ce documentaire ne donne jamais dans la victimisation, il met néanmoins en lumière via des trajectoires variées, les nombreuses humiliations auxquelles sont confrontés nombre de Noirs aujourd’hui en France. Le jeune Ibrahima Bouillaud pratique la course et l’athlétisme avec passion à Niort. Mais alors qu’il courait vêtu d’un jogging à capuche pour s’entraîner, il lui est arrivé de se faire arrêter par la police, qui le soupçonnait d’avoir fait un mauvais coup. "Noir et en jogging, tu es visé", résume-t-il. Le rappeur Soprano raconte comment lui et son groupe Psy 4 de la rime, qui voyageaient en première classe à bord d’un TGV, s’étaient retrouvés la cible d’un contrôleur qui leur avait indiqué avec autorité la direction de la seconde classe et, s’adressant à leur manager blanc, avait demandé "Ils parlent français, eux ?", avant d’appeler la police.

Pour se construire face aux discriminations, les Noirs de France se sont souvent tournés vers les États-Unis pour trouver des modèles auxquels s’identifier, des champions qui se sont imposés dans les domaines sportifs et culturels, comme le boxeur Mohamed Ali, chantre de la fierté noire, que l’on voit très remonté face à Bernard Pivot dans l’émission Apostrophe en 1976. Aujourd’hui, le jeune Ibrahima puise dans les images de ce héros affichées dans sa chambre la force d’y croire : "Si lui a pu le faire, je peux réussir ce que j’entreprends", remarque-t-il. Quant à la jeune danseuse Kathy, dont la cambrure a été jugée incompatible avec la carrière de danseuse classique dont elle rêve, c’est auprès de l’opiniâtre chanteuse Nina Simone qu’elle trouve l’inspiration pour continuer.

Le rappeur marseillais Soprano dans le documentaire "Noirs en France". (© BANGUMI)

Un film porteur d'espoir

Ce film délicat est aussi porteur d’espoir et montre que les regards changent doucement. L’acteur et réalisateur Jean-Pascal Zadi, césarisé l’an passé, se félicite de ce que l’acteur Omar Sy ou le rappeur Soprano fassent partie des personnalités préférées des Français. Le jeune chef Mory Sacko, à la tête de MoSuke, premier restaurant de cuisine africaine à obtenir une étoile au Michelin, estime que sa génération a enfin "le droit de se rêver astronaute, physicien ou cuisinier". Quant à Kathy la danseuse, elle n’a, dit-elle, "aucune envie de (s)’asseoir sur (s)es rêves"et ne compte "pas attendre que la société change". "Alors j’y vais !", lance-t-elle, optimiste et déterminée.

"Noirs en France" d'Aurelia Perreau et Alain Mabanckou (France, 2022, 1h43) est visible en replay sur france.tv jusqu'au 19 mars 2022

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