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"Ça a vraiment changé mon rapport à la culture" : des jeunes nous racontent ce qu'ils ont fait avec leur pass culture

Ils sont désormais plusieurs milliers à disposer du pass culture de façon individuelle. Qu'en font-ils ? Aux Halles, à Paris, nous avons posé la question à ceux qui l'utilisent. En filigrane, leurs réponses font état des atouts et des faiblesses du dispositif.

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10 min
Deux jeunes bénéficiaires du pass culture dans l'un des rayons du magasin Fnac des Halles, à Paris, le 16 novembre 2022.  (FG/FRANCEINFO)

Assises sur les escaliers, quelque part dans l'immense centre commercial des Halles à Paris, Chiara et Lilou font la causette. Les adolescentes figurent parmi les milliers d'utilisateurs du pass culture mis en place par l'Etat afin de faciliter l'accès des jeunes aux biens et services culturels. 

Les deux étudiantes sont arrivées à Paris pour y poursuivre leurs études de marketing digital et communication. Lilou, originaire du Touquet, et la Cannoise Chiara ont mis à profit le volet individuel du dispositif qui se décline sous la forme d'une allocation de 20 euros accessible dès 15 ans, puis 30 euros à 16 et 17 ans. Le 18e anniversaire y met fin avec un joli cadeau : une enveloppe de 300 euros.

"J'ai acheté des livres, même pour l'école, des CD, des articles de travaux manuels..., explique Chiara qui a soufflé ses 18 bougies en juin 2022. Le pass culture nous fait faire des économies parce qu'il y a des livres que je n'aurais pas forcément achetés parce qu'ils sont assez chers. Par exemple, les biographies que j'aime beaucoup. J'ai acheté celle de gens connus, de gens de la télé-réalité..." 

"Une petite collection de vinyles" 

Pour Lilou qui a célébré ses 18 printemps en juillet 2021, "c'était super utile parce que j'aime la musique". "Du coup, je voulais acheter des vinyles parce que c'est un peu cher : 30−35 euros un vinyle ! Grâce au pass, j'ai pu me faire une petite collection d'artistes que j'aimais bien", comme ceux de la pop anglaiseLa collection de Lilou compte aujourd'hui "une quinzaine" de vinyles. La jeune femme n'est pas la seule à avoir un faible pour ce format. 

Mickaïl, croisé quelques mètres plus loin, à la sortie d'un escalator de la galerie marchande, a fait le même investissement. Le jeune homme a célébré ses 18 printemps en mars 2021. "J'ai eu 300 euros 'gratuits' entre guillemets", dit-il en souriant. La somme a été dépensée "en vinyles". "Que de la musique ! J'ai acheté 3−4 vinyles. J'ai pu m'offrir ce que je ne pouvais pas acheter tout seul : 30 euros + 30 euros +30 euros pour les vinyles, ça fait beaucoup. Du coup, c'était agréable d'avoir le pass culture" sur lequel il lui reste une centaine d'euros.  

Son amie Ifraj, née en mars comme lui, dispose encore d'un crédit similaire. Elle a deux ans pour l'utiliser après son anniversaire. L'argent sera consacré à l'achat "d'articles numériques" comme "des abonnements à Canal Plus ou à Deezer". "J'ai pris beaucoup d'albums de K-pop, confie Ifraj à propos de la somme déjà dépensée. "J'ai visité des musées, il y avait la Cité des sciences (proche du domicile de l'adolescente qui vit dans le XIXe arrondissement de Paris) et participé à des festivals. Il y avait aussi des concerts mais je n'y allais pas trop parce que c'était plutôt des concerts d'orchestres."

Plaisir de partager

Amara, rencontrée dans l'une des allées des Halles, semble avoir été plus chanceuse dans ce domaine. Un concert d'artistes dont elle est fan, découvert par hasard sur le site du pass qu'elle a été "hyper contente" de recevoir, lui a beaucoup plu. Heureusement, car l'évènement a été sa plus grosse dépense. Cependant, le pass a surtout fait d'Amara une cinéphile : la jeune fille de 19 ans est allée "beaucoup" au cinéma, qu'elle ne fréquentait pas parce que "c'est cher". "Je repérais les films que je voulais voir et je regardais sur le pass culture où ils étaient disponibles, ou je choisissais une fois sur place. Aller au cinéma et sortir avec les amis qui avaient aussi le précieux sésame, "ça fait du bien", dit-elle.

Et à l'instar de nombreux détenteurs, elle a été généreuse. "J'ai acheté des livres pour moi et mes frères et sœurs", poursuit Amara qui a été "heureuse" d'offrir des biens culturels à sa fratrie. Tout comme Gwenn, accosté alors qu'il passait le tourniquet du métro. L'adolescent, qui a eu 17 ans, le 28 octobre dernier, a déjà utilisé les 30 euros obtenus à 16 ans pour des livres. "Un pour mon petit frère et deux pour moi, dont un livre sur des questions sociales et politiques qui m'intéressent."

Un pass qui "ouvre" à la culture 

Outre qu'il a encouragé sa générosité, le pass a développé l'appétit d'Amara pour la culture. "Ça a vraiment changé mon rapport à la culture parce que je me suis ouverte à des choses vers lesquelles je n'aurais pas osé me tourner par manque d'argent ou d'information. Sur la page du pass culture, on peut voir différentes offres et ça m'a aidée à m'ouvrir à la culture." Amara continue d'aller sur le site pour savoir ce que proposent les musées qu'elle a souvent fréquentés grâce à son crédit culturel.

L'expérience pass culture a aussi quelque peu changé la vie d'Ifraj qui a utilisé une partie de son pactole pour le cinéma et des expositions cinématographiques. "Vu que ça m'a ouvert plusieurs portes par rapport à la culture, j'ai développé des passions et je me suis dirigée vers l'art et le cinéma pour mes études supérieures. Je fais du multimédia, tout ce qui est audiovisuel et cinématographie", confie-t-elle. 

Les grands concerts manquent à l'appel 

S'il s'avère un bon plan incontestable, le pass semble toutefois avoir quelques points faibles. Le fait qu'il ne propose pas l'accès à des concerts généralement prisés par les jeunes en est un, semble-t-il. "Les concerts que j'aime bien, c'est par exemple au stade de France ou à Bercy. Mais ils ne vendent pas les places. Dans le Sud, il y a le palais Nikaïa [à Nice] où il y a tous les concerts mais je ne pouvais pas y aller avec le pass", expliquait Chiara.

"Mais cette année, je sais qu'il y avait des petits festivals et on pouvait acheter des places avec le pass culture. En septembre, il y en a eu un avec des grands chanteurs et des rappeurs français que tout le monde écoute, et mes copines dans le Sud ont pu y aller avec le pass". Lilou a une théorie sur la question : "J'ai l'impression que c'est pour les petits concerts", résume-t-elle. 

Gwenn a, pour sa part, un grief plus social. Il admet d'emblée que le pass culture "permet de faire des économies". "C'est bien de la part du gouvernement d'avoir fait ça", poursuit-il. Mais l'Etat devrait aussi s'occuper des lycées "qui sont dans un état pitoyable ou de Parcours Sup", selon cet élève de terminale qui souhaite intégrer Sciences Po. Il aurait également pu parler de la précarité étudiante que met en exergue, comme d'autres, son amie Julie dans l'usage qu'elle fait du pass. 

Concentration géographique 

"Je m'en suis servie pour mes manuels parce qu'on en utilise beaucoup. Et ce sont des livres qui ont parfois un prix conséquent. Ça m'a donc énormément aidée. Pour les sorties également", confie l'étudiante en histoire qui a eu 18 ans le 14 mai 2022.

Inscrite en première année de licence, elle rappelle combien il est difficile pour les étudiants de faire face à leurs multiples obligations financières avec les petits budgets qui sont les leurs. Même s'il lui reste un tiers de la somme allouée sur son pass, Julie pense déjà aux "livres (qui) vont revenir" au prochain semestre et qu'il va falloir se procurer.

Avec l'étudiante, qui habite comme lui à Vitry-sur-Seine (94), Gwenn soulève un autre problème. "En banlieue, ce sont des quartiers qui sont délaissés. Ce sont des déserts où il n'y a pas d'accès à la culture", affirme-t-il. Et Julie de renchérir : "Pour faire des sorties ou récupérer les livres qu'on achète, il faut se déplacer dans Paris parce que, dans les banlieues, il n'y a vraiment rien. Sinon des spectacles, mais ça reste assez rare."

A contrario, dans Paris "on a énormément de choix", conclut-elle. "Après, note Gwenn, on a de la chance d'habiter en petite couronne". Amara, qui réside à Viry-Châtillon (91), pense la même chose. "C'est vrai que vers chez moi, il n'y avait pas tant de choses que ça. Mais sur Paris, on pouvait trouver facilement. J'ai tout fait quasiment sur Paris. Mais près de chez moi, il y avait Cultura et la Fnac." Deux enseignes culturelles qui font "beaucoup d'offres", selon la jeune fille. 

Amis et réseaux sociaux, principaux relais d'information 

La communication semble moins évidente pour ce qui est du pass lui-même. "J'étais la seule de mon entourage à être au courant", regrette Ifraj, qui a découvert son existence grâce à son frère. Lequel n'avait pu en profiter à cause de la limite d'âge. L'information lui est parvenue via les réseaux sociaux.

L'autre relais étant les amis. "Au début, j'y ai pas trop cru parce que je me suis dit : '300 euros, gratuits ?', se souvient Amara. Ce sont mes amis qui m'ont poussée à m'inscrire et au fil du temps j'ai poussé d'autres amis à le faire. En plus, sur les réseaux sociaux je suis abonnée à Macron (rires) et j'ai vu qu'il en parlait. A l'école, on n'en a pas parlé."

L'information arrive ainsi cahin-caha aux futurs bénéficiaires comme Antoine, qui a eu 17 ans en juin 2022 : "J'ai un ami qui a 18 ans et je pense que le (montant du) pass est plus élevé", indique l'élève de terminale qui réside à Châtillon (93). "Mais il m'a expliqué que je pouvais en bénéficier à partir de 16 ans. Du coup, j'ai fait la démarche qui finalement n'est pas longue, contrairement à ce que j'imaginais".

Pour l'instant, Antoine n'a que 30 euros et il pense "acheter des mangas (qu'il) aime bien". "Vu que je n'ai pas envie de mettre de l'argent dessus directement, je me dis que c'est l'occasion (de m'en offrir) parce qu'ils sont un peu chers. C'est autour de 5−6 euros", précise-t-il. Autre loisir réputé onéreux auquel le jeune homme va s'adonner avec son futur crédit culturel : le cinéma. Pourtant, chez l'adolescent, il s'agit moins d'une question de coût que d'opportunité. "C'est parce que j'ai les 300 euros que je vais aller au cinéma", lance-t-il.   

"Je n'en voyais pas l'utilité"

Comme Antoine, Axel et Eliott n'ont pas encore 18 ans, mais leur future cagnotte les indiffère un peu. Le premier dispose, à 17 ans, de 60 euros (un cumul avec la somme versée à 16 ans)."Honnêtement, je les ai eus il y a un an et je n'en voyais pas l'utilité. Du coup, j'ai un peu oublié", confie Axel. Pour l'heure, il ne sait pas "vraiment" ce qu'il va faire de son futur pactole. "(Il sera dépensé) soit dans les mangas parce que beaucoup (l'utilisent) comme ça et j'aime beaucoup. Soit dans des romans qui me plaisent ou même des ouvrages pour l'école" ou encore au cinéma "entre amis, car ça peut toujours servir". 

Néanmoins, reconnaît Axel, "je sais que pour certaines personnes, ça peut être utile. Moi, je n'ai pas vraiment besoin d'argent parce que je peux aller voir mes parents et leur dire de quel livre j'ai besoin et ils me l'achètent. Pour d'autres personnes, c'est moins évident". A l'instar de son ami parisien, Eliott n'a pas non plus "de besoins". "Quand j'aurai 18 ans, je vais acheter sur la Fnac des produits high-tech", prévoit-il. "Tu ne peux pas", lui rétorque Axel. "II y a des disques et des films que l'on peut télécharger et je me suis renseigné pour des casques, mais il n'y en a pas beaucoup", assure le jeune homme. "Du coup, lui répond Eliott, je ne sais pas vraiment ce que j'en ferai. Je ne pense pas que le pass culture soit la chose la plus importante" même si "c'est sympathique"

Le pass, c'est plus que cela pour Lilou qui "aurait aimé" en bénéficier encore à 19 ans. En attendant, comme la plupart de ceux rencontrés, de nombreux jeunes font durer le plaisir. Comme les fourmis, ils ont gardé quelques euros, histoire de s'offrir un dernier manga (ou autre chose) pour la route

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