Festival de BD d'Angoulême : affaire Vivès, 50e anniversaire, folie Manga... tout ce qu'il faut savoir pour ne rien rater de l'édition 2023
"Je n'arrive pas à croire que nous sommes déjà à quelques jours du festival", lâche Sonia Déchamps, tout juste arrivée à Angoulême pour boucler la dernière ligne droite de cette 50e édition, bousculée par l'affaire Vivès qui démarre le 26 janvier. Elle dessine en quelques lignes pour franceinfo Culture les grandes lignes d'une édition résolument placée sous le signe "de la fête, et de l'avenir".
"L'idée n'était pas de tout casser pour les cinquante ans, ou de faire une programmation déconnectée de tout ce qui avait été fait auparavant, mais d'en faire plus en essayant d'être à la fois dans la transmission et dans une dimension de projection vers l'avenir". Cette idée a guidé son travail avec ses deux co-directeurs artistiques, Fausto Fasulo et Julien Misserey, tous trois contraints de boucler un programme anniversaire en un temps record en raison du déplacement en mars du festival 2022.
Apaiser les débats après l'affaire Vivès
Un mois après le déclenchement de l'affaire Bastien Vivès, qui a abouti à la déprogrammation de son exposition à Angoulême et à l'ouverture par le parquet de Nanterre d'une enquête préliminaire pour "diffusion d'images pédopornographiques" à l'encontre de l'auteur, Sonia Déchamps déplore "un grand gâchis" qui a "éclipsé le reste du programme du festival". "On pouvait s'attendre à une levée de boucliers, légitime, mais on ne s'attendait pas à un tel déferlement de violence", constate la directrice artistique.
"J'ai rapidement arrêté de regarder les réseaux sociaux tellement je trouvais ça violent"
Sonia DéchampsCo-directrice artistique du festival de la bande dessinée d'Angoulême
La directrice artistique confie s'être mise à l'écart de la tourmente pour se concentrer sur le reste de la programmation, laissant à Fausto Fasulo, co-directeur artistique le soin de communiquer sur cette affaire. "Nous avons décidé de déprogrammer l'exposition après avoir découvert des éléments, notamment des propos choquants tenus par Bastien Vivès sur des forums, dont nous n'avions pas connaissance, et également à la suite des violences des menaces proférées à l'encontre de l'auteur, mais aussi de certains membres du festival. Il n'était pas question de fêter l'anniversaire du festival sous surveillance policière", rappelle la directrice artistique.
"Malheureusement nous n'avons pas pu remplacer l'exposition Vivès prévue au Musée du papier, qui restera vide, faute de temps, et c'est bien dommage car on court toujours après les espaces à Angoulême", poursuit-elle. "En revanche, nous avons décidé d'organiser une rencontre autour des questions soulevées par cette affaire, sur la liberté d'expression et sur la question de savoir si on peut tout représenter, notamment concernant la sexualité". Cette rencontre, avec la participation de la dessinatrice de presse Coco, de Benoît Peeters et d'autres, est prévue dans le cadre d'un "forum prospectif" organisé en partenariat avec le magazine Le Point, et dont l'objectif est "d'interroger l'état actuel de la bande dessinée".
"Cette affaire montre que le festival est une chambre d'échos des questions qui traversent et qui agitent la société"
Sonia DéchampsCo-directrice artistique du festival de bande dessinée d'Angoulême
L'événement "Attaque des Titans"
"Sur le manga, il y avait vraiment l'envie de marquer le coup pour les cinquante ans", explique Sonia Déchamps. Objectif atteint avec l'exposition événement, une première en Europe, sur L'attaque des Titans et la venue exceptionnelle à Angoulême d'Hajime Isayama, auteur âgé de 36 ans de cette série phénomène, un succès mondial en livres comme en série animée. "C'est le côté blockbuster du manga, mais on n'a pas oublié les repères de base, avec des expositions sur des auteurs patrimoniaux", souligne Sonia Déchamps.
Outre l'exposition sur L'Attaque des Titans, les fans de manga pourront ainsi découvrir à Angoulême les œuvres de Ryōichi Ikegami, grand nom du manga, toujours en activité à presque 80 ans, et celles de Junji Itō, considéré comme l’un des maîtres de l’horreur au Japon.
"Que des auteurs de manga comme Hajime Isayama Ryōichi Ikegami ou Junji Itō décident de venir au festival d'Angoulême et acceptent de proposer des masterclass, c'est assez dément, c'est fou"
Sonia Déchampsco-directrice artistique du festival de bande dessinées d'Angoulême
L'espace Manga City, un pavillon de 2 500 m2, propose comme chaque année des rencontres, des débats, des projections et même cours de dessin. S'y ajoute cette année la Halle 57, redécorée comme une grande ville asiatique sous le nom d'"Alligator 57". Une manière pour le Festival de mettre plus que jamis en avant un genre plébiscité par les lecteurs. Le manga. En 2022 selon l'institut GfK, sur les 100 livres les plus vendus, un quart étaient des mangas.
"C'est aussi le reflet de l'évolution des habitudes de lecture. Parmi les lecteurs de manga, très nombreux, on retrouve ceux et celles de la première génération, qui sont aujourd'hui les adultes qui viennent au festival, et qui transmettent ça aux générations suivantes", se réjouit la directrice artistique.
Le plein d'expositions
Le festival présente cette année une exposition sur le travail de Marguerite Abouet, la scénariste ivoirienne des savoureuses séries Aya de Yopougon (dessin de Clément Oubrerie) et Akassi (dessin de Mathieu Sapin). "L'idée était de proposer pour les cinquante ans au quartier jeunesse une exposition pour toutes les jeunesses", explique Sonia Déchamps. "Non seulement Marguerite Abouet est une autrice fondamentale, mais avec ses séries Akassi et Aya, elle s'adresse à tous les âges, jusqu'aux jeunes adultes", se félicite Sonia Déchamps. "C'est aussi une manière de mettre en lumière une scénariste, comme on l'avait déjà fait déjà l'an dernier avec l'exposition consacrée à Loo Hui Phang". (Marguerite Abouet, la vie comme elle va, au Quartier Jeunesse, du 26 au 29 janvier)
A l'honneur cette année également, la couleur. "La couleur indique une effervescence, quelque chose de joyeux. C'était donc une bonne manière de fêter un anniversaire", souligne Sonia Déchamps. L'exposition Couleurs! présente le travail de 80 artistes, les différentes techniques, le "rapport charnel à l'outil", et propose de découvrir le métier des coloristes, peu connu. "C'est aussi un clin d'œil à l'exposition Esthétique du noir et blanc dans la bande dessinée, qui avait été présentée dans la première édition du festival il y a cinquante ans", ajoute Sonia Déchamps. (Couleurs !, au Vaisseau Moebius, du 26 au 29 janvier).
Une autre exposition est consacrée à l'auteur culte Philippe Druillet, Grand Prix d'Angoulême en 1988. "Pour présenter l'œuvre de cet auteur patrimonial qui a influencé beaucoup de générations de dessinateurs et dessinatrices et également de réalisateurs, une figure majeure sur la scène internationale de la bande dessinée, on a décidé d'investir la Chapelle qui jouxte le musée pour projeter ses œuvres", explique Sonia Déchamps. "C'est une première à Angoulême". (Les 6 voyages de Philippe Druillet , Musée d'Angoulême et Chapelle, du 26 janvier au 12 mars 2023)
"De la même manière, l'exposition Elle résiste, elles résistent, met en avant la mémoire, et la transmission, mais elle est aussi tournée vers l'avenir", souligne Sonia Déchamps. Consacrée au Prix René Goscinny – Prix du meilleur scénario 2022, décerné à Jean-David Morvan et Madeleine Riffaud pour Madeleine, Résistante : la rose dégoupillée, premier tome d’une série dessinée par Dominique Bertail, l’exposition revient sur la genèse de l’album, présente le parcours et les engagements de Madeleine Riffaud et le travail de collaboration entre elle et les auteurs de l'album, mais elle présente également d’autres figures de résistantes, "d'autres femmes qui se battent aujourd'hui pour leur liberté". (Elle résiste, elles résistent, Vaisseau Moebius, du 26 au 29 janvier)
Enfin n'oublions pas la traditionnelle exposition dédiée au Grand Prix de l'année précédente, une grande rétrospective est consacrée à l'œuvre transgressive de l'autrice canadienne Julie Doucet, Grand Prix 2022. (Julie Doucet, toujours la grande classe, Hôtel Saint-Simon, du 26 au 29 janvier)
Toutes ces expositions sont accompagnées d'une programmation associée, avec des rencontres, des masterclass, des conférences, pour poursuivre la découverte des univers proposés.
Jeunes talents du monde entier
Là où les années passées l'exposition était consacrée aux lauréats des années précédentes du concours des jeunes talents, le festival marque le coup pour son cinquantenaire avec une ouverture à l'international en présentant le travail de 10 talents émergents venus de 10 pays du monde entier. "L'idée était d'aller plus loin cette année, en affichant cette dimension internationale" explique Sonia Déchamps qui annonce un Quartier Jeunesse élargi, avec plus d'expositions, des ateliers, et pour la première fois l'organisation d'un jeu de piste pour les enfants.
"S'habituer à une représentation du monde en dessin"
L'exposition dans les gares a également été élargie. Cette année, les voyageurs pourront découvrir la programmation du festival affichée dans cinquante gares, ainsi que cinquante dessins commandés à des auteurs et autrices, "cinquante visions de la BD et du festival, par des auteurs plus ou moins confirmés", précise Sonia Déchamps.
"C'est une manière de montrer le dynamisme et la diversité de la bande dessinée. Que des gens qui ne s'intéressent pas ou peu à la bande dessinée puissent être mis en présence de planches de BD, ou même de dessins, qu'ils puissent prendre le temps de se plonger dans une image, de s'habituer à une représentation du monde en dessin, c'est génial"
Sonia DéchampsCo-directrice artistique du festival de bande dessinée d'Angoulême
"L'idée avec cette édition anniversaire, c'est de faire la fête ensemble, que ce soit un moment joyeux. Je veux que les gens soient contents de se retrouver, et de ce qu'ils verront, qu'ils puissent trouver des choses qui suscitent leur curiosité, et qu'ils aient envie de dire en sortant, bon mais, et la suite ?", espère la directrice artistique.
"Il n'y jamais eu autant d'autrices et d'auteurs, la bande dessinée investit des champs toujours plus larges. C'est ça qui est passionnant, et c'est important de mettre toute cette diversité à l'honneur à Angoulême", conclut Sonia Déchamps.
Le programme heure par heure du Festival International de la bande dessinée d'Angoulême
Du 26 au 29 janvier 2023.
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