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En luttant contre les "fake news", Instagram censure-t-il des mèmes et des œuvres d'art ?

Des graphistes, auteurs d'images ultra-retouchées, ont vu leur travail étiqueté "fausse information" par Instagram.

Article rédigé par franceinfo - Julien Nguyen Dang
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Des utilisateurs de smartphones photographiés près du logo vidéoprojeté d'Instagram le 28 mars 2018 en Bosnie-Herzégovine. (DADO RUVIC / REUTERS)

Des images créatives prises pour des "fake news" ? Instagram a lancé un nouvel outil anti-infox, en octobre 2019. En théorie, c'est un moyen de limiter la propagation de fausses nouvelles. En pratique, des artistes en font les frais. C'est le cas de la publication ci-dessous, qui montre un paysage irréel de montagnes aux couleurs de l'arc-en-ciel légendé : "Ne préféreriez-vous pas être ici ?" C'est le travail d'un graphiste, d'un artiste, donc, dont la marque de fabrique est de donner à des paysages et des objets les couleurs éclatantes de l'arc-en-ciel. Pourtant, la voici affublée d'une mention "Fausse information".

Comment fonctionne cet outil anti-"fake news" ? Instagram (qui appartient à Facebook) s'est associé à l'International Fact-Checking Network, un réseau d'environ 70 vérificateurs d'information (des "fact-checkers") indépendants. Notre rubrique "Vrai ou fake ?" en fait d'ailleurs partie. Lorsqu'un de ces vérificateurs détecte une information fausse, ou partiellement fausse, Instagram reçoit une notification et applique deux mesures.

L'image est d'abord retirée des rubriques "Rechercher et explorer" et "hashtags" pour réduire sa diffusion. Elle reste accessible seulement en consultant le compte de l'utilisateur qui l'a partagée. Puis, une mention "fausse information" barre la publication et un lien vers l'article expliquant pourquoi l'image est fausse est ajouté. Instagram traque les publications identiques, grâce à un algorithme, pour y apposer le même marquage autant de fois que nécessaire.

Les utilisateurs peuvent par ailleurs signaler eux-mêmes des infox, grâce à l'outil général de signalement, qui prévoit désormais le motif "fausses informations", à côté des cas de "discours ou symboles haineux" ou encore de "nudité ou actes sexuels".

Des œuvres d'art prises pour des "fake news"

Alors, comment cette photographie de montagnes arc-en-ciel s'est-elle retrouvée ciblée par des radars anti-infox ? Dans un premier temps, ni la photographie, ni la légende n'ont attiré l'œil d'Instagram. Tout est parti d'un article du média indien NewsMobile. Membre du réseau de fact-checking auquel Instagram est associé, le média a repéré la photo originale en couleurs naturelles et d'autre part signalé plusieurs partages des montagnes arcs-en-ciel avec pour seule légende "Montagnes arcs-en-ciel, Californie" ou "Parc national de la Vallée de la Mort". De simples retouches couleur valent donc à une publication d'être classée parmi les fausses infos ?

"Nous ne cachons pas un contenu parce qu'il est retouché, nous appliquons une étiquette ["Fausses informations"] lorsqu'un fact-checker l'a évalué, s'est défendu un porte-parole de Facebook, auprès de Hypebeast (en anglais), le 16 janvier. A partir de l'examen du fact-checker, [Instagram] a modifié [la classification de cette photo de montagnes arcs-en-ciel], elle n'est donc plus catégorisée comme fausse sur Instagram et Facebook." En effet, la publication n'est plus étiquetée "fake news".

Voir cette publication sur Instagram

Une publication partagée par MIX Society (@mixsociety_) le

Ces montagnes colorées ne sont pas un cas isolé. Un exemple parmi d'autres : cette lune brillante et orangée qui se déverse dans une cascade n'a rien d'une fake news, et pourtant elle porte cette étiquette. En cause, là aussi, un article du site américain Snopes, qui détaille les ficelles de cette image ultra-retouchée, composée d'au moins deux autres photos. L'image est en réalité l'œuvre d'un artiste numérique et non d'un diffuseur d'infox.

Une photo de la Lune se déversant dans une cascade considérée sur Instagram comme une fake news. (CAPTURE D'ECRAN INSTAGRAM)

Les mèmes épinglés, pas les politiques

Les mèmes (ces images humoristiques virales) pâtissent aussi de cette politique anti-infox. C'est le cas de ce montage dans lequel les célèbres pyramides de Gizeh sont toutes surmontées d'une planète très lumineuse. L'image est accompagnée d'une légende humoristique : "Donnez une note à mes pyramides". A l'origine de ce mème, un tweet, lui-même viral, affirmant qu'il s'agit d'un alignement parfait des planètes Mercure, Vénus et Saturne qui "se produit tous les 2373 ans". Cette affirmation, inexacte, a été vérifiée et démentie par plusieurs sites de fact-checking, comme Snopes (en anglais) et Maldita (en espagnol). Résultat : la photo, même présentée dans un autre contexte, comme objet d'une plaisanterie, est considérée par Instagram comme une "fake news".

Capture d'écran du compte Worsthistorymemes, sur Instagram, le 22 janvier 2020. (INSTAGRAM)

En revanche, contrairement aux mèmes et aux photomontages artistiques, les publications des responsables politiques ne sont pas concernées par cet outil anti-infox. Ce dernier a pourtant été développé en partie pour garantir le bon déroulement des élections américaines de 2020. "Nous considérons qu'en limitant les discours politiques, nous limiterions également l'accès à l'information du public, qui serait moins au courant des propos des élu(e)s", justifie Facebook, dans un communiqué.

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