David Hockney en Normandie, de la toile à l'iPad, la joyeuse inventivité d'un jeune peintre de 86 ans

Des piscines californiennes à son jardin normand, du pop art aux paysages, à 86 ans, David Hockney est le plus moderne et le plus classique de sa génération.
Article rédigé par Christophe Airaud
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6 min
David Hockney dans son atelier, en Normandie, en juin 2023. (JP GONCALVES DE LIMA)

Dans le cadre du Festival Normandie impressionniste, le Musée des beaux-arts de Rouen accroche dans ses salles, une trentaine d'œuvres de David Hockney jusqu'au 22 septembre.

Trois salles pour trois séries qui démontrent la vitalité de sa peinture. Des portraits, des paysages comme des hommages à Monet et la Moon Room dédiée à la nuit et ses clairs de lune. En cette année anniversaire de l'impressionnisme, l'exposition se nomme Normandism par celui qui, depuis 2019, passe une grande partie de son année dans cette région.

Les portraits comme chez Proust

Après avoir parcouru les salles et les étages du musée, admiré les Monet, Sisley, Caillebotte ou Géricault... nous l'apercevons de loin. Il est tout au fond de la galerie des portraits peints par Jacques-Émile Blanche. Un visage souriant, à la main gauche un pinceau, à la main droite l'éternelle cigarette. Il pose, lunettes aux montures jaunes, costumes en tweed et casquette. Un vrai British, mais aussi un gentleman-farmer normand.

De cet autoportrait vu dans le miroir, le visiteur pourrait deviner toutes ses résidences à travers les années. Il est anglais, il fut au temps du pop art installé en Californie et il est, depuis 2019, résidents en pays d'Auge, près de Caen.

Tout le personnage Hockney est sur cette toile, comme le souligne à Franceinfo Culture, Florence Calame-Levert, conservatrice au Musée des beaux-arts de Rouen et commissaire de l'exposition Normandism. Devant le tableau, elle qui a préparé l'exposition avec lui le reconnaît comme au premier rendez-vous.

"Lors de notre première rencontre, chez lui, quand je l'ai vu arriver, il est apparu ainsi. Il portait une magnifique fleur à la boutonnière, une veste en tweed, très souriant, un merveilleux regard, des yeux bleus inouïs et un éclair dans le fond de l'œil, on a affaire à un génie, mais très souriant, avec énormément de douceur."

"Self Portrait, 22nd November 2021" de David Hockney, exposé au Musée des beaux-arts de Rouen. (JONATHAN WILKINSON / DAVID HOCKNEY)

Il a ce regard pétillant d'un jeune homme de 86 ans qui chaque jour peint, "tout est peinture chez David Hockney", donc son autoportrait est pinceau en main.

Puis le visiteur découvre une galerie d'une dizaine de portraits. C'est la galerie de l'intimité. Il y a là, la mairesse du village, Sophie Gaugain, sa cuisinière saisie un peu raide sur sa chaise, Jean-Pierre Gonçalves de Lima son partenaire en peignoir détendu et souriant, un ami critique d'art, de jeunes comédiens de passage ou son jardinier juché sur son mini-tracteur. Tous cadrés de manière identique et sur fond de toile blanche. Modernité du portrait, genre auquel le peintre s'est toujours attelé. Auparavant, c'était sa famille ou ses amis disparus, souvent victime du sida.

"Les gens me fascinent, et plus précisément l'aspect le plus intéressant chez eux – le point où nous entrons en eux – à savoir, le visage. Le visage dit tout", déclarait-il à propos de son goût du portrait.

"Lucie-Lune Lambouley and Louis-Martin Lambouley, 8th January 2022", toile de David Hockney exposée pour "Normandism", à Rouen. (JONATHAN WILKINSON)

Nous faisons ainsi connaissance avec ce que nous pourrions appeler "amis et voisins", une familiarité que Jean Frémon, galeriste du peintre, rapproche d'un autre amoureux de la Normandie, Marcel Proust. Hockney en est un lecteur et un admirateur. Avec ses portraits, il crée ici "une autobiographie imaginaire" comme Proust nous dépeint ses personnages de La Recherche du temps perdu. Le temps file, mais Hockney ainsi préserve et fixe son monde. Un monde qui, autour de lui, ne poursuit qu'un but : la peinture.

Hockney chez Monet

Dans la deuxième salle, le visiteur voyage et passe de Giverny à Beuvron-en-Auge et sa bâtisse à colombages. Hockney, star du pop art avec ces célèbres piscines hollywoodiennes où la lumière inonde la toile, est un fin connaisseur de l'histoire de l'art. "Il est fasciné par les grands dessinateurs comme Ingres, Rembrandt, Picasso, car lui aussi est un grand dessinateur", nous rappelle Florence Calame-Levert.

Mais en Normandie, c'est à Monet qu'il rend hommage : "Le retour en Europe et le fait de s'être installé en Normandie ont changé son regard sur Monet, il a un rapport encore plus fort avec lui. Il a retrouvé ici, après la lumière de la Californie, le passage des saisons qui est le terreau des impressionnistes. Il se nourrit maintenant de ce terreau, de ces ondées, de ces météores, ces lumières ont changé sa quête de peinture."

Que ce soit ces hommages aux Nymphéas ou ces scènes magnifiques de brume de son jardin, le Hockney figuratif frôle l'impressionnisme et sa tentation de l'abstraction.

"La filiation est évidente : la fascination pour capturer la nature, les phénomènes atmosphériques, les reflets de la lumière, et être dévolu à la nature et au spectacle des saisons. Il est aussi un héritier de Monet dans sa manière d'utiliser la touche". Des "bigger splash" de ses piscines, Hockney est passé aux paisibles étangs.

"Wind on the Pond", une acrylique sur toile de David Hockney. (JONATHAN WILKINSON / DAVID HOCKNEY)

Dans cette salle, le visiteur peut, grâce aux écrans, qui se regardent comme des tableaux animés, voir dérouler, presque en temps réel, le geste du peintre. Sur des écrans, le dessin et la peinture numérique se construisent, surface après surface, couche après couche. Avec cet outil technologique, Hockney nous apprend à regarder. Lui, le novateur qui, dès 2010, utilisa l'iPad comme palette électronique.

La Moon Room

C'est un travailleur infatigable, la preuve : il dessine même la nuit. Sa série Moon Room étant réalisée du lever au coucher de la Lune l'atteste. La commissaire rajoute : "Il a un œil de génie qui sait capter l'inépuisable de la nature." Alors, assis sur sa terrasse, il s'est attelé à capter cette étrange clarté de la Lune dans les branchages, ces ombres incertaines. La Moon Room, constituée de onze tirages numériques et deux toiles, ne nous fera pas contredire ces propos.

Hockney comme Monet s'attaque ici à la série. La Lune traverse le ciel, elle apparaît, monte au firmament, pour finir par disparaître sous l'horizon. Une scénographie très réussie permet au visiteur plongé dans sa nuit d'être ainsi au côté du peintre que l'on imagine appliqué assis sur sa terrasse. Pour ce peintre qui a toujours eu l'obsession de l'image, utilisant tour à tour les caméras, les photographies, les photocopieurs et bien sûr les iPads, ce petit film en image fixe, entre peur et féerie nocturne, est bien un nouveau récit, celui d'un jeune homme dévorant la création en souriant.

"10th September 2020 iPad Painting" de David Hockney. (DAVID HOCKNEY)

"Dans cette salle, on se sent petit ou immense, c'est émouvant, c'est très cinématographique et métaphysique. C'est un génie, car il ne fait jamais la même chose", conclut Florence Calame-Levert. Il nous avait déjà surpris avec sa longue fresque de 90 mètres de longueur, peinte durant le confinement et racontant la nature en quatre saisons exposée en 2022 à l'Orangerie. Il est certain que l'aventure Hockney, joyeuse, novatrice et éclatante de couleurs, n'est pas finie. Il se murmure qu'en 2025, une grande rétrospective lui serait consacrée à Paris qui, n'en doutons pas, apportera son lot de surprises réjouissantes.

"David Hockney. Normandism", du 22 mars au 22 septembre 2024, au Musée des beaux-arts de Rouen.

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