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Reportage Coupe du monde 2022 : pendant Tunisie-France, on a passé la soirée avec ceux qui boycottent la compétition au Qatar

Article rédigé par Louise Le Borgne, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Camille, 7 ans, à la Cité Fertile dans le cadre de la programmation "We love this game", le 30 novembre 2022. (Louise Le Borgne)
Ils aiment le football, mais ont gardé la télévision éteinte mercredi lors du troisième match des Bleus. Franceinfo: sport est allé à la rencontre des militants et citoyens qui boycottent le Mondial au Qatar et prônent un football plus raisonné.

"Il faut ramener la Coupe à la raison". Tandis que les ouailles de Didier Deschamps s'inclinaient face à la Tunisie mercredi 30 novembre, franceinfo: sport s'est détourné des terrains qatariens pour aller à la rencontre de celles et ceux qui boycottent l'évènement. Partout en France, des rencontres, des débats, des tournois et des projections étaient organisés en parallèle du match des Bleus. Une façon, pour beaucoup, de vivre leur passion du football tout en restant fidèles à des valeurs écologiques et sociales. 

Coup d'envoi :  chausser les crampons 

A quelques minutes du coup d'envoi, il faut résister aux files d'attente qui s'étirent devant les écrans géants des bars pour filer à la Cité Fertile, à Pantin. Dans ce tiers-lieu du Nord-Est de Paris, pas de diffusion du match des Bleus mais un grand tournoi mixte, intitulé We love this game. "Renoncer au Mondial c'est difficile. Alors avec le collectif Olympe, on s'est dit qu'on allait proposer une alternative festive, joyeuse et pas culpabilisante", explique Gabriela Franco, ballon au pied.

En quelques mois, la jeune femme et ses amis ont monté sur pied un tournoi inclusif et mixte, avec à la clé, un stage de char à voile en guise de trophée. Un pied de nez au PSG après la polémique sur les déplacements des joueurs. "Nous ne sommes pas contre l'équipe de France, mais on se dit que si l'on peut détourner quelques personnes de leur écran, ouvrir le débat à notre échelle, alors on aura rempli notre mission", ajoute la jeune femme. 

Soirée de match du tournoi "We Love that game", le 29 novembre 2022 à la Cité Fertile (93), en marge de la Coupe du monde au Qatar. (Léa Zoltobroda)

Sur le terrain, mercredi, la vedette, ce n'est ni Tchouameni ni Mbappé mais Camille, 7 ans, un brassard de capitaine solidement accroché au bras : "Le Qatar, c'est le désert et il fait très chaud, alors ils mettent la clim et ils utilisent beaucoup d'avions. Le vrai foot ne doit pas être polluant", tranche le jeune garçon, pas vraiment embêté de manquer le match des Bleus. Il faut dire que l'impact carbone du Mondial a de quoi faire grincer des dents. Ce dernier est estimé par l'Académie du climat, entre 3,6 et 6 millions de tonnes de CO2, un triste record, même à l'échelle des grands événements internationaux.

"Avec 6 500 ouvriers décédés sur les chantiers [selon une enquête du Guardian], sept stades sortis de terre pour un petit mois de compétition, 160 vols réguliers tous les jours, le Mondial est totalement démesuré et déraciné. Ce n'est pas ça, pour nous, le football. Nous ne pouvions pas faire comme si tout allait bien, alors nous avons coupé la télévision et nous avons chaussé les crampons".

Gabriela Franco, co-fondatrice du collectif "Le Club Olympe"

à franceinfo: sport

Notre première étape n'est pas un hasard. Le tournoi fait partie des 300 événements référencés sur le site "Carton Rouge pour le Mondial au Qatar". Face à la multiplication des initiatives de boycott, plusieurs sites web ont recensé les actions sous forme de cartographie. "On reçoit plus de 2 000 visites par jour et beaucoup de propositions d'évènement. Il y a un vrai mouvement. Moi, j'adore le foot mais toutes les enquêtes sur les violations des droits humains au Qatar m'ont choqué et je voulais marquer mon opposition de façon active", explique William Gorge, développeur informatique du collectif. Sur les cartes interactives, on a repéré plusieurs contre-programmations à l'humour bien léché et au programme alléchant. Il est 16h45 et nous reprenons la route.

Mi-temps : un petit bout de Bleu, des Bleus, ou des deux ?

Il faut sauter d'un métro à l'autre, en prenant soin d'éviter les écrans, pour aller à la rencontre des boycotteurs. On profite de la mi-temps pour se faire un casse-croute. En la matière, on a demandé conseil à Samuel, organisateur de la "Croute du monde". Son verdict ? Tout miser sur le bleu. "Au lieu de supporter les Bleus, on s'est dit qu'on allait manger du fromage bleu. C'est la première fois que j'organise quelque chose comme ça avec des dégustations et des quizz, mais ce Mondial, c'était vraiment la goutte de trop, explique cet ancien salarié d'un groupe de produits alimentaires, en reconversion professionnelle. Seul, chez moi, j'aurais eu du mal à tenir... Là on a fait émerger quelque chose de collectif. On planche aussi sur un Olive et Tomme pour les quarts de finale". 

Ouverture du score : réviser ses classiques au comptoir

17h00, le boycott reprend. La seconde période des Bleus bat son plein et on fait notre premier arrêt à la Cantina, un bar du XXe arrondissement. A chaque rencontre où l’équipe de France joue, le match équivalent de 1998 est projeté sur grand écran. Ce soir, c'est le France-Danemark du 24 juin 1998. Point fort : on est assuré de gagner, point faible : "On a tué tout suspense", s'amuse Mary Lucet derrière le comptoir. Quelques mètres plus loin, le Café Babel révise lui aussi ses classiques. Des matchs mythiques sont diffusés sur vidéoprojecteur sous le label "No Qataran!". Un repère de connaisseurs qui vibre au rythme des Brésil-Italie (1970), France-Argentine (2018), ou Argentine-Belgique (1986). 

Au bar La Cantina, à Paris, Tovar Palacius Miguel présente l'affiche de boycott de la Coupe du monde au Qatar, le 30 novembre 2022 lors du match France-Tunisie. (Louise Le Borgne)

Au moment où l'on file vers notre troisième bar, l'info fuite de notre voisin de métro : "puréééééé, 1-0 pour la Tunisie, tssss". On glisse un œil sur son écran, un peu dépités, avant de se reprendre. Nous ? Désenchantés ? Pas lorsqu'il s'agit de chanter. Le score ouvert, on fonce au Rhinocéros et à son concept de Katar(pas)oké. "Nous étions déjà très engagés sur les questions d'écologie et on voulait avoir une action joyeuse qui parle à tous en opposition à ce Mondial aberrant. Lors de notre premier karaoké, on a rassemblé plus de 300 personnes, et pour la finale on veut voir encore plus grand avec 500 personnes", explique Maël Moreau, l'un des organisateurs. 

Temps additionnel : le début d'un mouvement ? 

Prendre position contre la grand-messe du football mondial est loin d'être anodin. Le manque à gagner économique est parfois très conséquent pour les bars et restaurants engagés, malgré le succès des programmations parallèles. Ces derniers expliquent avoir préféré rester fidèles à leurs valeurs, quitte à vider les caisses. Un militantisme qui pourrait trouver une continuité sur d'autres événements sportifs contraires aux enjeux climatiques, à commencer par les Jeux olympiques d'hiver. A noter que dans les tiers-lieux, jusqu'à 70% des personnes attendues à ces contre-programmations le font par conviction. Dans les bars, il est plus difficile d'évaluer la part de passionnés du ballon rond. 

Table ronde à l'Académie du Climat, à Paris, le 30 novembre 2022 en marge de la Coupe du monde. (Louise Le Borgne)

Alors que le coup de sifflet final résonne au Qatar, nous faisons un dernier stop à l'Académie du climat pour clore cette soirée de boycott. Une table-ronde y interroge les liens entre sport et climat. "Il y a douze ans, lors de l'attribution du Mondial au Qatar, l'urgence climatique n'était pas aussi audible et il y a quatre ans, pour la Russie, tout le monde ou presque s'en fichait. Mais là, il y a une prise de conscience citoyenne et c'est déjà quelque chose de nouveau", témoigne Delphine Benoit, coordinatrice Impact & Héritage de la Coupe du monde féminine de football 2019. Pour beaucoup, ce boycott sportif est une première motivée par un Mondial hors-sol. Reste désormais à savoir comment cette voix citoyenne d'un nouveau genre trouvera écho auprès des méga-événements. 

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