Coupe du monde 2022 : "Cette finale surpasse largement le France-Italie de 2006", analyse un historien à propos de France-Argentine
Pour l'éternité ? Alors que les superlatifs ont fusé pour qualifier la finale du Mondial 2022, perdue par l'équipe de France contre l'Argentine (3-3, 4-2 t.a.b), dimanche 18 décembre, il semble légitime de comparer ce match à d'autres rencontres mythiques entrées dans l'histoire de la Coupe du monde. Pour Paul Dietschy, professeur d'histoire contemporaine à l'université de Franche-Comté, et auteur d'une Histoire du football (Tempus), cette finale, qui a réuni 24 millions de téléspectateurs français, est la meilleure depuis plusieurs décennies.
franceinfo: sport : Où placer ce France-Argentine dans l'histoire des finales de Coupe du monde ?
Paul Dietschy : Ce match fait partie des plus grandes finales en raison de ses nombreux rebondissements. Il y a eu 70 minutes soporifiques, avec une large domination de l'Argentine, puis tout à coup, ce basculement très rapide avec les deux buts français. Ce qui a peut-être manqué, c'est un autre scénario pour les tirs au but, car on a assez vite compris que c'était mal engagé pour les Français. Avec des joueurs plus expérimentés, cette finale aurait pu faire vibrer jusqu'au bout les téléspectateurs. L'autre bémol que je mettrais, c'est l'attitude des Argentins qui a été assez peu fair-play. Malgré leur victoire, ils ne sont pas montrés sous leur meilleur jour. C'est peut-être lié à un sentiment de revanche, parce qu'en Amérique du Sud, les Argentins sont peu appréciés, et parfois associés au racisme ou à la condescendance. Néanmoins, cette finale surpasse largement de nombreuses autres, dont France-Italie de 2006 (1-1, 3-5 t.a.b), finale durant laquelle les deux équipes se sont neutralisées. Dimanche, l'équipe de France et l'Argentine ont eu l'occasion de l'emporter jusqu'à la fin de la prolongation. C'est une finale qui sera très largement rappelée.
Au point d'en faire la plus grande finale ?
C'est difficile à dire à moins d'être immortel, et d'avoir pu assister à tous les matchs. Je pense qu'on peut comparer, dans le temps, des finales qui ont un peu la même configuration. Sur les vingt dernières années, et même si le France-Croatie 2018 était très spectaculaire (4-2), on peut dire que c'est celle qui a tenu le plus en haleine les téléspectateurs du monde entier.
Si on doit encore remonter dans le temps, iI n'y a pas eu de finale aussi disputée, spectaculaire et incertaine, depuis 1966, et la victoire de l'Angleterre à domicile contre la RFA (4-2)
Paul Dietschyà franceinfo: sport
Et par rapport aux autres matchs de l'équipe de France, comme la demi-finale France-RFA à Séville en 1982 (3-3, 4-5 t.a.b) ou la finale de l'Euro 2000 contre l'Italie (2-1) ?
La grande différence, Didier Deschamps en a parlé, c'est la fatigue des joueurs jusqu'au sursaut des vingt dernières minutes. En 1982, l'équipe maîtrisait mieux, alors que contre l'Argentine, c'était sur courant alternatif. Cette capacité à se réveiller est la force de cette équipe de France. On a pu constater cette confiance du champion en 2000, permettant d'être dominé, avant de s'en sortir grâce à de très grands joueurs. Ça se confirme dans le cas de Kylian Mbappé, presque invisible avant son triplé. L'équipe de 1982 jouait mieux collectivement, avec plus de maîtrise technique, dans les conditions de jeu de l'époque, mais n'avait pas cette capacité de réaction.
Est-ce qu'il ne manque pas aussi une pointe de dramaturgie à l'image de l'agression d'Harald Schumacher sur Patrick Battiston ?
C'est peut-être vrai pour les nostalgiques comme moi, qui avais 17 ans à l'époque de Séville. On peut s'interroger sur pourquoi se rappelle-t-on plus de Séville que de l'Euro 1984, survolé par l'équipe de France. La grande différence avec les années 1980, c'est que le football français ne représentait alors pas grand-chose, tandis que l'équipe d'aujourd'hui a deux Coupes du monde et deux Euros à son palmarès. Le supporter français est plus confiant, et donc moins sujet à la résignation qu'avant. Son état d'esprit a accompagné celui des joueurs.
Et au point de vue de la souffrance des supporters, est-ce comparable à la finale de 2006, aussi perdue aux tirs au but face à l'Italie ?
Pour ma part, j'étais en effet plus déçu par 2006 que par 2022. À Berlin, l'équipe de France avait dominé et a davantage perdu par elle-même, après la sortie de route de Zinédine Zidane [exclu après avoir assené un coup de boule à Marco Materazzi]. Dimanche, jusqu'au premier but tardif des Bleus, c'était quand même Waterloo "morne plaine". Les Bleus ont toujours couru après les Argentins et n'ont pas su profiter du temps faible adverse à la fin du temps réglementaire. C'est aussi peut-être lié à une différence d'âge. Les plus jeunes n'ont pas connu la première joie magique causée par la victoire de 1998. Ces émotions doivent être recontextualisées par rapport à l'âge qu'on a, l'expérience et les attentes. Aujourd'hui, on sait que les Bleus sont programmés pour gagner. Il n'y a plus ce rocher de Sisyphe où tout est à recommencer en permanence.
Pourquoi ressent-on ce besoin de hiérarchiser les rencontres de légende entre elles ? Les différences ne sont-elles pas trop grandes entre la finale de dimanche et le "match du siècle" Italie-Allemagne (4-3), en demi-finale du Mondial 1970 ?
La télévision change tout. On connaît ces matchs contrairement à d'autres qui ont sans doute été remarquables. Par exemple la finale Italie-Hongrie (4-2) en 1938, pour laquelle on ne dispose que de quelques photos et récits. Dès 1966, on a les images de la finale, donc on peut comparer. C'est l'idée d'une légende du football qu'on veut construire à l'aune de la société médiatique, qui repose sur des classements. Il y a peut-être aussi un rapport au temps, parce que le football est une activité qui a au moins 150 ans. Cette construction légendaire évoque également les héros et leur hiérarchisation, à l'image de l'Olympe entre chaque dieu. Cette manie de classifier est très contemporaine, tout en reposant sur des schémas légendaires, qui remontent au temps d'Achille, Ulysse ou Hector, pour savoir qui est le guerrier le plus important. On retrouve ça aussi dans le football.
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