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Coupe du monde 2022 : la zone mixte, ce lieu exigu où les journalistes jouent des coudes pour faire parler les joueurs

À l’issue des matchs de la Coupe du monde, les journalistes se bousculent en zone mixte pour y recueillir à chaud les réactions des joueurs qui acceptent de s’arrêter pour répondre à leurs questions.
Article rédigé par Denis Ménétrier, franceinfo: sport - De notre envoyé spécial à Doha
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 6min
Joueur cerné par les micros des journalistes (illustration). (HENRI LAURIANO / FRANCEINFO: SPORT)

Pour tout journaliste qui souhaiterait agrémenter ses articles de propos croustillants, la zone mixte est "the place to be". Mais pour y parvenir, il faut le mériter. Au bout du bras tendu et tremblant à force de tenir la posture, les enregistreurs ont disparu pour laisser place aux smartphones et leur application "Dictaphone". Au bout de ces smartphones, les lèvres des joueurs auxquelles sont suspendus tous les journalistes présents dans cet espace réduit où même Neymar aurait du mal à combiner balle au pied. La zone mixte, c'est cet univers impitoyable où joueurs et journalistes ne sont jamais aussi proches.

S’y aventurer, c’est espérer y rencontrer des sportifs désinhibés par l’effort, l’adrénaline et la fatigue. Hugo Lloris en est un parfait exemple. Capitaine exemplaire, le gardien de l’équipe de France est capable en conférence de presse de veille de match de recracher mot pour mot les éléments de langage de son sélectionneur Didier Deschamps. En zone mixte, capitaine Lloris est plus disserte. Son discours moins policé. "C'est frustrant parce qu'il y a beaucoup de liberté pour les tireurs, et pour les gardiens, c'est de plus en plus difficile", avait-il lancé à l'issue du match contre la Pologne, après le penalty à retirer pour Robert Lewandowski.

Après le quart de finale face à l’Angleterre, le gardien des Bleus est apparu vidé émotionnellement. Seule la zone mixte permet de mesurer l’impact de l’effort sur les joueurs. Ces derniers n’ont pas obligation de s’y arrêter, sauf devant les journalistes de télévision, du moins les détenteurs de droits. Pour les autres, il faut prendre son mal en patience. Espérer qu’un joueur fasse signe, comme Adrien Rabiot, l’un des plus assidus dans l’exercice.

Deux mondes qui se rencontrent

Dans l’attente, certains confrères commencent à rédiger leur article, assis dans un coin de la pièce. De l’autre côté, un petit attroupement se forme autour d’un téléviseur pour écouter la conférence de presse du sélectionneur qui se trouve dans la pièce adjacente. D’un coup, plusieurs journalistes se lèvent : des joueurs arrivent. Plusieurs suivent le chemin balisé pour rejoindre directement le bus. Déception.

Un joueur tunisien, après le troisième match de groupes contre la France, s’explique en passant : "Non, non, pas envie, je n’ai pas joué les gars." Ousmane Dembélé trouve une excuse en souriant : "Pas moi, mais il y a du lourd qui arrive." Le "lourd" dont parle l’ailier des Bleus, c’est Kylian Mbappé. Le co-meilleur buteur de la compétition sourit toujours, mais ne s’arrête jamais. Parfois, certains joueurs s’arrêtent et se font avoir. "Je réponds à une question seulement", annonce d’emblée Azzedine Ounahi, le milieu marocain de 22 ans après le succès contre l’Espagne. Trop gentil, peut-être trop naïf aussi, il restera finalement pour cinq longues questions.

Joueur face à une horde de journalistes, en zone mixte (illustration). (HENRI LAURIANO / FRANCEINFO: SPORT)

La zone mixte, c’est aussi mesurer la collusion entre le monde des sportifs et celui de la presse. Un journaliste tente de gratter quelques informations auprès de joueurs dont il est proche. Un autre tente de son côté un selfie avec un joueur, mais un agent de la Fifa intervient. La Fédération internationale lutte depuis le début de la compétition contre la prise de photos et de vidéos dans ce lieu où tout est balisé.

Après le match contre l’Espagne, le Marocain Sofiane Boufal se fait pourtant avoir par un journaliste. Un selfie est pris en douce. Quelques inimitiés sont aussi dévoilées au grand jour, comme ce confrère qui se plaint d’un joueur qui le snobe toute l’année en zone mixte en championnat, mais qui est bien plus avenant à Doha, à près de 5 000 kilomètres de la France. Un autre en froid avec un international le voit débarquer et décide de s’éclipser discrètement.

Un exercice physique

La zone mixte est aussi cosmopolite. Des journalistes du monde entier s’y rencontrent et on n'hésite pas à solliciter un confrère portugais pour nous traduire les propos du Brésilien Richarlison, qui n’a pas souhaité répondre en anglais. Certains joueurs le font, comme Cody Gakpo. Le Néerlandais se fait cependant héler par les journalistes de son pays, qui considèrent que sa session de questions-réponses avec la presse internationale s’éternise.

Enfin, la zone mixte est physique. Un univers impitoyable où il faut hausser la voix et s’imposer pour pouvoir glisser une question. Où mesurer 185 centimètres est une aubaine pour réussir à se faire voir. Où il faut faire partie des premiers à y descendre pour se placer à l’endroit le plus stratégique. Certains confrères, on le jurerait, sèchent la fin de match pour y squatter.

La promiscuité de la zone mixte a d’autres limites, depuis trois ans maintenant : à l’issue de France-Angleterre et de France-Maroc, on a amèrement constaté le retour du masque chirurgical pour éviter de contaminer les joueurs. Il est vrai que de plus en plus de confrères toussaient ces derniers jours en salle de presse et plusieurs joueurs, comme Adrien Rabiot - peut-être trop assidu finalement -, Dayot Upamecano ou Kingsley Coman ont attrapé un "coup de froid". À l’Euro 2021, la zone mixte avait d’ailleurs disparu en raison du Covid-19. Elle a fait son retour dans une grande compétition lors de cette Coupe du monde. Pour le meilleur et pour le pire.

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