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Tour de France 2022 : vivier de talents, passé trouble et exode à l'étranger… Comment le cyclisme danois s’est réinventé pour retrouver les sommets

Désormais pourvu des meilleurs cyclistes mondiaux comme Jonas Vingegaard ou Kasper Asgreen, le cyclisme danois est en passe d’achever sa mue parmi les meilleures nations après des années de trou.

Article rédigé par Théo Gicquel - De notre envoyé spécial
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le Danois Kasper Asgreen (avec le micro) prend la parole lors de la présentation des équipes de la 109e édition du Tour de France à Copenhague, le 29 juin 2022. (DAVID STOCKMAN / BELGA MAG)

"C’était un truc spécial : rouler jusqu’aux jardins de Tivoli avec tous les fans danois autour, monter sur le podium, c’est un rêve. Le départ ici a été décalé d’un an, et l’excitation s’est juste accentuée. C’est incroyable de voir les Danois être à la hauteur de l’événement." La phrase de Kasper Asgreen, le coureur danois coéquipier de Julian Alaphilippe, mercredi lors de la présentation des équipes, résume l’engouement de son pays pour le Tour de France, qui s’élance vendredi 1er juillet.

Et si Copenhague a été choisie, c’est aussi pour marquer l’avènement d’une nation que l’on avait presque oubliée sur les podiums : Jonas Vingegaard, deuxième du dernier Tour de France, Kasper Asgreen, vainqueur du Tour des Flandres, ou Mads Pedersen, champion du monde en 2019, portent l’étendard d’une nation qui a su faire son autocritique et développer sa pépinière pour survivre. 

"À mon époque, il fallait être champion du monde pour obtenir du soutien, désormais ce n’est plus le cas, et c’est formidable."

Lars Ytting Bak, ancien professionnel danois

à franceinfo: sport

"Quand j’ai commencé en 2002, nous devions prendre des vacances pour aller sur les courses ou avec l’équipe nationale. Puis, ils ont créé l’équipe espoirs GLS en 2005. C’est là que tout a commencé. A ce moment-là, la fédération s’est dit : si l’on veut que nos espoirs soient parmi les meilleurs, nous devons leur donner une rémunération et staff à plein temps", se souvient Lars Ytting Bak, ancien coureur entre 2002 et 2019 désormais directeur sportif chez Uno-X, une équipe dano-norvégienne.

L'ancien champion du monde danois Mads Pedersen, lors de la présentation des équipes de la 109e édition du Tour de France à Copenhague, le 29 juin 2022. (MARCO BERTORELLO / AFP)

Orphelin de coureurs de premier plan du milieu des années 2000 jusqu'à ces dernières saisons, à l’exception de Jakob Fuglsang (7e du Tour de France 2013, vainqueur de Liège-Bastogne-Liège 2019), le cyclisme danois est allé lorgner vers les catégories de jeunes. "Le changement le plus important par rapport à il y a dix ans, ce sont les jeunes espoirs de moins de 23 ans. Ils se développent de manière bien plus durable afin de devenir de solides coureurs professionnels de niveau mondial", constate Anders Lund, pro entre 2005 et 2013 et désormais sélectionneur national. "Avant, il y avait un écart entre leurs résultats en espoirs et en World Tour. Il s’est très largement réduit", ajoute-t-il.

Un constat partagé par Kasper Asgreen, largement acclamé lors de la présentation mercredi, et radieux de voir son pays mis en avant. "Il y a une incroyable génération aujourd’hui, et avec une forte concurrence arrive le très haut niveau. Il y a beaucoup plus d’accès aux programmes d’entraînement, à des choses qui n’étaient auparavant que pour les pros. Donc le fossé est moins grand qu’il ne l’était."

Comme Alaphilippe et Barguil, une formation étrangère salvatrice

Le sélectionneur danois pointe lui une particularité pour expliquer une réussite aussi variée et collective : "Ce qui a clairement changé, c’est que les jeunes espoirs danois sont éparpillés dans les équipes étrangères : on a désormais des jeunes dans 13 équipes du World Tour (sur 18)", analyse Anders Lund.

"Auparavant, presque tous les espoirs étaient réunis en une seule équipe, la formation danoise CSC-Saxo Bank. Je pense que ça a été très profitable pour leur développement d’être dans des équipes étrangères, notamment dans leur état d’esprit : ils découvrent le World Tour, mais ils doivent continuellement se battre pour leur place et hausser de niveau chaque année", poursuit celui qui dirige la sélection depuis 2017. 

Julian Alaphilippe (à droite), lors de sa première année professionnelle chez Omega-Pharma-Quick-Step en 2014, félicite son coéquipier Gianni Meersman sur le Tour de Wallonnie. (KRISTOF VAN ACCOM / BELGA)

A l’instar des Français Julian Alaphilippe, lancé chez la formation belge Quick-Step, ou Warren Barguil, qui a débuté chez les Néerlandais d’Argos-Shimano, les meilleurs diamants scandinaves se sont exportés très jeune afin d’avoir une chance de passer professionnel, poussés par la disparition de leur seule équipe World Tour en 2016. "Je pense que ce changement est très sain pour la formation danoise. Les plus grands talents danois comme Vingegaard ou Asgreen (lancés respectivement par les Néerlandais de Jumbo-Visma et les Belges de Quick-Step) étaient complètement anonymes au plus haut niveau avant leurs 19 ans. Ils ne se sont développés qu’à partir de leurs 21 ans, ils sont devenus presque tard de très bon coureurs. On ne peut pas tout jauger par rapport aux résultats en espoirs", poursuit le sélectionneur.

Le passé de dopage, une ombre tenace qui s'évanouit

Mais pour faire table rase du passé, il a fallu forcément lui ôter sa part d’ombre, qui sur le Tour de France est surtout liée à deux noms : Bjarne Riis et Michael Rasmussen. Le premier, seul vainqueur danois du Tour en 1996, et le second, évincé avec fracas du Tour 2007 le maillot jaune sur les épaules, ont tous les deux été attrapés pour dopage. De quoi faire plus que vaciller la crédibilité du cyclisme danois. 

"A chaque fois que les Danois voyaient un coureur danois réussir quelque chose, il suffisait d’attendre cinq ou dix ans et le résultat était connecté à une affaire de dopage. C’est ce dont les jeunes coureurs actuels souffrent vraiment."

Anders Lund, sélectionneur national danois

à franceinfo: sport

"Il y a toujours des doutes à cause de ce qu'ils ont fait, et c'est normal. C'est comme ça", avait expliqué Vingegaard mercredi. "Si j'étais spectateur, j'aurais aussi des doutes sur ce qu'ils ont fait dans le passé. Mais maintenant, le cyclisme a changé", affirme le grimpeur de la formation Jumbo-Visma. "Je pense que la majeure partie de la communauté cycliste, nos fans, croient maintenant que nous courons proprement", appuie Kasper Asgreen.

Michael Rasmussen, dernier danois porteur du maillot jaune, lors du Tour de France 2007 où il a été exclu. (BERNARD PAPON / POOL)

Une réussite en trompe-l'oeil 

L’autre caillou dans la socquette du cyclisme danois est - et c’est paradoxal pour un des pays du vélo - le manque d’attrait pour le cyclisme chez les jeunes. La fédération danoise, stimulée davantage par les résultats olympiques sur piste que par ceux sur route, perfuse pourtant de plus en plus les catégories à coups de subventions.

Mais malgré les résultats des pros, elle ne parvient pas à séduire les adolescents. "Nous avons un gros problème pour attirer les jeunes vers les clubs de cyclisme, encore plus sur la route que sur la piste. Le nombre de licenciés se réduit, c’est le plus gros challenge pour nous d’inverser cette tendance", constate Anders Lund, le sélectionneur national. "Les gens utilisent beaucoup leur vélo au Danemark, mais peu l’utilisent pour la compétition, en tant qu’athlètes. Le vélo en tant qu’activité physique se développe, mais pas le cyclisme", poursuit-il.

Les coureurs de la formation dano-norvégienne Uno-X, seule formation scandinave dans les deux premières divisions mondiales. (ERIC LALMAND / BELGA MAG)

Une équipe danoise en World Tour, la solution ?

Alors, comment raviver définitivement la flamme chez les jeunes et entériner le retour au premier plan du cyclisme danois ? L’objectif à moyen terme semble tout trouvé : réintégrer une équipe danoise au World Tour, la première division mondiale : "Ce que j’aimerais et qui je pense va arriver, c’est que la formation Uno-X, qui est à moitié danoise, intègre le World Tour à un moment", prédit l’ancien pro Lars Bak. "Nous aurions une équipe scandinave que nous n’avons plus depuis le retrait de CSC-Saxo-Bank, c’est ce qui nous manque. Nous avons besoin d’une équipe World Tour au Danemark."

Le sélectionneur national Anders Lund n’est pas entièrement convaincu et préfère faire progresser le cyclisme danois par étapes. "Ça peut être une bonne chose mais je recommanderais quand même aux jeunes de s’exporter, afin que l’on n'ait pas qu’une seule entrée dans le cyclisme pro pour les jeunes danois. Sinon, on se limite nous-mêmes. Peut-être qu’une équipe de deuxième division pourrait être plus bénéfique, afin de créer un étage intermédiaire, qui pourrait développer nos coureurs vers le World Tour", conclut le sélectionneur. Qui sait, peut-être a-t-il déjà dans ses rangs le prochain vainqueur danois du Tour de France ?

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