: Témoignages Onze Français nous racontent leur attachement au Tour de France depuis le bord de la route : "C'est Noël en plein été"
Comme hier et avant-hier, comme demain et encore aprÚs-demain, le Tour fait salle comble. Mardi, entre Morzine et MegÚve, franceinfo s'est assis aux cÎtés des anonymes qui s'agglutinent le long des routes.
Pour voir "en vrai" le Tour de France, la famille Travet a traversĂ© toute la France et roulĂ© trĂšs exactement 773 kilomĂštres Ă bord de son camping-car. Delphine GĂ©rie, elle, a marchĂ© dix minutes Ă pied depuis le bureau. Quant Ă Christian ThĂ©venot, il n'avait qu'Ă passer sa tĂȘte par-dessus la barriĂšre du jardin. Combien Ă©taient-ils, encore, mardi 12 juillet, agglutinĂ©s au bord des routes haut-savoyardes entre Morzine et MegĂšve ?
Surtout, pourquoi sont-ils lĂ , prĂȘts Ă attendre des heures sous le soleil des coureurs qui passeront devant eux façon nuage de poussiĂšre ? Franceinfo a passĂ© la 10e étape dans la roue de ces Français, anonymes, pour qu'ils nous racontent ce que reprĂ©sente la Grande Boucle Ă leur yeux.
"Le Tour nous maintient en vie, ma famille et moi"
Martine Travet, 59 ans, auxiliaire de vie. Deux jours qu'on est là , garés sur ce parking. On vient de la Somme, un village prÚs d'Abbeville. On a fait la route avec "papi", c'est comme ça qu'on appelle notre camping-car, il n'est plus trÚs jeune, il a 20 ans. Il y a Dominique, mon mari, et il y a Fabrice, notre fils, handicapé. Le Tour, c'est sa grande évasion. Vous avez vu son grand sourire ? Il n'y a pas grand-chose qui le rend aussi heureux.
Je sais qu'il y a des gens qui ne comprennent pas qu'on soit lĂ . A les Ă©couter, on n'aurait pas le droit au bonheur, on devrait rester chez nous et nous morfondre puisque notre enfant a des difficultĂ©s. C'est dĂ©jĂ arrivĂ© qu'on nous demande pourquoi on est lĂ . Pourquoi on est lĂ Â ? Mais pour vivre, enfin ! Pour profiter ! Le Tour de France, ça nous maintient en vie, ma famille et moi. La vie est tellement vache par moments, qu'il faut profiter. Ca nous fait du bien d'ĂȘtre lĂ , loin de la maison et de notre vie de tous les jours.
DÚs que les coureurs sont passés, on grimpe dans notre cabane à roulettes, on allume la télé pour suivre le reste de l'étape. Et le soir, on débriefe la course, on dit ce qu'on a aimé, pas aimé. Et Fabrice, dans son fauteuil, il a toujours plein de choses à dire, vous devriez voir ça.
"AprĂšs, on joue au Tour de France avec les copains"
ClĂ©ment, 9 ans, Ă©colier. Avec ma petite sĆur Auriane, on a fait une pancarte. On a Ă©crit "coucou les Pillet". Les Pillet, ce sont des amis. On a un jeu avec eux : si on passe Ă la tĂ©lĂ©, ils doivent nous offrir Ă chacun un cornet de glace avec quatre boules.Â
Je suis lĂ pour regarder les coureurs. Car aprĂšs, on joue au Tour de France avec les copains pour s'amuser. L'autre jour, on a fait une mini-course Ă Versailles oĂč on habite. C'Ă©tait un peu pareil que le Tour. Mais ça ne faisait que 2 kilomĂštres. Et puis nous, on n'Ă©tait que quatre. Moi, j'ai terminĂ© deuxiĂšme. Le copain qui a gagnĂ©, il a fait comme un gorille quand il est arrivĂ©, il a tapĂ© des mains contre lui. Il avait vu ça à la tĂ©lĂ©. Je vais regarder ce que le vainqueur va faire aujourd'hui : je pourrai faire pareil aprĂšs avec les copains.
"Ăa change de la maison de retraite"
VĂ©ronique Perche, 85 ans, rĂ©sidente d'une maison de retraite. J'ai mis mon chapeau parce qu'il faut se faire beau pour le Tour. Les filles de la maison de retraite nous ont prĂ©venus ce matin qu'on allait voir les coureurs. Elles sont gentilles. Ăa change des activitĂ©s qu'on fait d'habitude, vous ne pouvez pas savoir comme ça fait du bien. Ca change du quotidien, toujours un peu enfermĂ© dans nos chambres, toujours avec les mĂȘmes personnes. LĂ , on prend l'air, on voit plein de gens, ça nous sort. Et puis ça fait une belle animation, toutes ces voitures de la caravane. Ah, il y en a une qui arrive ? Une rouge. C'est quoi ?Â
Bon, je ne peux rien rattraper avec mes bras, je suis trop vieille. Mais ce n'est pas important. Je ne connais pas les coureurs non plus. Mais tout Ă l'heure, quand ils passeront devant mon fauteuil, je serai aux premiĂšres loges. Je vais les encourager, je vais crier.Â
J'ai quatre enfants, sept petits-enfants et quatre arriÚre-petits-enfants, et aucun ne sait que je suis là . Ma fille doit venir me voir ce soir. Je vais lui dire : "Tu sais ce que j'ai fait aujourd'hui ? J'ai vu le Tour de France ! En vrai hein, pas à la télé, pas dans la chambre, en vrai !
"C'est un peu Noël en plein été"
Adeline Rodriguez, 30 ans, mÚre au foyer. On est venus à pied avec les trois enfants, Malo, Ambre et Alba, et avec le chien Newton. Le Tour, c'est un peu Noël en plein été. C'est un spectacle gratuit, facile à organiser, et il y a des cadeaux avec la caravane, des bonbons, des casquettes...
C'est un souvenir d'été qui compte, ça dépayse tout en restant chez soi. J'ai des souvenirs d'enfance qui remontent. Moi aussi je courais aprÚs des goodies quand j'étais petite. Je revois mon pÚre, avec son transat, qui se met au bord de la route. Je revois ma mÚre, avec sa pancarte, et les tee-shirts jaunes qui volent. Et cette fois, c'est moi qui refais pareil avec mes propres enfants, c'est chouette. Le plus grand, Malo, devait avoir un an quand on l'a emmené la premiÚre fois sur le Tour.
"C'est un prétexte pour voir les copains"
Marie-Paule AndrĂ©a, 63 ans, coach sportive. On est venus Ă six d'IsĂšre, trois couples, GĂ©rard, Martine, JoĂ«lle, Jacques, Michel et moi. On est amis depuis quarante ans. Je dois vous le dire : le Tour, en fait, c'est un prĂ©texte pour voir les copains. Je dirais mĂȘme que ça nous oblige Ă nous rĂ©unir en juillet. Sans le Tour, on se serait vus, mais quand ? Je ne sais pas. LĂ , on profite de l'Ă©tape pour nous retrouver tous ensemble.Â
On passe des moments sympathiques sur les bords de route. Mais on ne parle pas forcĂ©ment de la course. On parle de tout, de la vie, de nos petits-enfants. On parle d'autre chose que du Covid, de la crise... Et quand les coureurs arrivent, on se met en position avec l'appareil photo. Â
AprĂšs, entre nous, qui gagne, qui perd... Le vainqueur pourrait me passer devant que je ne le reconnaĂźtrais mĂȘme pas... mais ce n'est pas grave puisque j'aurais vu les copains.
"C'est de la transmission avec les petits-enfants"
Denis Perrot, 70 ans, agriculteur Ă la retraite. Je suis venu en famille. Il y a mon Ă©pouse, mon beau-frĂšre, ma belle-sĆur et les petits-enfants. On fait plusieurs Ă©tapes tous ensemble, six en tout. Pour moi, le Tour, c'est de la transmission. Les petits, j'ai fini par les contaminer avec mes histoires de vĂ©lo. Les emmener sur les bords de la course, c'est comme une piqĂ»re de rappel dont les effets secondaires n'ont pas l'air dĂ©sagrĂ©ables.
Je sais dĂ©jĂ qu'ils vont encore me poser plein de questions. Quand je vais leur expliquer qu'Ă mon Ă©poque, les coureurs avaient une chambre Ă air autour du cou, au cas oĂč ils crĂšvent. Quand je vais leur dire que les types se changeaient dans un fourgon. Quand je vais leur dire que les stars de mon Ă©poque, c'Ă©tait Jacques Anquetil et Raymond Poulidor. Je le vois de lĂ Â : "Qui c'est lui, Jacques Anquetil ?" C'est comme leur parler de Charles TrĂ©net ou du GĂ©nĂ©ral de Gaulle. Eux, ils me parlent de Thibaut Pinot. Ca crĂ©Ă© des souvenirs. Ils feront peut-ĂȘtre pareil, eux, plus tard.
"Faire ses sandwiches, c'est déjà le Tour"
Sam Mazzega, chauffeur-livreur pour les cantines scolaires, 22 ans. Je ne connais pas d'autres Ă©vĂ©nements oĂč on attend aussi longtemps quelque chose dont on profite en rĂ©alitĂ© seulement quelques secondes. Avec Estelle, on a dĂ©pliĂ© les chaises ici Ă 7h30 et les coureurs sont passĂ©s vers 15 heures, 15h30. On a mĂȘme eu le temps de continuer notre nuit dans la voiture. Mais je crois que c'est ça le charme du Tour de France : c'est de la prĂ©paration. On a dĂ©calĂ© exprĂšs d'une journĂ©e notre dĂ©part dans le sud de la France pour les vacances parce qu'il y avait le Tour. On est venus repĂ©rer l'endroit il y a quatre jours, et on s'est dit : "Ok, c'est lĂ qu'on se mettra. Il y a de l'ombre, le sommet est juste lĂ , parfait".
Rien que sortir la glaciÚre, c'est déjà le Tour. Faire ses sandwiches, c'est déjà le Tour. Des copains nous ont dit qu'on serait mieux dans notre lit. Nous, on pense qu'on va passer une bonne journée sur cette pelouse.
"C'est pour voir Thibaut Pinot et Thibaut Pinot nous a vus, je vous jure"
Erwan Launay, 13 ans, collĂ©gien. Je suis lĂ pour voir Thibaut. Enfin Thibaut Pinot. Je l'appelle Thibaut parce qu'on vient de la mĂȘme rĂ©gion, la Franche-ComtĂ©. Et il nous a vus l'autre jour, je vous jure ! Il a vu notre pancarte en descendant. On Ă©tait le long de la route avec les autres et il a tournĂ© la tĂȘte, et il a mĂȘme fait un "V" avec ses mains. Ca m'a fait trĂšs, trĂšs plaisir. AprĂšs, j'aurais bien aimĂ© discuter avec lui, mĂȘme si je ne sais pas ce que je lui aurais dit, j'aurais Ă©tĂ© timide. Vous lui avez dĂ©jĂ parlĂ©, vous ?
Je l'aime bien, Thibaut. Je parle souvent de lui, peut-ĂȘtre trop. Mais voilĂ , il se bat, il grimpe bien, il grimpe vite. Ah, et il ne laisse pas tout tomber comme ça. Au dĂ©but, j'avais l'impression qu'il n'Ă©tait pas trop dans son assiette sur ce Tour. Et puis maintenant, j'ai l'impression que ça va mieux. Je pense qu'il peut faire podium. On peut parier.
"Je me dis que je ne fais pas le mĂȘme sport"
Claude Carret, 73 ans, retraitĂ©. Le Tour, c'est mon moment de l'annĂ©e. Pendant trois semaines, c'est la mĂȘme chose : vers 17 heures, il ne faut pas me dĂ©ranger, j'arrĂȘte tout et je me dĂ©brouille pour ĂȘtre devant une tĂ©lĂ© pour suivre les arrivĂ©es. Aujourd'hui, j'ai fait mieux, je suis venu avec mon vĂ©lo, ma tenue. Les cols qu'ils grimpent, je les connais bien. Quand j'y passe, j'ai un peu l'impression de faire le Tour de France moi aussi. AprĂšs, il y a la rĂ©alitĂ©Â : eux, ils appuient comme des fous sur les pĂ©dales.Â
Le Galibier lĂ -bas ? TrĂšs, trĂšs, trĂšs dur. Tenez, pour venir, j'ai montĂ© le col des Saisies, plus de 1 600 mĂštres d'altitude, hyper casse-pattes. A chaque fois, sur ma selle, je me dis que je ne fais pas le mĂȘme sport. Pas le mĂȘme moteur. Avant, je comparais leurs temps avec les miens, pareil, c'est fini ça. Je sais ce qu'ils vivent, ce qu'ils endurent, et c'est pour ça que je les admire encore plus. Le Tour, ça me donne Ă chaque fois encore plus envie de faire du vĂ©lo.
"Avec le Tour, j'ai de nouveau 10Â ans"
Delphine GĂ©rie, 43 ans, secrĂ©taire. Exceptionnellement, notre responsable nous a autorisĂ© une pause pour le passage de la caravane publicitaire. Pour la remercier, on lui a promis de lui offrir un des goodies qu'on aura rĂ©cupĂ©rĂ©s. Ne lui dites pas que pour l'instant, on est Ă zĂ©ro cadeau...Â
Pour moi, le Tour, c'est ça. Un retour Ă l'enfance. J'ai 43 ans mais avec le Tour, j'ai de nouveau 10 ans. Vous avez vu autour de nous, tous ces adultes qui bataillent sur un bord de route pour essayer d'attraper un porte-clĂ© qui finira certainement au fond d'un tiroir ? VoilĂ , j'adore ce cĂŽtĂ© festif, tout le monde est plus relax. J'ai plein de souvenirs qui remontent. Mon pĂšre qui a failli renverser Marco Pantani [coureur italien] un jour. Mon pĂšre qui me disait, gamine, oĂč me mettre pour bien tout voir, plutĂŽt dans une montĂ©e, plutĂŽt avant ou aprĂšs un virage, parce que la caravane et les coureurs vont moins vite Ă ces endroits-lĂ . Vous avez vu oĂč je suis aujourd'hui ? AprĂšs un virage...
"Ca fait discuter avec les voisins"
Christian ThĂ©venot, 66 ans, retraitĂ©. Je ne pense pas qu'on puisse mieux voir les coureurs que devant ma maison. Quand ils vont passer tout Ă l'heure, j'aurais juste Ă passer la tĂȘte par-dessus la barriĂšre. Ils vont rouler juste devant chez nous. Dans le village, on ne parle que du Tour de France depuis plusieurs jours. La route a Ă©tĂ© refaite il y a deux semaines, elle est nickel. Devant chez nous, devant chez les voisins d'en face, il y a des ballons qui ont Ă©tĂ© accrochĂ©s. Plus loin, il y a d'autres dĂ©corations. Le temps s'est comme arrĂȘtĂ©. Ca fait discuter avec les voisins, on revoit des gens. D'ailleurs, on n'a jamais vu autant de monde passer dans le coin. Des voitures de gendarmes, des touristes, des spectateurs qui cherchent une bonne place... Et puis, demain ou aprĂšs-demain, la vie normale reprendra dans le village. Mais on aura vĂ©cu un truc qui change du reste de l'annĂ©e. Et je suis sĂ»r qu'on en reparlera longtemps entre nous.
Commentaires
Connectez-vous Ă votre compte franceinfo pour participer Ă la conversation.