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Voix robotisées, absence de juge de ligne, infaillibilité... comment l'arbitrage électronique peut changer la face du tennis

Jusqu’à la fin de la saison, l’ATP autorise tous les tournois à utiliser l’arbitrage électronique à la place des juges de ligne. Si ces changements sont officiellement provisoires en raison de la crise sanitaire, certains entendent bien les rendre permanents. Les conséquences sur le tennis pourraient être considérables.
Article rédigé par Guillaume Poisson
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 9min
  (MANAN VATSYAYANA / AFP)

"Out !" "Out !" "Out !" Trois fois, une voix métallique et monotone s’élève, à quelques secondes d’intervalle, dans les tribunes désertes du tournoi de Saint-Pétersbourg. Stan Wawrinka vient de faire trois fautes directes en l’espace de trente secondes. Ces "out!" proviennent du Hawk-Eye Live, une machine d’arbitrage électronique jugeant chaque balle au millimètre ET à la seconde près.
Contrairement au traditionnel “Hawk-Eye”, ce système intervient systématiquement et en temps réel. Avec lui, les juges de ligne ne sont plus nécessaires et les arbitres de chaise ont pour principales missions le suivi du score et le contrôle du comportement des joueurs. Exceptionnellement autorisée depuis le début de la crise sanitaire par l’ATP et l’ITF, cette technologie s’implante plus rapidement que prévu sur le circuit professionnel. Entre des joueurs souvent conquis et des institutions de moins en moins enclines à “protéger” le statut du juge de ligne, le tennis de demain s'annonce propice à ces étonnants (et problématiques) "arbitres-robots".

La révolution technologique du Covid

Qu’il est loin le temps où l’on s’émerveillait des Challenges vidéos, autorisés pour la première fois en Grand Chelem lors de l’US Open 2005. A l’époque, seul le court Arthur-Ashe disposait de ce luxe, puis peu à peu les courts centraux de tous les Grands Chelems ont suivi la mode. Depuis, la technologie s’est répandue aux plus petits tournois des circuits ATP et WTA et, surtout, est entrée dans les habitudes des joueurs. Jouer un match sans arbitrage vidéo serait vécu comme une anomalie pour un membre du Top 100 aujourd’hui. Doit-on se préparer au même destin pour les cousins germains de l’arbitrage vidéo : l’arbitrage électronique "en live" ? 

Des juges de ligne lors de l'édition 2019 de Wimbledon (ADRIAN DENNIS / AFP)

Le tennis est à l'évidence à un tournant. La saison 2020 devait être celle des premiers essais : elle a fini par être celle des premières homologations. Devant le besoin des tournois de minimiser un maximum le nombre d’officiels présents sur site - en raison de la crise sanitaire - l’ITF et l’ATP ont accéléré le processus et accordé les autorisations nécessaires pour une mise en place rapide. Ce système avait déjà été utilisé, depuis 2017 par le Masters NextGen et par quelques exhibitions ; cette fois, les arbitres-robots ont trouvé leur place en compétition officielle. 

A l’US Open, seuls les deux courts principaux étaient arbitrés par des juges de lignes “humains”. Soit un peu plus de 70 arbitres, contre 350 habituellement. "Notre technologie devient plus attractive en ce moment, affirme Olivier Clough, responsable tennis chez Hawk-Eye Technologies, à ESPN. Parfois, pour certains tournois, c’était soit opter pour cette technologie, soit lutter pour le maintien du tournoi". Interrogé par France tv sport, Henri Johnson, le président de FlightScope, l’un des nouveaux concurrents de Hawk-Eye sur le marché de l’arbitrage électronique, confirme que la période peut lui être bénéfique "sur le long-terme". "Pour l’instant nous sommes bloqués par les autorisations, seulement accordées à Hawk Eye. Mais, à long terme, on s’implantera aussi, bien sûr". La course aux opportunités qu’ouvre la Covid-19 ne fait donc que commencer. Quoi de mieux pour la robotisation qu'on monde où l'on craint l'autre ?

L’illusion de l’humain

D’autant que les premiers résultats semblent impressionnants. D'après un décompte fait par l'entreprise Hawk-Eye au New York Times, sur 224 000 décisions prises lors de la première semaine de l’US Open, seules 14 erreurs ont été commises... par des humains. La machine nécessite en effet une intervention humaine pour la guider lors des changements de serveur, et les 14 erreurs proviendraient de fausses manipulations humaines. C’est bien cet indéniable pas de géant vers un arbitrage parfait qui séduit chez les acteurs du tennis mondial, au premier rang desquels, les joueurs. "Ce serait génial qu’on instaure l’arbitrage vidéo dans le tennis. Cela nous éviterait tous les scénarios tristes comme celui que j’ai vécu" s’est exclamée la numéro 2 française Kristina Mladenovic après son match perdu au 1er tour de Roland-Garros, notamment sur une grossière erreur d’arbitrage. La prise de parole la plus remarquée à ce sujet fut celle de Novak Djokovic : "Avec tout le respect que j’ai pour la tradition et la culture que nous avons dans ce sport, la technologie est si avancée en ce moment qu’il n’y a aucune raison de les garder", a affirmé le numéro un mondial.

 Diego Schwartzman discute d'un point avec la juge arbitre Aurélie Tourte, lors de sa demi-finale face à Rafael Nadal à Roland-Garros (THOMAS SAMSON / AFP)

La volonté des adeptes est donc clairement de pallier les imperfections humaines par la précision mathématique des robots. A l’inverse, dans cette quête de l’humain amélioré, les fabricants ne se sont pas gardés d’humaniser leur robot. Il suffit de jeter un oeil aux tournois de Saint-Pétersbourg et de Cologne pour s’en rendre compte : contrairement aux robots du Masters Next Gen, les fautes ne sont pas signalées par un “bip”, mais par des voix humaines pré-enregistrées. Celles-ci sont féminines, masculines, de différentes langues et accents, afin de ressembler au mieux au juge de ligne humain. "Nous avons essayé klaxons, buzzers, bips. Mais on ne voulait pas que ça ressemble au Buzzer d’une émission télé", expliquait Gayle David Bradshaw, le vice-président de l’ATP pour les règles et les compétitions, au New York Times en 2018.

Le juge de ligne, coeur d’un système en danger ?

Il n’empêche que, derrière ces questions cosmétiques, il demeure un enjeu très social : le devenir des juges de ligne que ces machines remplaceraient. Bruno Rebeuh, ancien arbitre international, est très remonté contre cette perspective. "Il faut savoir que tous ces juges de ligne sont des arbitres de chaise, venus de toute la France, explique-t-il. Toute l’année ils sillonnent les tournois locaux et font vivre le tennis de club, notamment parce qu’à la fin, il y a la promesse d’une place de juge de ligne à Roland-Garros. Est-ce qu’un arbitre du fin fond de la Creuse va continuer à se déplacer les dimanches matins dans -2° pour arbitrer un match de club, s’il n’a pas la carotte de Roland-Garros ? Je n’en suis pas sûr."

"J'aurais arrêté l'arbitrage"

La France est, depuis plusieurs années, vantée pour sa formation d’arbitres. Parmi les 30 badges or (plus haute catégorie d’arbitres internationaux, généralement officiant sur les finales de Grand Chelem), 6 sont Français actuellement ; soit, de loin, la première nation mondiale. Pour Bruno Rebeuh, ce modèle serait en danger si l’arbitrage électronique venait à remplacer les juges de ligne sur les grands  tournois :"La santé de notre système repose en partie sur cette motivation qu’ont tous les arbitres du territoire à pratiquer, à accumuler de l’expérience, à progresser, pour un jour pouvoir être juge de ligne à Roland-Garros". Tous les acteurs de l’arbitrage français (arbitres, dirigeants de commissions) que nous avons tenté de contacter ont refusé de s’exprimer sur cette question précise. En revanche, la Fédération française de tennis a précisé quelle "n’est pas favorable au remplacement des arbitres par les machines."

Au-delà des juges de ligne, c’est le rôle même de l’arbitre de chaise qui pourrait être totalement redéfini si cette technologie venait à être généralisée. A l’US Open, sur les 15 courts où le Hawk-Eye Live était installé, les arbitres de chaise avaient interdiction d’avoir le dernier mot par rapport à la décision de la machine. Leurs missions : contrôler le comportement des joueurs, la vitesse du jeu entre les services, et le score. Bruno Rebeuh, qui fut arbitre lors de plusieurs finales de Grands Chelems pendant les années 90, a tenté de s’imaginer exercer son ancien métier dans ces conditions : “ Ce n'est plus de l'arbitrage. J'avais pour habitude de dire que l'arbitre était un chef d'orchestre : il devait être lui-même précis, mais aussi faire preuve de psychologie avec ses musiciens. C’est simple : j’aurais arrêté l’arbitrage tout de suite. ”

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