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Voile : la Coupe de l'America, plus vite, plus haut, plus cher

22 mètres de long, 40 mètres de haut, une vitesse de pointe dépassant les 80 km/h... Au large de San Francisco, ce n'est plus de la voile, c'est de la F1.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le bateau néo-zélandais participant à la Coupe de l'America, lors de la deuxième régate contre le voilier américain, le 7 septembre 2013 à San Francisco (Californie).  (JAMIE SQUIRE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

La Coupe de l'America a soufflé ses 160 bougies, mais n'a plus grand chose de commun avec l'image d'Epinal : des gentlemen-yachtmen, capitaines d'industrie de la côte Est des Etats-Unis qui dirigent leur monocoque en bois, en costume-cravate, l'indispensable casquette blanche vissée sur le crâne. L'édition 2013 de l'épreuve de régates entre les deux meilleurs voiliers du monde, qui se dispute depuis le 7 septembre dans la baie de San Francisco (Californie), constitue même une révolution : y naviguent des multicoques, qui filent trois fois plus vite que leurs augustes devanciers, les Class America. On hésite même à parler de bateaux, car ils volent désormais.

Plus vite

La limite de vitesse sur le Golden Gate Bridge, le célèbre pont de San Francisco, est de 45 miles par heure (85 km/h). Sur l'eau, en revanche, c'est plus ! Les deux bateaux participant à l'épreuve, Team New Zealand et Oracle (l'américain) parviennent à dépasser cette vitesse. Voilà qui change des régates réservées aux initiés. Elles se disputaient sur un train de sénateur (25 km/h), avec des stratèges qui se battaient à coups de micro-réglages. En remportant la compétition en 2010, Oracle et son milliardaire de propriétaire, Larry Ellison (troisième homme le plus riche des Etats-Unis d'après Forbes), ont eu le droit de changer les règles du jeu.

Pour l'homme d'affaires, le salut de la Coupe de l'America, qui perd de l'audience, passe par plus de vitesse et plus de spectacle. "On veut intéresser la génération Facebook, pas la génération Pierrafeu", résume crûment le chef du défi américain, Russell Coutts, au magazine Wired (en anglais)

D'où un cahier des charges très ambitieux : les bateaux, tout en fibre de carbone ultralégère, valent au minimum 10 millions d'euros. Pour faire baisser les coûts, on limite l'équipage à 11 membres, "quand 16 seraient à peine suffisants", fait remarquer un le patron du défi néo-zélandais dans le magazine Breeze (en anglais). "Quand je vois ce que ces bateaux sont capables de faire, à 80 km/h, ça fait frémir, renchérit le marin britannique Keith Mills, interrogé dans le Telegraph (en anglais). A cette vitesse, le contrôle est minimal. II suffit d'une grosse vague, et c'est fini." Comme ce qui est arrivé à Oracle, qui a chaviré en octobre 2012, lors d'une compétition préparatoire.  

Plus haut

Principale particularité des voiliers en compétition : ils volent. En ligne droite, la coque peut sortir de l'eau et surfer sur des petites ailes rétractables, de la taille d'une planche de surf. Moins de résistance de l'eau = un gain de vitesse de 10 à 15%. Parfois, comme pour Team New Zealand, le 20 août dernier lors de la Coupe Louis Vuitton, la chute est brutale. Deux marins sont passés par dessus bord lors du choc (image ci-dessous)

Sur cette autre image animée, on voit bien à quel point le bateau sort presque entièrement de l'eau.  

Conséquence : ce sport est devenu beaucoup plus dangereux. Chaque marin porte un casque et des protections corporelles. D'après le préparateur physique d'Oracle, interrogé dans le New York Times (en anglais), une régate d'une trentaine de minutes équivaut, en terme d'intensité cardiaque, à une mi-temps d'un match de rugby. Oubliez aussi toute velléité de troisième mi-temps. "Après une course nautique classique, la première chose que l'équipage faisait une fois à terre était de partager une bière fraîche, explique le skipper d'Oracle, James Spithill, au NYT. Désormais, on ingurgite nos compléments alimentaires et notre boisson énergisante, avant de prendre un bain glacé, comme en foot américain."

Plus cher

Des quatre bateaux en compétition à l'origine, seul un n'est pas financé par un milliardaire : Team New Zealand, carrément subventionné par le gouvernement kiwi. Quatre participants au total, pour la Coupe Louis Vuitton (les éliminatoires entre les challengers) et la Coupe de l'America (le tenant du titre contre le meilleur des challengers), c'est du jamais-vu. D'habitude, on compte entre 7 et 13 challengers, mais le ticket d'entrée - autour de 80 millions d'euros tout compris pour avoir une chance de bien figurer - en a refroidi plus d'un. Un porte-parole de Louis Vuitton, interrogé par Mercury News, a même ironisé : "Larry [Ellison] aurait pu demander à un ou deux amis milliardaires [d'engager un bateau]"

Qui dit peu de bateaux, dit une coupe plus courte, et donc moins de public. Pourtant, pour la première fois, la compétition a été pensée pour le spectateur, et même le non-initié. Les régates sont visibles depuis la côte, et les spectateurs sur des gradins peuvent regarder des écrans géants. Reste que les 7 millions de spectateurs prévus au moment de monter le dossier ont fondu à 2, et que la ville de San Francisco a peur de se retrouver avec l'ardoise sur les bras. Des contribuables mécontents ont lancé une pétition pour demander à Ellison de mettre la main au portefeuille pour rembourser les dettes. 

Cette "course aux armements" effraie beaucoup de passionnés, qui estiment que la nature même de leur sport est en danger. Pourtant, dès 1903, le bateau Reliance, qui allait remporter l'épreuve, avait allègrement joué avec les règles : des voiles immenses, et une coque évasée pour respecter le cahier des charges sur la longueur maximale du bateau, calculée à partir de la ligne de flottaison. Ce que résumait ainsi l'armateur Cornelius Vanderbilt : "Qualifiez ce bateau de monstre, ou de tout ce que vous voulez, mais nous ne pouvons pas nous désavantager, même si le bateau est juste bon à mettre à la casse le jour suivant la course."

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