Vendée Globe : marin cherche bateau, désespérément
La prochaine édition du tour du monde à la voile ne démarre que dans un an et demi, mais, pour les marins, tout se joue maintenant. Et pas sur l'eau, mais dans les bureaux.
Certains ont écrit leur petit speech sur un bout de papier. "J'ai un peu le trac", reconnaît à la tribune Armel Tripon, antisèche à la main. D'autres l'ont tellement rodé devant les entrepreneurs qu'ils le récitent, mécaniquement. Tous sont plus à l'aise à la barre qu'au micro. "Vendre un projet, je n'aime pas ce mot", lâche Alessandro Di Benedetto, déjà concurrent lors du dernier Vendée Globe.
Pour ceux qui veulent participer à l'édition 2016, le temps presse. Si une dizaine de skippers sont déjà assurés d'avoir bateaux et sponsors pour prendre le départ de la mythique course autour du monde, d'autres se battent encore pour participer. Le temps presse : bientôt, il sera trop tard pour espérer avoir le temps de réunir les fonds nécessaires, préparer le bateau et, accessoirement, naviguer un peu avant le grand saut. Pour mettre en relation sponsors et skippers, l'organisation de la course a monté un "Speed dating du Vendée Globe", mercredi 1er avril dans le cadre prestigieux du musée de la Marine à Paris.
Cinq minutes pour convaincre
Speed dating, le mot est un peu galvaudé. Pas de présentation en sept minutes en face-à-face entre marin et chef d'entreprise, mais un défilé de 12 skippers qui ont cinq minutes pour se vendre dans un auditorium. "En cinq minutes, on ne peut pas dire grand-chose", grommelle Arnaud Boissières, à l'issue de l'exercice. "Quand on est face à un chef d'entreprise dans son bureau, on sait qu'on n'a pas la journée", tempère Corentin Douguet, qui a réfléchi à son texte dans le TGV Nantes-Paris. Chaque décideur présent est appelé à noter chaque marin, sur une dizaine de critères, avec des notes allant de A à D. Au verso de la fiche bristol, il y a un formulaire avec la case à cocher "souhaite être recontacté" et "pour quel projet".
Les mots magiques "raconter une belle histoire" ou "valeurs de l'entreprise" sont prononcés plus d'une centaine de fois en une heure. La difficulté n'est pas de convaincre une société d'investir dans le Vendée Globe, mais de l'attirer sur son projet. "Il faut qu'il y ait un bon feeling entre vous et moi", tente Nicolas Boidevézi, aspirant au Vendée Globe. Mais impossible de regarder ses prétendants les yeux dans les yeux, ils sont dans la pénombre, et lui, aveuglé par les projecteurs.
Paris et Marseille à l'assaut du Vendée Globe
L'événement prend des allures de concours Miss France, avec chaque candidat tentant d'apporter sa touche personnelle. Jouer sur l'aspect régional dans un sport où le Finistérien est roi (un marin sur deux lors de l'édition 2012), c'est un des paris tentés par plusieurs skippers. Fabrice Amedeo, "le Parisien de service", qui, "pour une fois, joue à domicile". Ou encore Christopher Pratt, qui a axé sa présentation sur Marseille et les Bouches-du-Rhône. Un rien suicidaire devant un public de décideurs parisiens ?
"Ma cible, ce sont plutôt les chambres de commerce du Sud, reconnaît-il après coup. L'idée, ce serait que le bateau ait le nom d'une entreprise de la région, comme l'Occitane en Provence par exemple. Ville de Marseille, ce n'est pas possible, les collectivités territoriales me soutiennent, mais ne peuvent pas donner leur nom au bateau. Dans la conjoncture actuelle, c'est inenvisageable." La baisse des dotations aux collectivités locales est passée par là : il n'y a pas si longtemps, "Ville de Dunkerque", "Saint Malo 2015" ou "Défi Cancale" brillaient sur la Route du Rhum 2010.
La voix qui tremble
Armel Tripon, voix qui tremble au moment de prendre la parole, joue bien malgré lui sur la corde sensible. Le skipper nantais a des circonstances atténuantes. Il pensait avoir sécurisé bateau et sponsor pour disputer le Vendée Globe. Après un différend majeur avec une partie des actionnaires de son projet, il a perdu les deux à moins de deux ans du départ. "Je n'ai pas encore digéré", explique après coup celui qui avait réussi à se familiariser avec son ancien bateau en un temps record, pour finir 4e de la dernière Route du Rhum.
"Ça a commencé à clasher très tôt avec le sponsor. Mais vue de l'extérieur, l'histoire était belle. Tout a explosé après la Route du Rhum." Au moment où il a découvert que son sponsor voulait lui adjoindre un handicapé moteur, sans jambes ni mains, pour la transat Jacques-Vabre. Lors de la sortie test, il se rend compte qu'il faut trois personnes pour le maintenir sur le pont. Sur une mer d'huile. Quelle sera l'issue face à des creux de 5 mètres ? Armel Tripon préfère renoncer. Un bateau pour le Vendée Globe n'est pas à ce prix.
"Je pensais que ce serait plus facile"
D'autres skippers sont là pour la forme. Kito de Pavant, tout sourire, passe en dernier et annonce qu'il a trouvé un bateau et 80% des fonds nécessaires. Pas mal pour un marin dont les tentatives dans cette compétition n'ont jamais dépassé 96 heures. "Je vais essayer de battre mon record", explique-t-il en souriant. Le skipper méditerranéen est une exception : la pénurie règne sur le marché des Imoca-60, les monocoques obligatoires sur le Vendée Globe. Certains skippers ont une bonne partie de leur budget, mais pas de bateau, d'autres, le bateau, mais "zéro euro".
Kito de Pavant annoncera prochainement qu'il sera présent au départ du prochain Vendee Globe #VG2016 pic.twitter.com/1MyBdwMv7d
— Vendée Globe (@VendeeGlobe) April 1, 2015
La chasse aux monocoques capables de bien figurer sur la course - ceux des éditions 2012 et 2008 - fait rage. Le vieux coucou barré par François Cluzet dans le film En Solitaire a même trouvé preneur à prix d'ami : 300 000 euros, note Le Figaro. Les tarifs des derniers bateaux sur le marché sont cinq fois plus élevés. Au total, d'après le site officiel du Vendée Globe, une participation à la reine des courses au large coûte deux millions d'euros par an. Ce qui refroidit les grosses PME, le cœur de cible des skippers. Certains marins laissent transparaître leur lassitude.
"Je pensais que ce serait un peu plus facile [de trouver les sponsors] avec des événements comme la Route du Rhum et le Salon nautique, explique Gildas Morvan, vieux routier du circuit. J'ai quelques contacts, rien de bien concret." Corentin Douguet commence, lui, à remiser ses ambitions pour 2020 : "Le travail qu'on a commencé là finira par payer". Pour lui, la planche de salut, c'est la Solitaire du Figaro. "Si tout se passe comme prévu, je la gagne. Et je me donne quelques semaines de plus pour trouver un sponsor."
"Pas très excitant de passer mon temps dans les bureaux"
La soirée se termine par un cocktail. Les costards-cravates restent, les cirés filent. Jean Le Cam, qui revient tout juste du tour du monde en duo, la Barcelona World Race, s'éclipse rapidement, suivi par les autres aspirants. Une demi-heure après la fin des présentations, il n'y a plus un skipper autour des petits fours. Arnaud Boissières, qui a 60% de son budget et un bateau, se justifie par son agenda chargé : "J'avais un rendez-vous ce midi, le speed dating ce soir, demain, je prends le train tôt, car je suis attendu à 11h30 à Arcachon, et, vendredi, j'ai un rendez-vous chez un entrepreneur en Vendée." Naviguer ? Pas le temps ! Il faut boucler le budget. "Je passe mon temps dans les bureaux. Ce n'est pas très excitant." C'est le prix à payer pour s'aligner aux Sables-d'Olonne, le 6 novembre 2016.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.