Cet article date de plus de sept ans.

Que deviennent les bateaux fantômes du Vendée Globe ?

Certains navigateurs, comme Kito de Pavant, sont contraints d'abandonner leur navire au milieu des océans déchaînés. Mais que se passe-t-il ensuite ?

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
L'épave du bateau de Tony Bullimore, retrouvée à 2 600 km au large des côtes australiennes, le 7 janvier 1997. Le skipper britannique a survécu cinq jours à l'intérieur de son bateau retourné, qui sera abandonné dans l'océan Indien. (AFP)

"Manu Manuréva, où es-tu Manu Manurévaaaaaaa ? Bateau fantôme, toi qui rêvas des îles et qui jamais n'arrivas là-bas !" La chanson d'Alain Chamfort sur la disparition du bateau d'Alain Colas, lors de l'édition 1978 de la Route du Rhum, vous restera dans le crâne toute la journée à la lecture de cet article. Pourtant, le fait qu'on n'ait jamais retrouvé aucun débris de l'embarcation du navigateur laisse planer les théories les plus folles. Le père du célèbre marin a même affirmé que son fils avait disparu, amnésique, sur une île du Pacifique. Mais en général, les bateaux abandonnés par les marins en mer, comme celui de Kito de Pavant sur le Vendée Globe, mercredi 7 décembre, finissent par ressurgir d'une façon ou d'une autre.

Sauver un bateau, une histoire de gros sous

Dans la plupart des cas, on s'arrange pour récupérer le bateau. Tout est dans le "on". L'organisateur de la course n'a aucune responsabilité en cas de casse. L'opération sauvetage se joue généralement entre le propriétaire du navire (le skipper ou son sponsor) et l'assureur (qui n'est pas obligatoire pour une course comme le Vendée Globe).

Vu les risques encourus, la prime d'assurance est considérable, et mord une grosse partie du budget des skippers. Dans Le Parisien, avant le départ, Kito de Pavant expliquait payer "6,5 % de la valeur du bateau avec une franchise de 70 000 euros". Le contrat est souvent passé avec une compagnie étrangère, les rares qui acceptent de prendre le risque. Ce qui ne veut pas dire qu'on va nécessairement aller sauver le bateau : ça dépend si le coût du sauvetage excède le prix du navire.

Les "chasseurs de primes" sont de sortie

Le monocoque Macif avec lequel François Gabart a gagné le Vendée Globe 2012 s'est ainsi retrouvé sans pilote au large des côtes espagnoles. En juin dernier, le skipper du bateau rebaptisé SMA, Paul Meilhat, avait dû quitter le navire, blessé, à la fin de la transat Saint-Barth'-Port-la-Forêt. Le bateau a ainsi dérivé plus de 1 000 km pour finir sa course au large de l'Irlande. Le propriétaire du navire, l'écurie Mer Agitée, codirigée par Michel Desjoyaux, a suivi à la trace les signaux GPS – de moins en moins précis au fur et à mesure que la batterie se vide – du bateau. Avant de décider d'un sauvetage.

Le monocoque "SMA" de Paul Meilhat, au départ du Vendée Globe, le 6 novembre 2016. (JEAN MARIE LIOT / DPPI / AFP)

Selon les règles de marine, rappelées par le site Ship Business (en anglais), il y a quatre façons d'organiser un sauvetage : affréter un remorqueur, sans obligation de résultat ; envoyer un bateau à la rescousse en le payant au résultat – le "no cure, no pay", dans le jargon ; laisser le soin à l'assureur Lloyd's de fixer la récompense ; mettre un contrat alléchant pour le sauvetage du navire, un peu en mode "chasseur de primes".

Des bateaux qui peuvent être recyclés

Dans le cas de SMA, un remorqueur et un monocoque, affrétés par l'assureur et le propriétaire, se lancent à la poursuite du bateau ivre. C'est finalement le second, piloté par Adrien Hardy, spécialiste de ce genre d'opérations, qui mettra le premier le pied sur le navire, estimé à 2,5 millions d'euros. Après deux jours passés à écoper, dans un navire qui s'enfonce dangereusement, l'équipage parvient à le remorquer jusqu'à des eaux plus tranquilles que l'Atlantique-Nord en janvier.

L'opération est souvent rentable. Prenez le navire de Nigel Burgess, retrouvé mort à bord peu après le départ du Vendée Globe, en 1993. Une compagnie de remorquage prend en charge le navire. Et le skipper Thierry Dubois, soutenu par des banques et Amnesty International rachète illico le bateau... pour être prêt pour la Route du Rhum de l'année suivante. Ce genre de navire se monnaye quelques centaines de milliers d'euros pour un vieux coucou usé par plusieurs tours du monde et à plusieurs millions pour un bateau flambant neuf. 

La laborieuse recherche du monocoque de Gerry Roufs

Récupérer un navire au large des côtes irlandaises ou charentaises, c'est faisable. Aller le récupérer dans les quarantièmes rugissants ou en plein Antarctique, beaucoup moins. C'est ce qui s'est produit avec le bateau LG2 du navigateur canadien Gerry Roufs, le dernier mort du Vendée Globe, en janvier 1997. Les autres skippers qui s'étaient déroutés pour porter secours au Canadien ont dû renoncer devant les conditions climatiques épouvantables. Le dernier message de Roufs parlait de "vagues hautes comme les Alpes"Les premières recherches menées par la marine chilienne n'étant pas très concluantes, sa compagne Michèle Cartier remue ciel et terre pour obtenir de l'aide. Les satellites canadiens et américains sont mis à contribution. En vain. Un cargo aperçoit brièvement le bateau, avant de le perdre.

Le skipper canadien Gerry Roufs à la barre de "Groupe LG2", le 14 juin 1996 au large de Plymouth (Royaume-Uni). (MARCEL MOCHET / AFP)

Quand, enfin, la marine chilienne envoie une mauvaise photo de ce qui semble être la coque mauve de LG2, elle est à court de budget. "Je me suis rapidement rendu compte que je payais tous les frais, et que ce n'est peut-être pas à moi de tout financer seule", explique Michèle Cartier à L'Humanité, après la création de son association Sur la route de Gerry Roufs. Ce n'est que plus d'un après que la marine chilienne retrouvera des débris de l'épave et une coque, coupée en deux. Après coup, le règlement du Vendée Globe fut modifié pour obliger les navires à arborer une quille orange fluo pour mieux les repérer en cas de chavirage.

Retrouvé à des dizaines de milliers de kilomètres

Au moins a-t-on une idée de l'endroit où se trouve l'épave du bateau de Roufs. Le bateau Hugo Boss d'Alex Thomson utilisé pour la Velux Ocean de 2006 a ainsi été retrouvé par des kayakistes argentins dix ans plus tard... à 20 000 km du lieu du naufrage, avec des débris éparpillés sur des centaines de mètres. Mais le nom du sponsor était toujours bien visible.

Quelques semaines plus tôt, l'épave du 50 pieds Région Aquitaine avait été retrouvée par un navire polonais au beau milieu de l'Atlantique, cinq ans après son naufrage. Et alors qu'on avait retrouvé un de ses flotteurs aux Etats-Unis. Commentaire du navigateur Lalou Roucayrol sur le site Course au Large : "Il a l’air à peu près intact. Récupérable, peut-être ? Pour un gros bricoleur… En tous les cas, j’ai tous les plans."

Des épaves de bateaux de course qui dérivent, il y en a un certain nombre sur les océans. Ce que dénonçait l'association Robin des Bois avant le Vendée Globe 2012, soulignant le décalage entre les skippers férus d'écologie, et des bateaux bourrés de carbone livrés aux quatre vents. Lalou Roucayrol, encore lui, se souvient avoir attendu six mois que son Banque populaire 1 se rapproche doucement de Madère pour aller le récupérer en mer : "Un cargo l’avait défoncé. Il n’y avait plus grand chose à récupérer." 

Saborder le navire, pas si facile

Autre option, saborder le navire. Contrairement à ce que font régulièrement les pirates dans Astérix, c'est plus facile à dire qu'à faire. L'équipage du multicoque Britanny Ferries a ainsi demandé au capitaine du cargo frigorifique suédois venu à la rescousse dans le triangle des Bermudes de couler le navire, en octobre 1983, en pleine transat en double. Non sans mal. "Ils ont dû s'y reprendre à trois reprises, raconte Charles Chiodi, patron d'une revue nautique américaine, au magazine Voiles et Voiliers. Quelle pitié d'envoyer un si beau bateau par le fond." 

Cela partait pourtant d'une bonne intention : ne pas laisser de débris flotter à la surface, risquant de heurter un autre bateau. Le navigateur britannique Richard Tolkien y croyait, en coulant en juin dernier son Imoca 60 avec quatre Vendée Globe au compteur.  "Nous avons donc décidé de le couler pour qu’il ne devienne pas un danger à la navigation", expliquait-il sur le site de Voiles et Voiliers. Mais les pièces de ces navires sont conçues pour flotter... Quelques heures plus tard, Paul Meilhat a failli s'empaler sur l'épave qui affleurait encore.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.