Nouilles chinoises, gloire tardive et vieux coucous : vis ma vie de dernier du Vendée Globe
Dans cette course très particulière, la lanterne rouge récolte (presque) autant de lauriers que le vainqueur.
Le Cléac'h-Thomson. Thomson-Le Cléac'h. Le duel fait les gros titres, à l'approche du sprint final du Vendée Globe. Loin, très loin derrière (7 800 milles nautiques, soit 14 000 km), un autre duel se joue dans un mouchoir de poche entre Sébastien Destremau et le Néerlandais Pieter Heerema pour éviter de terminer lanterne rouge. L'occasion de se pencher sur le quotidien des sans-grade du fond du classement du tour du monde en solitaire.
Reçu à l'Elysée et héros d'un film
Lors des toutes premières éditions de la course, un certain flou demeurait sur la hiérarchie des bateaux. Au moment de s'élancer pour le tout premier Vendée Globe, Philippe Poupon, qui figure pourtant parmi les favoris de la course, refuse de disqualifier Jean-François Coste et son bateau Cacharel : "Je me dis qu'il a autant de chances que moi de gagner", lâche-t-il dans L'Express.
Coste, ancien médecin passionné de voile, ne se berce lui d'aucune illusion. Quand il rencontre le patron du parfumeur pour financer la remise en état de son bateau, l'antique Pen Duick III, sacré bateau de l'année en...1967, il ne cherche pas à mentir à son mécène. La scène est décrite dans Le Roman du Vendée Globe (éd. Grasset). "Quelles sont les chances de gagner ?" s'enquiert Jean Bousquet, PDG de Cacharel. "Aucune", lui répond "Costo". Bousquet sourit et sort son carnet de chèques.
Quand Titouan Lamazou franchit la ligne d'arrivée, au large des Sables d'Olonne, le 15 mars 1990 après 109 jours de course, Jean-François Coste passe seulement le cap Horn, à plus de 10 000 km de là. N'empêche : des dizaines de milliers de personnes l'attendent dans le port vendéen lors de son arrivée. Parfois plus que pour les six autres skippers qui l'ont précédé. L'ensemble des participants, qu'ils aient terminé ou non, seront même reçus par François Mitterrand à l'Elysée.
Le ton est donné : le Vendée Globe, c'est avant tout une aventure humaine, pas une simple compétition sportive. La performance y est presque reléguée au second plan. Jean-François Coste théorise : "Pour moi, il y a trois sortes d’hommes qui font le Vendée Globe : ceux qui viennent pour gagner, ceux qui viennent pour un rite initiatique et ceux qui viennent combler leur vie." C'est Coste, qui appartient à la troisième catégorie, et pas Lamazou, pourtant personnage haut en couleurs, qui inspirera le film Veloma, avec Julie Depardieu, sorti en 2002.
Des bateaux de 20 ans d'âge ou presque
Plus le peloton s'étoffe, plus les derniers de la classe naviguent sur des bateaux dépassés et vaguement recyclés après plusieurs tours du monde au compteur. Bon marché pour les petits budgets, les rêveurs, les bizuts, parfois les trois à la fois. Dès la deuxième édition, un gouffre sépare Alain Gautier, son bateau de 10 tonnes en fibre de verre et ses 12 millions de francs de budget à Jean-Yves Hasselin, dont la coque en alu pèse 3 tonnes de plus et son budget bouclé à la dernière minute quatre fois moins. Son seul luxe : des parois de merisier à l'intérieur de la cabine, note L'Humanité.
Le patron de l'entreprise PRB, qui volera au secours du skipper nantais, se rappelle précisément de la durée du tour du monde de son poulain, pour une raison très simple : "Au moment de couper la ligne, Jean-Yves se rend compte qu'il a oublié sa veste de quart, raconte Jean-Jacques Laurent, dans Libération. Je lui file la mienne. Il y avait dedans mes clefs de voiture, ma carte bleue et mon chéquier. J'ai tout récupéré... 153 jours plus tard."
153 jours particulièrement longs pour Jean-Yves Hasselin, dont le bateau "est ballotté comme un bouchon" dans le Pacifique. Les derniers jours, la nourriture vient à manquer. A dix jours de l'arrivée, il lâche : "J'espère avoir une bonne pluie bientôt, il me reste 12 litres d'eau..." Contrairement à une idée reçue, les marins promis à la victoire finale embarquent à peu près autant de nourriture que ceux attendus au fond du classement. Comptez 100 à 140 kg de nourriture pour un périple qui peut aller de 70 à 130 jours. L'occasion d'assouvir ses passions de monomaniaque : le dernier de l'édition 2008, l'Autrichien Norbert Sedlacek, avait embarqué 40 kg de nouilles chinoises, intégralement dévorées à l'arrivée 126 jours plus tard. On ignore s'il s'est lassé.
Algues, petits poissons et moules sous la coque
Appelez ça la jurisprudence Yves Parlier : en 2000, le navigateur démâte au large de la Nouvelle-Zélande, perd deux semaines à réparer son mât. Le McGyver du Vendée Globe y parvient en fabriquant un four avec des ampoules de 25 watts et des couvertures de survie. Mais Parlier, qui avait embarqué le strict minimum en matière de nourriture, doit improviser un régime à base d'algues et de poisson. Son odyssée vers les Sables d'Olonne achevée à la 13e place est suivie avec bien plus de passion que la victoire de Michel Desjoyaux.
Dans cette course, les derniers sont souvent les premiers. L'improbable épopée de Karen Leibovici, une trentenaire obligée d'emprunter une fortune pour financer son rêve et de retaper un vieux coucou avec "30 centimètres de moules sous la coque", qui se fracture le sternum quelques semaines avant le départ et qui finit au courage, c'est la belle histoire du Vendée Globe 2004. Ce qui vaudra à l'intéressée une invitation dans l'émission de Michel Drucker "Champs-Elysées" par l'acteur Christian Clavier, qui ne la connaissait que de nom, raconte La Croix.
La recrudescence de concurrents qui ne sont pas là pour gagner commence à agacer certains skippers expérimentés, comme Vincent Riou, qui s'en est ému après son abandon : "Aujourd’hui la flotte est beaucoup trop disparate, dénonce-t-il dans Voiles et Voiliers. Se qualifier pour le Vendée Globe aujourd’hui est super facile !" Le règlement oblige tout participant à avoir effectué une transat en solo ou en double, plus un parcours de qualification libre de 1 500 milles. Peu importe le temps, et peu importe le bateau – "Il y a un moment où il faut sortir les plus vieux du circuit", peste Riou.
Nos deux candidats à la lanterne rouge de l'édition 2017 correspondent à ces critères : Pieter Heerema n'avait que 21 jours de navigation en solo avant de se lancer dans une aventure qui dure au minimum quatre fois plus de temps. Quant à Sébastien Destrumau, son Technofirst-Faceocean affiche 18 ans d'âge et deux Vendée Globe au compteur. Ce qui ne le travaille pas plus que ça, à lire cette interview à Sport24 : "Vous croyez que le public adore le Vendée Globe uniquement à cause de la vitesse des premiers et un classement ? Le public veut rêver, voir des hommes normaux faire des trucs complètement inutiles et surhumains." Dans ce domaine, il est servi tous les quatre ans.
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