Christine Monlouis, "mer" courage
1990. Florence Arthaud est la première femme a remporté la Route du Rhum. 20 ans plus tard, lhistoire de la voile retiendra peut-être le nom de Christine Monlouis, première guadeloupéenne à sélancer de Saint-Malo pour rejoindre Pointe-à-Pitre. Si elle avait du se fier à son premier contact avec les flots, la native de la région parisienne naurait sans doute participé à la Route du Rhum. Elle na que 8 ans lorsquelle pose les pieds sur le pont dun bateau pour la première fois. La Bretagne, la classe de mer, le climat, tout cela, la Guadeloupéenne ne la pas oublié. « Il faisait très, très froid. Je nai vraiment pas aimé, cétait difficile », sourit-elle aujourdhui. Quarante ans après, la voilà, à quelques jours du départ à répondre aux multiples sollicitations des médias et à fignoler son bateau, « un monde bleu tout en vert ». A peine gênée dêtre au centre des attentions, elle attend fébrilement le 31 octobre. « Jai hâte dêtre sur la ligne de départ. Je me prépare depuis un an et demi pour ça », déclare-t-elle. Au départ, cela commence comme un défi lancé à tue-tête à une classe de gosses, autant pour les faire rire que pour les impressionner. « Il y a quatre ans, je travaillais sur la Route du Rhum avec des collégiens. On a passé une journée sur le bateau de Bruno Reibel, skipper en pleine préparation à lépoque. A la fin de la journée, jai dit aux enfants +vous verrez dans quatre ans, jy participerai+. Et il y a un an et demi, Georges Santtalikan, le président du comité guadeloupéen de la voile traditionnelle, ma proposé de me lancer. Ce fut une vraie surprise car cette éventualité ne mavait jamais traversé lesprit », se remémore-t-elle. Son accord était obtenu quelques jours après, une fois quelle fut sûre que Luc Coquelin, autre Guadeloupéen à concourir à la Route du Rhum cette année, pourrait laider. Décidée, mais pas insouciante Christine qui nest pas du genre à se démonter face à ladversité.
« Je ne suis pas Fangio »
Si elle a découvert la voile à 8 ans, elle a du attendre ses 35 ans pour voir la Guadeloupe. Pourtant avec une mère née à La Désirade et un père de Mornalo, lîle a « accompagné » Christine. « Jai découvert la Guadeloupe tout au long de ma vie, quand jy ai posé les pieds pour la première fois, jétais chez moi », assure-t-elle. Une filiation avec la terre de ses parents qui expliquera en partie son retour sur lîle en 2004. Lautre raison étant le ras-le-bol de la région parisienne. Car avant la traversée de lAtlantique il y a six ans, elle a vadrouillé en France : le Gard, lAube, « à chaque fois dans des petits villages » précise-t-elle. Puis la mutation tant attendue, un nouveau travail (contrôleur des affaires maritimes) et une nouvelle vie. Quelques soucis aussi. « Quand on est métropolitain et quon arrive en Guadeloupe, cest aussi compliqué que lorsquun Guadeloupéen arrive dans lHexagone », admet-elle, avouant avoir subi quelques insultes. Mais la présence familiale et son caractère ont eu raison de ce racisme, « cela me passe au-dessus, je continue davancer », assure-t-elle. Sa bonne humeur a souvent raison des obstacles, sa motivation également. Cest même leffet inverse qui se produit, les complications, les embuches la font avancer. Sa participation au Rhum le prouve, « mais je ne suis pas Fangio, je ne vais pas relever le défi si je pense que cest impossible », tempère-t-elle. Ces détracteurs qui ont vu dun mauvais il quelle saligne sur la transat ont trouvé à qui parler. « Jai bien envie de les faire taire, quand on a vécu le racisme, on fait fi de tout ça (sic), ça devient un moteur, il faut arrêter de subir ». Un cri du cur pour celle qui entend prouver que ladage « quand on veut, on peut » nest pas usurpé.
Une responsabilité
Avant de sélancer le 31 octobre à lassaut de lAtlantique, de ces conditions de mer quelle appréhende car encore inconnues, il a fallu réunir toutes les forces en présence pour que son projet voit le jour. Son « doudou », son compagnon Fabrice Lemesnager en chef de projet, son beau frère, Victor Lemesnager chargé de la préparation physique, la société Feedback pour la communication, Luc Coquelin pour la navigation, tous ont mis la main à la pâte. Soucieuse de noublier personne, Christine énumère consciencieusement. Reconnaissante ? Oui et pas quun peu
« Me retrouver là au milieu des Desjoyeaux, Joyon, Lemonchoix, tous ces grands skippers, cest une grande chance, certains ne la feront jamais », mesure-t-elle. Une chance donc, mais un symbole aussi puisque Christine Monlouis est la première femme noire à participer à une course au large. Lagitation autour de son cas, tout cela ne la perturbe pas. « Cela ne me gêne pas, ni ne meffraie, être un symbole ne me dérange pas », précise-t-elle, bien consciente quune « page de lhistoire de la Guadeloupe et de celle de la voile se tournent ». Plus quune féminisation dune discipline principalement masculine (seulement 3 femmes parmi les 85 participants au Rhum cette année), elle espère montrer aux jeunes « quentreprendre demande des efforts et de la volonté, mais que tout est possible ». Un discours volontariste doublé dune prise de conscience écologique signifiée par le nom de son monocoque « un monde bleu tout en vert ». A lapproche du jour J, la navigatrice sait quelle est très attendue à Pointe-à-Pitre, une motivation supplémentaire pour ne pas abandonner. « Dans mes moments de doute ou plus compliqués, je penserai à tous les gens qui mont aidé, cest pour eux que je devrai continuer », conclut-elle dans un nouvel élan dabnégation.
Benoît Jourdain
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