Une place de choix dans les programmes scolaires mais une pratique souvent méprisée : pourquoi le sport est le mal-aimé de l'enseignement français

Article rédigé par Apolline Merle, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11 min
Des élèves participent à des exercices physiques dans une école primaire, dans le cadre de l'expérimentation des 30 minutes d'activité physiques quotidiennes à l'école, le 2 février 2021, à Paris. La mesure a été généralisée sur le territoire en 2022. (FRANCK FIFE / AFP)
Si la France est bien dotée en nombre d'heures d'activité physique et sportive à l'école, la pratique et la stratégie derrière les programmes soulignent une autre réalité.

"Le sport est un objet presque non identifié dans le domaine scolaire, avec cette idée qu'il s'agit de quelque chose de secondaire." Le sociologue du sport, Patrick Mignon, pose d'entrée le décor. A entendre instituteurs et parents d'élèves, la pratique sportive à l'école est souvent dévalorisée, et les bienfaits encore trop peu reconnus. A moins d'un an des Jeux de Paris, cette problématique interroge.

La France n'est pourtant pas la moins bien lotie en nombre d'heures d'activité physique et sportive à l'école : au moins une séance quotidienne d'activité motrice de trente à quarante-cinq minutes en école maternelle, 108h/an en école élémentaire (soit un horaire hebdomadaire moyen de trois heures par semaine), quatre heures par semaine en classe de sixième, trois de la cinquième à la troisième. A cela s'ajoute notamment, la possibilité de participer aux activités proposées par l’USEP (Union sportive de l'enseignement du premier degré) en maternelle et primaire.

La France, l'un des pays au plus grand nombre d'heures d'EPS

Avec ce compte, l'Hexagone est même plutôt bien placé vis-à-vis des autres pays européens. "La France, avec 540 heures d'EPS (le total des heures réglementaires sur cinq années d'études, du CP au CM2, pour pouvoir comparer l’ensemble des pays qui ont des systèmes différents), est l'un des quatre pays (avec le Luxembourg, la Slovénie, la Hongrie) qui consacrent plus de 500 heures à cette matière", écrit le rapport Education in Europe: key figures, publié en 2022.

Avec 540 heures d'EPS (le total des heures réglementaires sur cinq années d'études, du CP au CM2, pour pouvoir comparer l’ensemble des pays qui ont des systèmes différents), est l'un des quatre pays (avec le Luxembourg, la Slovénie, la Hongrie) qui consacre le plus d'heure à cette matière en Europe. (Capture d'écran / Ministère de l'Education nationale et de la jeunesse)

Toutefois, ce total est à nuancer pour le cas français : sur le nombre d'heures affiché, le temps réel de pratique peut être revu à la baisse. Beaucoup d'établissements scolaires n'ont pas d'infrastructures à proximité, ce qui implique un temps de trajet pris sur le temps de l'activité physique.

Une discipline moins bien considérée

Malgré un nombre d'heures conséquent de pratique sportive, "le sport à l'école, n'est absolument pas reconnu au même niveau que les autres disciplines", regrette Martine Duclos, cheffe du service de médecine du sport au CHU de Clermont-Ferrand et directrice de l'Observatoire national de l’activité physique et de la sédentarité (Onaps). Un constat qui s'observe sur le terrain. "Dans le primaire, les instituteurs ne sont pas suffisamment formés à l'activité physique. Si vous avez des gens qui ne sont absolument pas convaincus de l'efficacité et de l'intérêt, le message qui passera chez les jeunes ne sera pas le bon", remarque-t-elle.

Les programmes d'EPS au collège sont aussi pointés du doigt. "Nos programmes nous ont décalés du sport lui-même pour mettre en valeur les compétences qui sont à côté du sport, comme être capable d'être ensemble, de communiquer, d'arbitrer", déplore Benoît Hubert, secrétaire général Snep-FSU, syndicat majoritaire des professeurs d’EPS. Absente du brevet du collège, l'EPS n'est guère mieux considérée au lycée (deux heures par semaine), avec l'un des plus faibles coefficients au bac [coefficient 6 du nouveau bac]

Tony Estanguet, président du Comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques (Cojop) de 2024, participe à des exercices physiques avec des élèves lors d'une visite dans une école élémentaire à l'occasion de la 5e édition de la semaine des Jeux olympiques et paralympiques, le 2 février 2021, à Paris. (FRANCK FIFE / AFP)

Conséquence directe de ce manque de considération, les jeunes français ne sont pas assez actifs. D'après une étude de l'Observatoire national de l’activité physique et de la sédentarité (Onaps) en 2022, au sein des 25 pays les plus riches du monde, la France occupe le 22e rang en matière d’activité physique des adolescents (le 1er pays étant celui avec les adolescents les plus actifs). 

Un désamour culturel

Le volume horaire important d'heures de classe dissuade alors les jeunes de faire du sport à côté, dans un pays qui favorise déjà peu l’activité physique, au contraire de certaines nations. "Les pays du Nord notamment, qui ont moins d'heures d'activités physiques que nous à l'école, ont presque moins besoin de faire de l'EPS parce que le sport est tellement dans leur culture que la question ne se pose pas. Pour eux, c'est normal de venir à l'école à vélo, de partir à 14h de l'école et d'aller faire du sport l'après-midi, commence Irène Margaritis, professeure en physiologie du sport et adjointe de la direction de l’évaluation des risques à l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail). En France, les amplitudes horaires et l'organisation des enseignements fondamentaux sont telles qu'il n'y a absolument pas de place pour le sport." Avec des journées qui s'étirent au-delà de 17h ou 18h, les enfants sont "fatigués de leur journée" et "l'horaire du soir n'est plus propice à l'activité physique, car elle perturbe le sommeil", précise-t-elle encore.

Tirade Diagana sur le sport en France

Pourquoi le sport n'est-il pas plus ancré dans la société française ? "Tout découle d'un problème culturel", répond Stéphane Diagana, champion du monde 1997 du 400 mètres haies, et très engagé dans le sport-santé. "Nous sommes dans une culture du diplôme, où les parents voient plus l'engagement sportif comme un risque. Dans d'autres pays, on le voit comme une chance d'apprentissage et de développement, ajoute-t-il. On a des jeunes qui veulent faire de la compétition, mais qui, quand ils rentrent au lycée, arrêtent leur discipline. Ils n'ont pas de reconnaissance de cet engagement-là, n'ont pas d'aménagement. Et quand ils finissent à 18h le soir, ils ne peuvent pas s'entraîner trois fois par semaine, ce n'est pas possible", souligne Stéphane Diagana.

"En France, vous avez une opposition entre l'éducation physique et le sport. L'EPS est perçue comme quelque chose de sain, de pédagogique, de moral. Alors que le sport, avec la dimension de performance associée, est davantage interprété comme contraire à l'harmonie corporelle et physique", avance le sociologue Patrick Mignon, chargé de conférence à l'EHESS (École des hautes études en sciences sociales), et ancien chercheur à l'Insep.

Des mesures politiques prises à deux ans des JO

Après un premier quinquennat où le sport n'a pas fait partie des priorités, Emmanuel Macron a changé son fusil d'épaule. Au début de son second mandat en 2022, le président de la République a proclamé la pratique physique et sportive "grande cause nationale pour 2024". Soit deux ans avant les Jeux, pour seulement quelques mois de lumière.

Depuis, les mesures se sont enchaînées afin de faire de la France "une nation sportive", à commencer par l'école : l'expérimentation puis la généralisation des 30 minutes d'activité physique quotidienne dans les écoles en 2022 (initiative soutenue par Paris 2024), la généralisation des deux heures de sport supplémentaires au collège à cette rentrée, le lancement d'un plan visant à créer ou rénover 5 000 terrains de sport dans les écoles ou à proximité d'ici la fin de 2026, les tests d'aptitude en 6e ou encore le Pass sport. Toutefois, ces mesures restent loin du compte, regrette Benoît Hubert, secrétaire général Snep-FSU, syndicat majoritaire des professeurs d’EPS. 

"Depuis 2017, et l’attribution des JO de Paris, il y a eu une grande campagne politique du sport, pour faire de la France une nation sportive. Mais en parallèle, on a perdu 1 000 emplois en EPS, ce qui a conduit à une dégradation des conditions d'enseignement, avec des classes surchargées."

Benoît Hubert, secrétaire général Snep-FSU

à franceinfo: sport

Les deux heures supplémentaires au collège ont certes été généralisées cette année, mais restent sur la base du volontariat. Par ailleurs, le mercredi, journée traditionnellement propice au sport scolaire (UNSS), a également perdu de sa vigueur. "Le mercredi est devenu un jour de soutien, et certains chefs d'établissement refusent ainsi la sortie UNSS aux élèves", remarque Benoît Hubert.

Des tests d'aptitudes physiques en 6e

Mais la grande nouveauté 2023 est bien la création de tests d’aptitudes physiques en 6e. "Nous avons demandé des tests, validés scientifiquement, de condition physique tous les ans à partir du primaire pour observer la condition physique des enfants en France, dépister ceux qui en ont vraiment une mauvaise ou ceux à risque", explique Martine Duclos, qui appartient la Commission du docteur Delandre, mandatée par le gouvernement pour accélérer le déploiement du sport-santé en France d’ici les Jeux de 2024. 

L'objectif de ces tests est ensuite de proposer aux enfants ayant des valeurs basses, des activités de rattrapage ou de pratique adaptée, pour retrouver une condition physique dans les normes. "En Slovénie, depuis une trentaine d'années, des tests sont réalisés tous les ans dès le primaire, et il s'agit de la nation qui a les meilleures capacités physiques chez les jeunes. Les niveaux de capacités physiques ont vraiment augmenté du fait de cette politique de dépistage systématique", observe la directrice de l'Onaps.

"Cela nous donnera une image réelle de l'état physique des jeunes, que l'on connaît déjà, mais c'est l'après qui nous questionne. Qu'est-ce que l'on fait de ces données ? Va-t-on enfin nous donner les heures qu'on réclame pour travailler en profondeur sur le retour de ces tests ?", s'interroge Benoît Hubert du Snep-FSU. "C'est un bon début, salue Stéphane Diagana, consultant pour France Télévisions, et qui avait déjà évoqué l'idée lors des Mondiaux d'athlétisme en août dernier. Deux tests au minimum au collège et pareil au lycée pour avoir un suivi de l'efficacité des mesures, seraient bien."

L'école, un devoir d'apprentissage, sport compris

Bien que l'école ait pour mission d'apprendre à chaque individu les savoirs fondamentaux, comme lire, écrire, compter, le dernier, bouger, est souvent le grand oublié. "Les capacités physiques, que ce soit en endurance, mobilité ou coordination, sont des éléments extrêmement importants que l'on doit développer dès l'enfance. Et on sait que les comportements d'activités physiques et sportives acquis ou non lors de l'enfance et de l'adolescence détermineront les comportements, et la santé, des futurs adultes qu'ils seront", appuie Martine Duclos.  

Jean-Michel Blanquer, ancien ministre de l'Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, pratique des exercices physiques avec des élèves de primaire, à l'occasion de l'expérimentation des 30 minutes d'activité physique quotidienne, le 2 février 2021, à Paris. (FRANCK FIFE / AFP)

Irène Margaritis, professeure en physiologie du sport et adjointe de la direction de l’évaluation des risques à l’Anses, va même plus loin. "Quand ces jeunes-là arrivent à l'âge adulte, on se rend compte qu'ils n'ont pas été suffisamment éduqués à la pratique. Donc ce qu'il faut voir dans l'éducation physique, à l'école, au collège et au lycée, c'est que l'on va tirer à la fois les bénéfices instantanés pour la santé physique et mentale mais aussi investir pour l'avenir si on le fait correctement." 

Supprimer des semaines de vacances pour des journées plus courtes

Face à ce constat, Stéphane Diagana appelle à une discussion entre l'Éducation nationale et le mouvement sportif "afin que chacun se reconnaisse mutuellement comme des acteurs d'éducation." Ainsi qu'engager une réflexion sur le nombre de jours de vacances scolaires. "En Europe, la France est le pays où il y a le plus de jours de vacances, mais avec en contrepartie des semaines plus chargées en nombre d'heures de classe. A cela s'ajoute aussi la culture des devoirs", analyse le champion du monde du 400 m haies en 1997. "Enlever une semaine de vacances à la Toussaint et une l'été, et éviter les emplois du temps à trou, permettrait de finir plus tôt l'école pour donner la possibilité aux enfants de pratiquer", suggère le consultant athlétisme de France Télévisions.

Alors que les Jeux olympiques de Paris 2024 auraient pu être un tremplin pour promouvoir et développer la pratique sportive à l'école, le gouvernement a raté le coche, selon les différents interlocuteurs interrogés par franceinfo: sport. "Il est certes un peu tard pour faire changer les choses mais peut-être qu'on pourra gagner des avancées sur les programmes et les certifications à venir. Toutefois, les politiques s'emparent du sujet, ce qui rend possible une évolution à l'avenir", veut espérer Benoît Hubert, secrétaire général Snep-FSU. En attendant, l'activité physique et sportive sera la "grande cause nationale en 2024". Une exposition nationale qui pourra peut-être permettre une prise de conscience plus large et des changements concrets dans les cours d'école.

*Sur les données de 2020/2021

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