Marie Rivereau, Théo Moreau : Athlètes et sourds… et alors ?
Dans le paysage du sport - performance, le handicap reste encore souvent l’affaire d’une fenêtre de deux semaines au milieu de quatre années dans l’anonymat. Les Jeux Paralympiques offrent une ouverture magnifique à tous les athlètes handicapés pour tenter de décrocher une médaille et être les meilleurs de leurs disciplines, mais aussi de leurs conditions. Et puis il y a ceux qui font le choix de ne pas attendre les Jeux pour briller et repousser les limites que leur corps leur impose. Ils sont rares, d’autant plus à se montrer performants. C’est pourtant le cas de Marie Rivereau et Théo Moreau.
A 25 et 26 ans, les deux sportifs originaires de la région angevine partagent leur quotidien, leur passion pour le sport, mais aussi le même handicap. Théo est sourd depuis l’âge de deux mois, suite à une méningite. La surdité de Marie s’est déclarée quant à elle à l’âge de neuf mois. Aujourd’hui appareillés, ils vivent comme tout le monde, au travail comme sur les pistes. Marie Rivereau est perchiste, Théo Moreau triathlète, spécialisé dans l’Ironman, ces triathlons extrêmes durant lesquels les distances sont rallongées. Ils viennent tous les deux de signer leur meilleure saison en 2020 et s’installent sérieusement parmi les Français qui comptent dans leur sport. Ceci, non pas malgré, mais avec le handicap.
La surdité, un "handicap invisible"
“Quand tu ne le connais pas, c’est dur, raconte Marie Rivereau. La surdité, c’est un handicap invisible. Si je laisse mes cheveux tomber sur mon visage, on ne voit pas mes appareils, et ce n’est pas marqué sur mon front. Si Théo enlève ses appareils, cela ne se voit pas qu’il est sourd.” Au milieu de leurs adversaires, ils sont des concurrents parmi d’autres. Ce qui n’est pas toujours le cas dans la société en dehors de l’entraînement et de la compétition. “Le sport permet de nous intégrer plus facilement, d’avoir un peu plus de reconnaissance” assure Théo Moreau. Tout n’a pourtant pas toujours été aussi évident.
Née dans une famille de sportifs - son frère a participé à la Coupe du monde de football avec l’équipe de France des sourds -, Marie Rivereau n’est arrivée que tardivement à la perche. Longtemps, elle n’a juré que pour la gymnastique. Mais à 19 ans, l’appel des sautoirs s’est fait plus fort et elle a repris en loisir une discipline qu’elle n’avait fait qu’essayer au collège. “Un an plus tard, j’étais qualifiée pour les Championnats de France de ma catégorie.” Précoce dans son apprentissage “en retard” de la discipline, elle doit toutefois reprendre à zéro les fondamentaux. “La gym m’a beaucoup aidé, mais mon point faible, c’est la course, je n’arrive pas assez vite dans le butoir. Tu apprends toutes les bases quand tu es adolescent, mais je n’ai pas eu ça. Alors je le travaille aujourd’hui.”
Et cela marche. Après un changement d’entraîneur en début de saison et des automatismes à retrouver, Marie Rivereau a signé son record personnel fin février aux Championnats de France indoor de Liévin. “J’y étais allé pour prendre du plaisir après avoir eu une saison tellement compliquée… et le 4,20m est sorti tout seul, sur la dernière compétition de l’hiver.” Marie Rivereau fait naître des promesses, et nourrit son ambition malgré une saison tronquée par la Covid-19. Son déficit technique par rapport à ses concurrentes lui procure une marge de progression plus grande encore. “Mon coach au pôle perche de Nantes, Alain Donias, me dit souvent ‘tu te rends compte Marie, tu fais 4,20m alors que tu ne sais pas courir !’” Pas mal pour le le 5e bilan de la saison en plein air pour les perchistes tricolores, le 6e en salle.
“La surdité est un handicap, mais pas dans mon sport”
Théo Moreau n’a pas eu le même berceau sportif dans sa jeunesse, tout juste un peu de foot, “comme ça”. “J’ai commencé la course à pied, et j’ai découvert le triathlon complètement par hasard.” Et c’est “comme ça” que Théo se testait trois mois plus tard sur sa première compétition en 2013. “Ca m’a plu tout de suite”, au point de se lancer “sérieusement” avec un coach en 2018. “C’est grâce à Marie, révèle-t-il. La voir performer en Elite, ça m’a donné envie de faire quelque chose. Mais je n’avais jamais vraiment fait de vélo avant, jamais vraiment nagé.” A peine un an plus tard, il dévorait son premier Half-Ironman, “sa” distance (1,9km de nage en eau vive, 90kms de vélo et un semi-marathon). “Je n’aime pas trop nager quatre kilomètres. Et au bout de 150 kilomètres de vélo, j’en ai déjà marre, alors 180…” souffle-t-il dans un sourire.
Dans son effort solitaire, Théo Moreau n’est pas un athlète sourd, mais un de ces acharnés, lancés dans un défi aux limites de ses capacités physiques avec comme premier but de franchir la ligne d’arrivée. Intégrer leur condition à leur carrière d’athlètes de haut niveau, Marie Rivereau et Théo Moreau l’ont fait de bon gré. Mais aussi de force. Le saut à la perche n’existe pas aux Jeux Paralympiques. Et le triathlon ne reconnaît pas la surdité. “Il n’y a pas de catégorie sourds, mais pour moi, c’est normal, insiste Théo Moreau. J’ai deux bras, deux jambes comme tout le monde.” Marie Rivereau acquiesce, elle a été acceptée sans mal par ses entraîneurs comme par ses adversaires. “Je ne me présente pas en disant tout de suite ‘bonjour, je suis sourde’, explique-t-elle. La surdité est un handicap, mais pas dans mon sport.”
Sans renier leur surdité, les deux athlètes l’assurent sans peine, ils se sentent comme “des deux mondes”, le commun des valides et celui des malentendants. “On a été baigné avec les entendants, explique Marie Rivereau, dont les parents sont entendants. C’est comme si on était sourd, mais pas complètement. Je ne parle pas bien la langue des signes. Quand je suis avec des sourds, je ne comprends pas ce qu’ils disent, quand je suis avec les entendants, je ne comprends pas tout ce qu’ils disent non plus. Je suis un peu entre les deux.”
La perchiste fait ses concours avec ses appareils, pas le triathlète, à cause du contact avec l’eau et de la transpiration. “Cela me permet d’être dans ma bulle, c’est plus facile pour se concentrer. Mais en même temps, je n’entends pas l’ambiance.” Ou les juges-arbitres, comme durant son premier half-Ironman, l’an dernier à Cascais, au Portugal. “J’ai pris un carton, une pénalité, mais l'arbitre siffle et dit le numéro de dossard depuis sa moto, et il ne savait pas que j’étais sourd. J’étais dégoûté, je n’avais pas vu le carton. J’ai été disqualifié, et j’ai dû porter réclamation, mais ils ne comprenaient pas.” Finalement réintégré au classement, Théo Moreau préfère aujourd’hui en sourire mais il a retenu la leçon. Pour l’Ironman 70.3 des Sables d’Olonne, il a prévenu tous les arbitres avant même le départ et il porte désormais le logo international des malentendants sur le cadre de son vélo. Sur la côte vendéenne, il n’a pas eu à se battre avec le règlement. Et son finish canon sur la course à pied le long du remblai lui a permis de décrocher la 4e place de la catégorie 25-29 ans et son billet pour les Mondiaux 2021 aux Etats-Unis. Ce malgré un nouvel obstacle imprévu sur sa route, le coronavirus et une préparation réduite à seulement quatre mois.
Les France pour l’une, les Mondiaux pour l’autre
L’athlète de 26 ans vise désormais un premier podium de son groupe d’âge sur le half-Ironman et “découvrir [s]on niveau” aux Mondiaux, en espérant y “faire quelque chose de bien”. “Les Mondiaux, c’était mon rêve. Maintenant, le prochain rêve, ce serait de passer pro, d’ici 3-4 ans.”
Marie Rivereau doit, elle, se remettre d’une déchirure musculaire, mais pas de quoi perturber ses plans pour une année 2021 pleine d’ambition. “L’objectif, c’est de faire 4,30m, voire plus.” La jeune femme vise à terme les 4,50m, une barre symbolique, synonyme du niveau international A, l’élite de la perche mondiale. “Et un podium sur les Championnats de France Elite.” Cela tombe bien, la compétition sera de retour l’année prochaine à Angers, à la maison pour la perchiste, licenciée à l’Entente Angers Athlétisme. Avant peut-être de tutoyer le songe de Paris 2024, version JO. “Pour les personnes qui sont en fauteuil, qui ont un bras en moins, je comprends bien sûr qu’ils participent aux Jeux Paralympiques parce qu’il n’y a pas les mêmes capacités physiques. Mais à partir du moment où je mets mes appareils, je suis égale aux autres. Ce n’est pas parce que tu as un handicap que tu ne peux pas être aussi performant que les valides.”
Marie Rivereau et Théo Moreau partagent bien plus qu’un trouble de l’audition. Ils ont en commun un même parcours, loin des standards d’athlètes de haut niveau, un même goût du dépassement de leur handicap, mais pas seulement. Dépasser les clichés, les obstacles, les attentes... Et faire du bruit dans le monde des sourds.
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