Tour de France: l’équipe de Primoz Roglic "a sans doute pêché un peu par arrogance", pour Christian Prudhomme
La victoire de Tadej Pogacar est "une vraie surprise" pour Christian Prudhomme, directeur du Tour de France, qui s'exprime sur franceinfo au lendemain de l'avant-dernière étape qui avait vu le maillot jaune changer d'épaules.
L’équipe de Primoz Roglic "a sans doute pêché par arrogance", a estimé dimanche 20 septembre sur franceinfo Christian Prudhomme, directeur du Tour de France, au lendemain de l'avant-dernière étape qui avait vu le maillot jaune changer d'épaules. La victoire de Tadej Pogacar est "une vraie surprise" pour Christian Prudhomme.
franceinfo : La victoire de Tadej Pogacar hier est-elle, selon vous, l'un des plus grands moments de l'histoire du Tour de France ?
Christian Prudhomme : Cela a été une journée particulière, sans aucun doute. J'ai suivi le contre-la-montre avec le président du conseil départemental de Haute-Saône. On était devant la télé à regarder le chrono et on était incapables de rester assis parce qu'on voyait que Pogacar reprenait du temps et continuait à en reprendre. Et ça a été un moment tout à fait étonnant où l'on repense naturellement au duel Fignon-Lemond de 1989. Cela a été une vraie surprise. Même si je savais qu'au championnat de Slovénie du contre-la-montre il y a deux mois - et à l'époque, personne n'y avait évidemment fait attention - Pogacar avait battu Roglic, même si, à chaque fois que nous venons à la Planche des Belles Filles, il y a un changement de leader, je n'y croyais pas. On a vu tout de suite un Roglic qui ne semblait pas à l'aise, avec le visage marqué puis un Pogacar qui s'est envolé.
Est ce que Roglic et son équipe ont été trop sûrs de gagner ? Ou peut-être ont-ils pris le maillot jaune trop tôt ?
En tout cas, il y a à l'évidence un pied-de-nez entre une équipe surpuissante et dominatrice et un jeune coureur vainqueur du Tour de Californie il y a deux ans et qui n'avait pas le droit de boire le champagne parce qu'il était trop jeune, donc un talent extraordinairement précoce. Un coureur non pas sans équipe, mais avec simplement quelques coureurs autour de lui capables de la l'accompagner en montagne. Et, en face, une armada qui avait tout calculé, tout prévu, sauf ça. Donc, ça veut dire que malgré tout, il reste une place pour la glorieuse incertitude du sport.
Tadej Pogacar aura 22 ans demain. Il remporte trois tuniques : le maillot jaune, le maillot blanc de meilleur jeune, le maillot à pois de meilleur grimpeur. Faut-il s'attendre à une domination de sa part et de Roglic dans les années à venir sur les grandes courses ?
Je n'en ai pas la moindre idée. C'est déjà ce qu'on disait l'année dernière pour Egan Bernal, le jeune Colombien, qui était, à 22 ans, le plus jeune vainqueur depuis 1909. Là, on a affaire à un coureur qui est tout simplement le plus jeune vainqueur du Tour de France depuis 1904, la deuxième édition du Tour de France. Il y a une nouvelle génération de coureurs extraordinairement talentueuse : Bernal - il ne faut quand même pas l'enterrer - n'a que 23 ans, le Suisse Marc Hirschi (22 ans), qui a gagné une étape et qui est le super combatif du Tour de France et puis le jeune Belge Remco Evenepoel (20 ans) qui n'était pas sur le Tour de France cette année, mais qui va arriver. Il y a une nouvelle génération qui balaye tout sur son passage avec beaucoup d'insouciance et de talent.
Face à une performance aussi ahurissante, certains regardent ça avec des doutes. A chaque fois qu'il va y avoir une forte performance, il va y avoir des doutes, de la suspicion. Vous le comprenez ?
Le cyclisme doit porter sa croix et devra porter sa croix pendant longtemps encore. Ça ne peut pas vraiment me choquer même si, évidemment, à chaque fois, on se dit 'c'est dommage'. Mais le passé, malheureusement, dans le cyclisme, fait que certains peuvent évidemment se poser des questions, je ne les trouve pas illégitimes. En tout cas, on est surtout face à un prodige de précocité, sans aucun doute. Vous ne pouvez pas remporter le Tour de l'Avenir, gagner le Tour de Californie et ensuite le Tour de France sans avoir du talent. Il est évident aussi que Jumbo-Visma a sans doute pêché un peu par arrogance en étant persuadé que Roglic avait suffisamment d'avance et qu'avec Van Aert, Dumoulin, etc, leur équipe super puissante, ils avaient suffisamment de talent pour contrôler la course.
C'était aussi une édition particulière, un casse-tête d'organisation avec le Covid. Quel bilan vous en faites ?
D'abord, c'est surtout la satisfaction de ne pas avoir baissé les bras. C'est à dire de s'être dit 'la pandémie va durer, il faut vivre avec'. Donc c'est d'avoir, avec les services de l'Etat, avec toutes les collectivités, tenu bon la barre. Je dois remercier Christian Estrosi, par exemple, le maire de Nice, puisque s'il n'y a pas de grand départ, derrière c'est compliqué. Tous les maillons de la chaîne des collectivités qui ont été là lorsque je leur ai demandé au mois d'avril, de changer les dates du Tour. Et puis toutes ces réunions avec le ministère des Sports, le ministère de l'Intérieur, le ministère de la Santé, et puis évidemment les services de l'Etat qui ont fait le travail derrière. Chacun a joué le jeu. Les coureurs, les équipes, les organisateurs et les médias. Parce qu'évidemment, les conditions de travail n'étaient pas les mêmes. Cette année, c'était complètement différent. Nous avions une vraie inquiétude la semaine qui précédait le départ du Tour de France, à Nice, lorsque la cellule interministérielle de crise, à la veille du grand départ, nous a dit que les équipes seraient exclues si 2 cas positifs sont détectés, sur un total de 8 coureurs. Nous avions signé avec les services de l'Etat pour 2 sur 30. Là, très sincèrement, j'ai eu très peur. Et en fait, je crois que c'est ce qui nous a sauvé, c'est à dire le fait que les règles soient absolument draconiennes pour les équipes a fait que chacun et chacune a fait très attention.
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