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Tour de France : les étapes toutes plates, morne plaine

Même parmi les fans de cyclisme acharnés, nul accro aux sprints massifs et aux étapes de plat. Et pourtant…

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 3 min
Le peloton du Tour de France sur le plat, lors de la première étape entre Porto-Vecchio et Bastia, le 29 juin 2013.  (PASCAL POCHARD CASABIANCA / POOL)

Le peloton qui part au petit trot. Des coureurs dans les profondeurs du classement général qui s'échappent. Leur avance tourne autour des 10 minutes. Aux 100 km, le peloton grignote petit à petit. Les échappés sont repris à 5 km de l'arrivée, et l'étape se conclut au sprint. Vous avez l'impression d'avoir vu ce scénario mille fois ? C'est normal, c'est le déroulé-type d'une étape de plaine du Tour de France. Comme il y en a trois qui s'enchaînent, mercredi 3, jeudi 4 et vendredi 5 juillet, perçons leurs secrets.

A l'origine des étapes de plaine, la géopolitique

Aux temps héroïques du Tour de France, créé en 1903, on ne pense pas à la dramaturgie de l'épreuve, mais à affirmer la France contre le voisin allemand. "Avec une persévérante obstination, j'ai fini par convaincre le patron Henri Desgrange qu'un Tour de France devait longer les côtes, escalader les montagnes par les routes et les chemins les plus rapprochés des frontières, que ce soit la plaine ou la montagne", explique le responsable du tracé des premiers Tours de France, Alphonse Steinès, cité dans Le Tour de France cycliste (p.48). La première étape à l'étranger aura d'ailleurs lieu à Metz, ville perdue depuis la guerre de 1870 contre l'Allemagne. Jusqu'à l'après-guerre, le Tour épousera les frontières de l'Hexagone, dont les plaines du littoral. Comme le résume Henri Desgrange à l'époque, "ce sont les sprinters qui font tout le spectacle".

Dès les années 30, l'ennui

Les organisateurs du Tour se sont posé la question dès les années 30. Ils cherchent  alors des moyens de pousser les coureurs à se dépasser sur les étapes de plaine, où le peloton ronronne groupé à un petit 30 km/h. Sanctions si la moyenne horaire est trop basse, prime au porteur du maillot jaune pour inciter les autres coureurs à aller le contester et création de "demi-étapes" pour inciter les échappées et bouger les poursuivants.

Jacques Goddet, qui dirige la course de l'après-guerre aux années 80, met au point une dramaturgie bien rodée. Dans l'idéal, un outsider doit s'emparer du maillot jaune en première semaine, avant que les favoris n'en décousent dans la montagne. "Casser l'ennui dans les premières courses, éviter les avantages acquis dans les premiers jours de Tour par les meilleurs, terminer l'épreuve avec un retour à Paris qui ne soit pas un défilé de survivants", résume Jacques Calvet, un proche de Goddet, cité dans La France du Tour.

Le lobby des "gens de la plaine"

La légende du Tour s'écrit en montagne. Mais les organisateurs défendent contre vents et marées les étapes de plaine.  Ainsi, Jean-Marie Leblanc, tout frais directeur du Tour en 1991 : "Nous avons voulu rééquilibrer les chances entre les diverses catégories de concurrents. Le Tour ne doit pas s'adresser exclusivement aux grimpeurs et aux rouleurs. Il faut aussi préserver la part consentie aux gens de la plaine, les animateurs, les routiers-sprinters."

Le public n'a pas toujours boudé

Rien ne vaut la marée humaine qui engloutit les coureurs sur les pentes des Alpes ou des Pyrénées. Au début du Tour 2013, en Corse, les étapes n'ont pas attiré les foules. Et pour cause : le réseau routier corse était totalement atrophié par le passage de l'épreuve, au point que le préfet de l'île a conseillé aux gens de rester chez eux. 

Cela n'a pas toujours été le cas. Pour preuve, ce compte-rendu d'une étape près de Lille, en 1938 : "Sur 100 km, il n'y a pas eu 100 mètres où il n'y avait pas de spectateurs. Et pas seulement sur une seule rangée, mais sur une triple haie. Tous les suiveurs s'accordaient pour dire qu'ils n'avaient jamais vu cela." 

Quelle juste part d'étapes plates ?

Sur les dix dernières années, un peu moins de la moitié des étapes se déroule sur le terrain de chasse des sprinters. 

Les deux villes les plus visitées par la Grande Boucle sont Paris (chaque année) et Bordeaux (72 passages depuis 1903). Deux villes loin de tout relief.

Et si jamais vos paupières s'alourdissent ces prochains jours devant votre poste de télé, repensez à cet adage de Laurent Jalabert"Le Tour ne se gagne pas dans la plaine, mais c’est là que certains peuvent le perdre." En 1999, par exemple. Si le Suisse Alex Zülle n'avait pas perdu six minutes après une chute dès la 2e étape, dans le piégeux Passage du Gois en Vendée, il aurait pu rayer du palmarès un certain Lance Armstrong

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